C’est ce que semble suggérer William Marx en disant : « La littérature, en général, personne ne sait ce que c’est, sinon peut-être qu’elle est un usage particulier du langage.. Mais quel rapport y a-t-il au juste entre les deux disciplines ? On peut croire que le discours philosophique est aux antipodes du discours littéraire.
On peut de ce fait se rappeler l’un des premiers philosophes, en l’occurrence Platon, qui ne voyait dans les aèdes et les rhapsodes (poètes de l’époque) que des charlatans qu’il faut bannir de la cité. Le discours rationnel de Platon ne supporte pas les élucubrations des poètes qui étaient alors vus comme étant possédés par les démons. Dans la tradition musulmane, les poètes ne sont pas sans reproche.
Le Coran les présente comme immoraux et irréfléchis : « Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils divaguent dans chaque vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? » (Sourate 26 « Les Poètes », 224-225). Néanmoins, le discours littéraire ne se limite nullement aux extravagances de l’esprit. Il a également fait preuve de bon sens et de profondeur en mettant les grandes questions qui préoccupent l’humanité au centre du texte.
Molière est incontestablement l’un des dramaturges et poètes les plus appréciés de tous les temps. Derrière le rire que provoquent ses comédies et le rythme de sa poésie se cache pourtant toute une philosophie. Dans ce siècle de la raison, marqué par Descartes et Pascal, Molière promeut lui aussi la raison comme ligne directrice de l’homme. La critique littéraire parle d’un personnage dit « raisonneur » dans les pièces du dramaturge, un porte-parole de la lucidité et de la juste mesure.
Voir la vérité
Dans Le Tartuffe par exemple, le personnage Orgon incarne la démesure en étant crédule à l’excès. Il croit aveuglément que Tartuffe est le meilleur homme du monde, il est « coiffé », « entiché » et « fou », termes utilisés pour fustiger le manque de bon sens chez le personnage. Après tant de tentatives, sa femme Elmire réussit à lui faire « voir » la vérité (le verbe voir est d’une grande importance, son étymologie renvoie à la connaissance).
Quand la vérité éclate devant le pauvre Orgon, il brame ainsi son désespoir : « C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien : / J’en aurai désormais une horreur effroyable, / Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable. » Cléante, le raisonneur de la pièce, dénonce le caractère godiche et forcené d’Orgon, il le rappelle à l’ordre dans des termes éminemment cartésiens : « Eh bien ! ne voilà pas de vos emportements ! / Vous ne gardez en rien les doux tempéraments ; / Dans la droite raison jamais n’entre la vôtre, / Et toujours d’un excès vous vous jetez dans l’autre » avant d’ordonner ensuite « Et soyez pour cela dans le milieu qu’il faut » La lucidité de Cléante préconise le bon sens et le juste milieu. Orgon est ici la preuve que « le bon sens [n’est pas] la chose du monde la mieux partagée ». Molière avait bien vu l’ironie cartésienne.
Le Tartuffe est une pièce de théâtre profondément philosophique. Molière y fait la différence entre la connaissance et la croyance. Si la croyance concerne le métaphysique, Dieu. Tout ce qui est de ce monde tangible doit être connu et vu par la raison. C’est l’erreur d’Orgon qui croit à Tartuffe comme on croit à Dieu. Il oublie qu’il s’agit d’un humain qu’il faut « connaître ». Le verbe « voir », dont la répétition est frappante, rend compte de cette idée. L’humain (le dévot y compris), à la différence de Dieu, est visible, connaissable, encore faut-il « se décoiffer ».
Quand Orgon voit finalement, par la force d’Elmire et son stratagème, la réalité de l’imposteur, il se confronte à un autre personnage entiché qu’est sa mère. Celle-ci refusant de croire à l’hypocrisie de Tartuffe, Orgon lui dit le célèbre pléonasme, beau et philosophique : « Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu ». La désillusion du personnage est énorme. Il vient de réaliser qu’il avait négligé de voir (donc de connaître) en se limitant à une croyance fallacieuse. La reprise du verbe « voir » symbolise le regret d’avoir annulé la raison. Si Le Tartuffe fait rire grâce à un fieffé menteur, Le Misanthrope fait sourire grâce à un homme qui ne se défait jamais de sa sincérité. C’est toujours une question de prendre « le milieu qu’il faut » comme dit Cléante.
L’on voit bien donc que ce théâtre de Molière n’est pas fait seulement pour rire. Si l’on rit assez dans Le Tartuffe, on rit moins dans Le Misanthrope. Les grandes comédies de Molière sont aussi des réflexions profondes sur l’être humain qui transcendent le simple rôle de divertir. « Plaire et instruire » disait-on au Grand Siècle. Si plaire, c’est faire rire, instruire, c’est par ailleurs faire réfléchir. Molière était donc un philosophe malgré lui. La littérature est fondamentalement philosophique.
