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Culture

Tribune libre : Le design et le patrimoine peuvent-ils faire bon ménage ?


Rédigé par Fouad EL BAHLAOUI le Mercredi 24 Février 2021

Le design et le patrimoine seraient-ils catégoriquement antinomiques? Pourrait-on les concilier (comme tradition et modernité, tradition et contemporanéité) avec un peu d’intelligence, de clairvoyance et de savoir-faire ? Ou sont-ils inconciliables?



Tribune libre : Le design et le patrimoine peuvent-ils faire bon ménage ?
En apercevant ces réverbères censés éclairer la médina de Taza qui est en cours de réhabilitation, j’ai pensé immédiatement à nos designers marocains. Sont-ils effectivement présents dans la vie publique ? Dans les plans de réaménagement de nos villes et de nos bâtiments publics? Sont-ils suffisamment visibles? Ou ne sont-ils présents que sur Instagram et les autres réseaux sociaux pleins de futilités et de vantardise virtuelle ? Prennent-ils la peine de solliciter les élus locaux pour leur proposer leurs créations et leur vision de la vie urbaine et rurale ? Ou ont-ils perdu espoir dans l’échange avec des hommes politiques incultes dont le dernier des soucis est l’art ou le design ? En apercevant ces dizaines de réverbères conçus de la sorte, j’ai pensé à ces spécialistes du patrimoine censés concevoir et superviser tous ces projets de réhabilitation de nos médinas. Intègrent-ils l’art et le design dans leurs conceptions? Ou croient-ils que le patrimoine ne rime qu’avec artisanat et que l’apogée des expressions artistiques au Maroc se manifeste uniquement dans l’artisanat? Ou que l’histoire de l’art, pour eux, s’est terminée avec l’artisanat, c’est-à-dire avant même la naissance de l’art au Maroc dans sa version moderne ?

Si le plafond proposé en bois avec ses arabesques est bon, ces réverbères en fer forgé sont médiocres voire déplorables. Pourquoi n’a-t-on pas confié leur conception à un designer marocain ou au moins à un artiste plasticien ? Pourquoi les confier à un artisan au moment où nous avons des dizaines de designers talentueux capables de les dessiner de la meilleure des manières tout en sauvegardant l’esprit de la médina et en les faisant réaliser par des artisans; des designers capables même de les faire fonctionner par l’énergie solaire et les rendre plus écologiques et beaucoup plus esthétiques? Dans ce genre de collaboration, tout le monde sortira gagnant : le designer nous fera bénéficier de son talent et de sa créativité ; l’artisan améliorera son savoir-faire au lieu de répéter éternellement les mêmes gestes et les mêmes motifs ; le citoyen s’attachera davantage à sa ville/son pays et sera encore plus fier de sa culture natale ; l’élu local gagnera la confiance du citoyen ; le spécialiste du patrimoine (souvent un architecte ou un urbaniste) mettra à jour sa conception de l’héritage culturel en y intégrant l’art et le design ; et la médina bénéficiera d’une cure de jouvence et deviendra encore plus rayonnante et plus attrayante grâce aux savoir-faire variés de tous ses enfants et à leur complémentarité surtout qu’il s’agit dans l’exemple cité plus haut d’une réhabilitation et non d’une restauration à l’identique.

Ce qu’on vient de dire sur la médina est valable aussi pour les autres chantiers de construction et de réhabilitation d’espaces et bâtiments urbains et ruraux. Le patrimoine ne veut pas dire forcément ce qui nous a été légué par nos ancêtres avant le XXème siècle. De même, le design ne veut pas dire forcément ce qui est luxueux et occidental. Les gardiens du patrimoine doivent s’intéresser davantage au design pour l’intégrer dans leurs plans de réaménagement et de construction car la majorité de nos designers, sensibles aussi bien à la forme qu’à la fonction de leurs créations, s’inspirent principalement de cette culture marocaine si riche et rivalisent de créativité pour la faire rayonner partout ailleurs, lui rendre ses titres de noblesse et lui trouver une place de choix parmi les cultures du monde.

Fouad EL BAHLAOUI, Professeur chercheur à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan  



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