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Procédure Pénale : Confidences et révélations d’Abdellatif Ouahbi [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 19 Octobre 2024

Face à la colère des robes noires qui contestent sa réforme, le ministre de la Justice répond sur les non-dits de la nouvelle procédure pénale. Entretien.



Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice.
Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice.
Porteur d’un vaste chantier de refonte du système judiciaire, le ministre de tutelle, Abdellatif Ouahbi, se dit déterminé à aller jusqu’au bout, en assumant sa touche personnelle. Ce vent réformateur agace les avocats qui s’insurgent contre ses réformes. Dès sa prise de fonction, la relation est tumultueuse avec les robes noires qui se livrent actuellement à une fronde si intense que plusieurs d’entre-eux boycottent désormais les audiences dans les tribunaux. Face à une telle colère, le ministre fait preuve de sérénité et reste visiblement imperturbable. “Je suis toujours ouvert au dialogue, je n’ai jamais fermé la porte”, répond-t-il, lorsqu’il nous a reçus dans son bureau pour échanger sur la nouvelle procédure pénale. “Il faut qu’on m’explique ce que signifie la concertation”, poursuit-il, ajoutant sur un ton de reproche : “Ils veulent leur propre loi, j’ai pris acte de leurs doléances mais il nous appartient d’élaborer le texte en fonction de ce que nous jugeons utile tout en restant sensible aux avis de chaque acteur concerné”. Dans l’esprit de Ouahbi, la tutelle se doit d’élaborer des textes qui tiennent compte de l’intérêt général et non seulement d’une profession, loin des réflexes corporatifs. Adopté, fin août, par le gouvernement, le projet de loi n°03.23 modifiant et complétant la loi n°22.01 relative à la procédure pénale est, en principe, le fruit d’un long débat national. Le texte inverse le rapport de force entre la défense et l’accusation publique en faveur des avocats, réduit le recours à la détention préventive, des avancées généralement saluées. Or, plusieurs dispositions soulèvent encore des interrogations. On en parle en détail avec le ministre. 
 
  • Vous dites que vous avez élaboré le Code de procédure pénale dans une approche participative. S’agit-il d’un consensus des différents acteurs de la politique pénale ?

Tout d’abord, je vous remercie de cette opportunité de parler d’un sujet d’une extrême importance. Il va sans dire que la réforme du Code de procédure pénale est une étape essentielle dans la modernisation de notre système judiciaire. Pour répondre à votre question, on peut tout à fait dire que ce projet est le fruit d’un travail collectif et d’un véritable esprit de concertation. J’ai l’intime conviction qu’on ne peut mener des réformes d’une telle profondeur sans inclure pleinement tous les acteurs du domaine pénal, qu’il s’agisse des autorités gouvernementales, des organes judiciaires, des institutions de sécurité ou de la société civile. Je vous assure que cette approche participative nous a permis d’enrichir le projet de loi avec des propositions constructives. Je tiens également à saluer la coopération et l’engagement de tous ceux qui ont contribué à faire de ce projet un modèle pour les réformes nationales.

Je suis conscient que certains articles peuvent susciter des discussions ou des réserves de la part de certaines parties. Mais, nous demeurons engagés à travailler avec les élus au Parlement afin de parvenir à un consensus large sur les différents points pour susciter l’adhésion de tout le monde.  
 
  • La réforme limite explicitement le recours à la détention provisoire. Quelles sont les conditions qui légitiment cette décision dans la nouvelle procédure ?

Depuis le début, le ministère de la Justice s’est engagé à encadrer strictement le recours à la détention provisoire. Il s’agit d’une évidence pour renforcer l’État de droit. La détention provisoire est désormais considérée comme une mesure exceptionnelle, uniquement applicable en cas de nécessité absolue, que ce soit pour assurer le bon déroulement de la justice ou pour préserver la sécurité publique. Nous avons établi des critères rigoureux, alignés sur les normes internationales de protection des droits humains, qui exigent que toute décision d’arrestation soit justifiée par des preuves solides et des bases juridiques incontestables.