On peut de ce fait se rappeler l’un des premiers philosophes, en l’occurrence Platon, qui ne voyait dans les aèdes et les rhapsodes (poètes de l’époque) que des charlatans qu’il faut bannir de la cité. Le discours rationnel de Platon ne supporte pas les élucubrations des poètes qui étaient alors vus comme étant possédés par les démons. Dans la tradition musulmane, les poètes ne sont pas sans reproche.
Le Coran les présente comme immoraux et irréfléchis : « Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils divaguent dans chaque vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? » (Sourate 26 « Les Poètes », 224-225). Néanmoins, le discours littéraire ne se limite nullement aux extravagances de l’esprit. Il a également fait preuve de bon sens et de profondeur en mettant les grandes questions qui préoccupent l’humanité au centre du texte.
Molière est incontestablement l’un des dramaturges et poètes les plus appréciés de tous les temps. Derrière le rire que provoquent ses comédies et le rythme de sa poésie se cache pourtant toute une philosophie. Dans ce siècle de la raison, marqué par Descartes et Pascal, Molière promeut lui aussi la raison comme ligne directrice de l’homme. La critique littéraire parle d’un personnage dit « raisonneur » dans les pièces du dramaturge, un porte-parole de la lucidité et de la juste mesure.
Voir la vérité
Dans Le Tartuffe par exemple, le personnage Orgon incarne la démesure en étant crédule à l’excès. Il croit aveuglément que Tartuffe est le meilleur homme du monde, il est « coiffé », « entiché » et « fou », termes utilisés pour fustiger le manque de bon sens chez le personnage. Après tant de tentatives, sa femme Elmire réussit à lui faire « voir » la vérité (le verbe voir est d’une grande importance, son étymologie renvoie à la connaissance).
Quand la vérité éclate devant le pauvre Orgon, il brame ainsi son désespoir : « C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien : / J’en aurai désormais une horreur effroyable, / Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable. » Cléante, le raisonneur de la pièce, dénonce le caractère godiche et forcené d’Orgon, il le rappelle à l’ordre dans des termes éminemment cartésiens : « Eh bien ! ne voilà pas de vos emportements ! / Vous ne gardez en rien les doux tempéraments ; / Dans la droite raison jamais n’entre la vôtre, / Et toujours d’un excès vous vous jetez dans l’autre » avant d’ordonner ensuite « Et soyez pour cela dans le milieu qu’il faut » La lucidité de Cléante préconise le bon sens et le juste milieu. Orgon est ici la preuve que « le bon sens [n’est pas] la chose du monde la mieux partagée ». Molière avait bien vu l’ironie cartésienne.
Le Tartuffe est une pièce de théâtre profondément philosophique. Molière y fait la différence entre la connaissance et la croyance. Si la croyance concerne le métaphysique, Dieu. Tout ce qui est de ce monde tangible doit être connu et vu par la raison. C’est l’erreur d’Orgon qui croit à Tartuffe comme on croit à Dieu. Il oublie qu’il s’agit d’un humain qu’il faut « connaître ». Le verbe « voir », dont la répétition est frappante, rend compte de cette idée. L’humain (le dévot y compris), à la différence de Dieu, est visible, connaissable, encore faut-il « se décoiffer ».
Quand Orgon voit finalement, par la force d’Elmire et son stratagème, la réalité de l’imposteur, il se confronte à un autre personnage entiché qu’est sa mère. Celle-ci refusant de croire à l’hypocrisie de Tartuffe, Orgon lui dit le célèbre pléonasme, beau et philosophique : « Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu ». La désillusion du personnage est énorme. Il vient de réaliser qu’il avait négligé de voir (donc de connaître) en se limitant à une croyance fallacieuse. La reprise du verbe « voir » symbolise le regret d’avoir annulé la raison. Si Le Tartuffe fait rire grâce à un fieffé menteur, Le Misanthrope fait sourire grâce à un homme qui ne se défait jamais de sa sincérité. C’est toujours une question de prendre « le milieu qu’il faut » comme dit Cléante.
L’on voit bien donc que ce théâtre de Molière n’est pas fait seulement pour rire. Si l’on rit assez dans Le Tartuffe, on rit moins dans Le Misanthrope. Les grandes comédies de Molière sont aussi des réflexions profondes sur l’être humain qui transcendent le simple rôle de divertir. « Plaire et instruire » disait-on au Grand Siècle. Si plaire, c’est faire rire, instruire, c’est par ailleurs faire réfléchir. Molière était donc un philosophe malgré lui. La littérature est fondamentalement philosophique.
El Yazid DAOUD
Professeur agrégé de Lettres françaises