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Thésaurisation : Pourquoi les Marocains tiennent-ils à leur cash ?


Rédigé par Soufiane CHAHID Mercredi 12 Juin 2024

Chaque année, à l’approche de l’Aïd Al-Adha, la circulation du cash au Maroc atteint des sommets. Ce phénomène, amplifié par des achats en espèces, révèle un problème plus profond : la thésaurisation de cash, évaluée à près de 400 milliards de dirhams. Un récent rapport de Bank Al-Maghrib apporte un éclairage sur ce défi économique majeur.



Comme à chaque période de l’Aïd Al-Adha, la circulation du cash dans l’économie nationale connaît un pic. Cette hausse est principalement due aux achats de moutons, qui se font en argent liquide, mais également aux divers achats connexes tels que les ustensiles de cuisine et les outils. Dans un pays comme le Maroc, où la circulation du cash est problématique et évaluée à près de 400 milliards de dirhams, il est crucial de déterminer les causes de ce phénomène.

Dans un récent rapport publié par Bank Al-Maghrib, intitulé «Estimation du cash non-transactionnel au Maroc», les chercheurs Linah Shimi, Abdessamad Saïdi et Franz Seitz tentent de décrypter ce phénomène.
 
Progression du cash thésaurisé

L’estimation du cash non transactionnel au Maroc est une question cruciale pour les chercheurs et les décideurs économiques. Ce document s’efforce de répondre à cette problématique en analysant la demande du cash et en évaluant les montants thésaurisés au Maroc sur plusieurs décennies.

L’étude s’appuie sur trois approches empiriques pour estimer la proportion des billets de 100 MAD et de 200 MAD détenus pour des motifs non transactionnels. Premièrement, l’estimation des équations de demande de cash montre que les petites coupures sont exclusivement influencées par des motifs transactionnels, tandis que les grandes coupures le sont également par des motifs non transactionnels.

La première méthode utilisée est celle des ratios, qui repose sur l’idée que la demande de monnaie à des fins de transactions devrait évoluer de manière proportionnelle pour toutes les coupures, à moins que les grandes coupures ne soient thésaurisées. Les résultats montrent une forte progression de la demande de grandes coupures par rapport aux petites coupures, indiquant une augmentation significative de la thésaurisation depuis les années 2000.

La deuxième approche, basée sur la méthode de la durée de vie, compare la durée de vie effective des billets avec leur durée de vie théorique. Les billets de 100 MAD et 200 MAD ont une durée de vie significativement plus longue que les petites coupures, ce qui confirme leur utilisation pour des motifs non transactionnels. En 2021, près de 80% des billets de 100 MAD et de 200 MAD auraient été détenus pour des motifs autres que les transactions courantes.

Enfin, la méthode de la saisonnalité examine les différences dans la structure saisonnière du cash transactionnel et non transactionnel. Cette méthode a été appliquée dans de nombreux pays et permet de déduire la part du cash thésaurisé à partir des variations saisonnières observées dans les différentes coupures.

Les résultats de ces trois méthodes s’accordent sur une forte progression du cash thésaurisé au Maroc depuis le début des années 2000. La demande de cash non transactionnel se situait autour de 20% au début du millénaire et fluctue entre 60% et 80% en 2021 pour les billets de 100 MAD et 200 MAD. Ces montants élevés de thésaurisation soulèvent plusieurs défis pour la politique monétaire et la stabilité financière du pays.

D’un point de vue théorique, la thésaurisation consiste à conserver des actifs monétaires liquides en dehors du circuit économique, ce qui empêche ces fonds d’être investis de manière productive. Les motifs de thésaurisation varient selon les pays, mais incluent souvent des facteurs tels que l’incertitude économique, la prévoyance, et la recherche de sécurité en période de crise.

La Banque Centrale Européenne et d’autres institutions financières ont constaté une augmentation similaire de la thésaurisation dans de nombreux pays. Par exemple, en zone euro, la proportion des avoirs thésaurisés a augmenté de 33% en 2008 à 60%-65% en 2019. En Suisse, la part des billets thésaurisés a atteint 60% en 2017.
 
Vigilance accrue

Au Maroc, la demande du cash a également été fortement influencée par la crise du Covid-19, avec une hausse spectaculaire de la demande de cash en 2020, malgré les restrictions de mouvement et l’utilisation accrue des paiements électroniques. Cette dynamique soulève des questions importantes pour les autorités publiques, en particulier pour Bank Al-Maghrib. Les niveaux élevés de thésaurisation peuvent compliquer l’interprétation des mouvements des agrégats monétaires, essentiels pour la stabilité des prix. Une progression irrégulière des montants thésaurisés peut également détériorer les propriétés de ces agrégats en tant qu’indicateurs du cycle économique réel.

Ensuite, la stabilité et le bon fonctionnement du système monétaire nécessitent une bonne compréhension des déterminants de la demande de monnaie. En effet, une anticipation précise de l’évolution de la demande de cash est cruciale pour éviter une crise de liquidité, surtout en période de crise. Les crises, qu’elles soient financières, technologiques ou climatiques, entraînent souvent une hausse brutale de la demande de cash. Par conséquent, Bank AlMaghrib pourrait envisager de constituer des stocks de billets de contingence pour faire face à une demande exceptionnelle de liquidité en temps de crise.

Par ailleurs, les niveaux de thésaurisation influencent aussi les décisions concernant la division monétaire d’un pays. Par exemple, l’introduction de nouvelles coupures ou l’éventualité de créer une monnaie digitale de Banque Centrale doivent être basées sur une compréhension éclairée de l’usage des différentes coupures et de leur potentiel de thésaurisation.

L’étude met également en lumière l’importance de surveiller les innovations financières dans les moyens de paiement, qui peuvent favoriser une substitution du cash par des moyens électroniques pour les transactions courantes. Au Maroc, bien que les paiements par carte bancaire aient augmenté, la valeur de ces transactions reste relativement faible comparée aux montants globaux de la fiduciaire.

Cette étude démontre que la thésaurisation de cash au Maroc est une tendance croissante, influencée par divers facteurs économiques et sociaux. La proportion de cash thésaurisé a significativement augmenté depuis le début des années 2000, atteignant des niveaux élevés en 2021. Cette tendance a des implications importantes pour la politique monétaire et la stabilité financière du pays, nécessitant une vigilance accrue de la part des autorités pour maintenir la stabilité économique et monétaire.









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