Cette disposition a été conçue spécifiquement pour protéger toute personne, marocaine ou étrangère, contre toute forme d’arrestation ou de détention arbitraire. Comme vous le savez, la protection des libertés individuelles est une pierre angulaire de la justice. Cela dit, ces nouvelles garanties assurent une protection juridique à toutes les personnes sur le territoire national. N’oublions pas aussi que des solutions alternatives ont été mises en place pour trouver un équilibre entre la protection de l’ordre public et le respect des droits individuels. Cette réforme reflète l’engagement du Maroc en faveur d’une justice qui place les droits de l’Homme au centre de ses préoccupations.
 
  • Peut-on être certain que la nouvelle réforme garantit à long terme de réduire implacablement la surpopulation carcérale, qui demeure l’un des objectifs majeurs de la politique pénale ?

Bien que la réduction de la surpopulation carcérale soit une conséquence notable de cette réforme, il est important de préciser que notre objectif principal reste avant tout la protection des droits de l’Homme et le renforcement de l’État de droit. Au ministère de la Justice, nous considérons que l’adoption de mesures, telles que la réduction du recours à la détention provisoire et l’introduction de peines alternatives, vise principalement à préserver la dignité de l’Homme. Il est essentiel que les libertés individuelles ne soient restreintes que dans des circonstances exceptionnelles et selon des normes juridiques strictes.

Donc, il faut comprendre que la procédure pénale a vocation essentiellement à protéger l’individu contre l’arbitraire. Ainsi, la réduction de la surpopulation carcérale demeure également un objectif secondaire mais important. Je m’explique. Notre priorité absolue est de veiller à ce qu’aucun individu, marocain ou étranger, ne soit soumis à une détention injustifiée. Cela renforcera la confiance dans notre système judiciaire. 
 
  • Le ministère public a désormais le droit de communiquer avec le public. Cela signifie-t-il que la défense ne peut plus s’exprimer ?

Le fait de conférer au Ministère public le droit de communiquer va dans le sens de renforcer la transparence et la crédibilité de la Justice. Il est impératif de tenir le public informé des développements des affaires judiciaires de manière officielle et précise pour limiter le risque des rumeurs et des fake-news qui soient de nature à compromettre le bon déroulement des procédures. Il n’empêche que la défense ou les autres parties concernées peuvent s’exprimer librement et faire valoir leurs positions. Nous reconnaissons pleinement le rôle crucial de la défense dans l’explication des positions des accusés et dans la réponse aux accusations portées contre eux. Ce rôle est vital pour que la procédure et le procès soient équitables, mais doit s’exercer dans le respect de la confidentialité professionnelle et sans compromettre le secret de l’instruction et des enquêtes. En définitive, le droit de communication accordé au Ministère public ne cherche pas à limiter ou à restreindre la défense, vu que leurs rôles sont complémentaires. Les deux parties continueront d’exercer leurs fonctions dans le cadre légal qui leur est imparti, sans que l’une n’exclue l’autre.
 
Le droit de communication accordé au Ministère public ne cherche pas à limiter ou à restreindre la défense”
 
  • Il y a des demandes pour créer une institution de juge de la détention et des libertés. Qu’en pensez-vous ?

Ce débat est salutaire. Nous avons pris en compte ces demandes. Le projet de loi actuel intègre des garanties solides qui visent à atteindre le même objectif qu’est la rationalisation du recours à la détention provisoire. En permettant aux accusés ou à leurs avocats de contester les décisions de détention, nous établissons un système plus transparent, qui garantit une révision rigoureuse des décisions de détention et une rapidité dans leur réexamen. Nous croyons que ce système reflète un équilibre juste entre la protection des droits des individus et la sécurité publique, tout en respectant l’indépendance des institutions judiciaires.
 
  • En ce qui concerne les crimes de corruption et de détournement de fonds publics, pourquoi l’exercice de l’action publique a-t-il été limité au procureur général près la Cour de cassation, au lieu d’élargir cette compétence à l’ensemble des procureurs ?

Les crimes de corruption et de détournement de fonds publics sont tellement graves qu’ils sapent la crédibilité des institutions. Pour garantir un traitement rigoureux et impartial de ce genre d’affaires, il était essentiel de confier l’exercice de l’action publique au procureur général près la Cour de cassation, puisque cette instance offre le plus de neutralité et de transparence.
 
