Le film adopte une narration linéaire classique, mais enrichie de ruptures rythmiques savamment orchestrées. L’acte d’ouverture plante un décor oppressant, dépeignant l’Amérique rurale des années 1980 où s’enracine l’idéologie suprémaciste. Les premiers plans, d’une sobriété glaçante, nous immergent dans l’univers de Mathews, où règnent violence et isolationnisme.
Le deuxième acte bascule dans l’intensité, avec une alternance entre scènes d’action explosives et moments introspectifs. Les dialogues deviennent un outil central pour dévoiler la psychologie des personnages, notamment celle de l’agent du FBI Terry Husk (Jude Law), dont l’obsession pour cette enquête s’apparente à une descente aux enfers. Cette phase centrale est marquée par un montage serré, où les séquences s’enchaînent à un rythme effréné, renforçant l’impression d’urgence.
Enfin, le dernier acte adopte une tonalité plus contemplative, presque fataliste, où la confrontation finale entre Husk et Mathews dépasse l’action pour devenir une réflexion sur la radicalisation et ses conséquences inéluctables. Cette structure tripartite, classique en surface, se distingue par la fluidité avec laquelle elle intègre des moments de tension et de relâchement, créant une expérience immersive.
Visuellement, The Order est un modèle de précision. Justin Kurzel opte pour une photographie froide et désaturée, où les teintes dominantes oscillent entre le gris et le bleu, symbolisant une Amérique fracturée. Ces choix chromatiques accentuent le sentiment de désolation et de danger qui imprègne chaque plan.
Les vues aériennes des routes désertiques du nord-ouest américain, filmées en longue focale, instaurent une ambiance de claustrophobie paradoxale : l’immensité des paysages devient oppressante, un écho à l’isolement idéologique des personnages. À l’inverse, les scènes d’intérieur, souvent éclairées à la lumière naturelle, renforcent l’intimité des confrontations, que ce soit entre les membres de la milice ou entre Husk et ses propres démons.
La caméra de Kurzel se distingue également par son dynamisme. Les séquences d’action sont filmées en plans rapprochés, presque chaotiques, plongeant le spectateur au cœur des fusillades et des poursuites. À l’inverse, les moments de tension psychologique sont capturés en plans fixes, où chaque détail – un regard, un geste, une respiration – devient porteur de sens.
L’autre pilier de la réussite formelle de The Order réside dans sa bande-son, signée Jed Kurzel. La musique, minimaliste et lancinante, agit comme un fil conducteur émotionnel, amplifiant les non-dits et les silences. Les percussions graves, presque tribales, ponctuent les moments de confrontation, tandis que des nappes électroniques dissonantes accompagnent les scènes de tension latente.
Le montage sonore joue également un rôle crucial dans la création de l’atmosphère. Les bruits ambiants – le vent sifflant dans les forêts, le crissement des pneus sur le gravier – sont amplifiés, presque sur-réalistes, pour immerger davantage le spectateur. Ce traitement sonore, combiné à une partition musicale subtile, renforce l’impact émotionnel du film.
Si The Order impressionne par sa maîtrise formelle, c’est aussi parce que chaque choix esthétique sert un propos précis. En mettant en parallèle la violence des années 1980 et les dérives contemporaines, Justin Kurzel interroge la persistance des idéologies extrémistes. La manière dont il cadre ses personnages, souvent isolés dans des espaces vides ou réduits à des silhouettes menaçantes, traduit visuellement cette idée d’une société fragmentée.
Le film ne se contente pas de raconter l’histoire de Mathews et de sa milice. Il s’en sert comme une métaphore des fractures idéologiques et des tensions identitaires qui secouent encore le monde aujourd’hui. Kurzel transcende ainsi le simple récit policier pour offrir une œuvre qui, par sa forme, devient un miroir déformant mais terriblement pertinent de nos réalités.
Deux Questions Au Réalisateur Australien, Justin Kurzel
En marge de la 21ᵉ édition du Festival International du Film de Marrakech, Justin Kurzel, réalisateur du thriller captivant The Order, se confie sur son approche cinématographique et les enjeux de son œuvre, projetée en ouverture du festival.
- À travers The Order, comment envisagez-vous d’explorer la responsabilité de l’art dans la représentation de la violence idéologique et de ses conséquences, tout en évitant le risque de glorifier ou de normaliser les figures maléfiques que vous dépeignez ?
C’est un équilibre extrêmement difficile à atteindre, surtout lorsque l’on s’intéresse à des récits et à des personnages sombres et dangereux. Il s’agit d’essayer de pénétrer un peu plus en profondeur, de comprendre davantage l’aspect humain qui se cache derrière, et d’explorer si une perspective différente existe par rapport à ce que l’on connaît déjà.
Le cinéma, en particulier, a cette capacité : il peut donner vie à des personnages et à des histoires, et permettre de ressentir quelque chose d’unique, même face à des chapitres sombres. Certains des films les plus captivants pour moi sont souvent des tragédies, des récits sombres ou des horreurs poignantes qui, paradoxalement, nous aident à mieux comprendre la vie, même dans ses aspects les plus obscurs. C’est là toute la puissance du cinéma : il offre un cadre sûr pour explorer des sujets parfois extrêmement difficiles.
- Pensez-vous que des films comme The Order puissent contribuer activement à sensibiliser ou à prévenir la résurgence des idéologies extrémistes ?
Eh bien, je dois avouer que je ne connaissais rien des Turner Diaries avant de travailler sur ce projet, même en tant qu’Australien. Ces événements ont été relativement peu médiatisés et demeurent largement méconnus. Pourtant, l’héritage des Turner Diaries est troublant, car ce livre a été exploité par des groupes très dangereux, même à l’époque actuelle. Ce qui est frappant, c’est que ce livre, en apparence, ressemble à une aventure fictionnelle presque adolescente. Mais en réalité, en son cœur, il s’avère incroyablement dangereux.
C’était donc un élément clé du scénario, une révélation qui, je le savais, surprendrait une grande partie du public, en particulier les spectateurs contemporains.