  • La société civile a sévèrement réagi sur ce point, vous comprenez les griefs qui ont été exprimés à ce sujet ?

Il ne s’agit pas de restreindre le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption. Au contraire, les associations et la société civile sont extrêmement importantes pour dénoncer ces crimes et présenter des preuves permettant d’enclencher des poursuites. Toutefois, il était impératif de trouver un équilibre entre l’amélioration des procédures judiciaires, la lutte contre l’impunité et la protection des individus contre la diffamation ou les accusations infondées, qui pourraient porter atteinte à leur réputation de manière injustifiée. Cette réforme est le fruit de débats approfondis au sein des différentes institutions. Elle vise également à protéger les individus contre les accusations non fondées qui pourraient avoir des répercussions psychologiques et sociales importantes. Par conséquent, le projet de loi garantit une justice rigoureuse avec des procédures précises, tout en veillant à ce que la loi ne soit pas utilisée de manière malveillante pour nuire à la dignité des individus.
 

Ph : Nidal
Ph : Nidal
 
  • Quand l’utilisation du bracelet électronique sera-t-elle mise en œuvre, que ce soit pour les peines alternatives ou la surveillance judiciaire ?

L’introduction des peines alternatives, notamment l’utilisation du bracelet électronique, constitue une avancée majeure dans la réforme de notre système pénal. Ce dispositif ne vise pas seulement à réduire la surpopulation carcérale, mais à instaurer un système pénal plus moderne et plus humain, respectueux des droits de l’Homme et qui facilite la réinsertion sociale des condamnés.

Les peines alternatives incarnent une vision de la justice plus humaniste, en évitant les peines privatives de liberté de courte durée, qui peuvent être néfastes pour la réhabilitation des individus et pour la société. En lieu et place de ces peines, nous proposons des outils de réhabilitation qui permettent aux individus de conserver une certaine liberté, tout en étant surveillés, afin de préserver leur dignité et leurs droits fondamentaux, qu’ils soient marocains ou étrangers.

La loi n° 43.22 relative aux peines alternatives a déjà été publiée au Bulletin Officiel, et nous sommes dans les phases finales de consultations techniques et logistiques pour assurer sa mise en œuvre, y compris le recours au bracelet électronique. Cette réforme s’inscrit dans une vision globale de modernisation de la Justice pénale, en ligne avec les engagements internationaux du Maroc en matière de droits humains. Elle vise à garantir une justice efficace, respectueuse des droits de l’Homme, tout en favorisant la réinsertion sociale des condamnés.
 
Il ne s’agit pas de restreindre le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption. Au contraire, les associations et la société civile sont extrêmement importantes pour dénoncer ces crimes
 
  • La matière 108, relative à l’interception des communications, a suscité des critiques, notamment en ce qui concerne l’élargissement du champ d’application de cette mesure. Pourquoi avoir ajouté de nouveaux crimes à cette disposition ?

L’ajout de nouveaux crimes à l’article 108, qui régit l’interception des communications électroniques et des télécommunications, a été dicté par la nécessité de répondre à l’évolution de la criminalité moderne, notamment dans les domaines financiers et numériques. Des infractions telles que le blanchiment d’argent, la corruption ou les cybercrimes nécessitent des outils juridiques adaptés pour identifier les auteurs et les poursuivre efficacement.

Nous sommes pleinement conscients des préoccupations que cette mesure peut susciter, notamment en matière de protection de la vie privée et des données personnelles. Nous avons soigneusement pris en compte la complexité de cette disposition et nous nous sommes assuré que l’application de cette mesure respecterait scrupuleusement les droits fondamentaux à la vie privée des individus.

Il s’agissait de trouver un équilibre délicat entre la nécessité impérieuse de lutter contre des crimes graves, qui menacent la sécurité publique, et la protection des droits fondamentaux, en particulier le droit à la confidentialité. Ces mesures ne seront appliquées que dans des cas précis et en conformité avec des critères rigoureux, garantissant que les normes internationales en matière de droits de l’Homme soient respectées. Ainsi, tout est mis en œuvre pour assurer que la vie privée des citoyens soit protégée, tout en luttant contre les nouvelles formes de criminalité.
 
Recueillis par Anass MACHLOUKH








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