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​Un réflexe marocain!


Rédigé par Mohamed Lotfi* le Lundi 31 Mars 2025



​Un réflexe marocain!
« Je voudrais parler à Monsieur Jean-Louis Trintignant SVP »!

Le réceptionniste de l’hôtel Hassan avait l’habitude. Ce n’est pas la première fois que je me présente à son comptoir pour demander de rencontrer un grand acteur français de passage à Rabat. 


Me voici dans la petite cabine téléphonique avec, au bout du fil, « Le voyou » en personne. Il est amusé que je l’aborde par le titre d’un de ses films populaires. Accompagné de Nadine, il quitte sa chambre pour m’accorder un peu de temps et il me la présente, « Mon épouse ». 


En marchant vers la sortie de l’hôtel, il a eu droit à toute sa carrière résumée par un jeune marocain de 19 ans. Il était étonné que de tous ses films, mon préféré soit L’homme qui ment d’Alain Robbe-Grillet. « Le Maître-nageur, c’est mon deuxième en tant que réalisateur., J’espère que vous allez aimer ». Le film a été présenté le soir-même à Rabat. Je n’ai pas aimé le film, mais je n’ai pas arrêté d’aimer son auteur. Un grand acteur qui se révéla pour moi, 15 ans plus tard, un grand homme. 


On fait quelques pas en dehors de l’Hôtel. Arrivé au coin de la rue, je lui indique que nous sommes devant mon Lycée Hassan II et je lui confie que je n’étais pas sûr de réussir mon bac cette année de 1979 parce que trop occupé à jouer sur scène. « Je suis sûr que vous allez le réussir parce que justement, vous jouez sur scène » me dit-il. Il a eu raison. 


Avant de quitter le couple Trintignant, un réflexe très marocain me rattrape « Vous avez des enfants? ». Enchantés par ma question, ils répondirent à l'unisson « Une ». Et allez savoir pourquoi, j’ai demandé comment s’appelait-elle?


Leur fille était deux ans plus jeunes que moi. Elle jouait sous la direction de sa mère, depuis l’âge de cinq ans. Devant ces deux parents qui me parlaient de leur fille avec fierté, je conclue la rencontre par un autre réflexe tout aussi marocain, quand il s’agit d’enfants, « Que Dieu la préserve ».
Quand Marie a été assassinée en 2003, l’univers entier a été bouleversé. L’univers entier, ou presque, souhaitait que son assassin croupisse jusqu’à mort s’ensuive au fond d’une cellule dans une oubliette quelque part sur une planète loin de la terre!


En marge de ce bruit planétaire, un seul homme habitait le silence. Le père de Marie. Rien ne pouvait lui ramener sa fille à la vie. Toutes les violences du monde, tous les cris de vengeance. Toutes les chasses aux sorcières! Que sa fille repose en paix. Que la terre lui soit légère et le ciel accueillant. C'est tout ce qu'il voulait ce père pour sa fille qu'il aimait d'un amour aussi grand que l'univers. 


Que Dieu préserve Marie Trintignant à jamais dans nos cœurs. Dans nos mémoires.


Quant à son assassin, aucune loi n’a ordonné de le condamner à la peine capitale. Il a fait du temps. Il en est sorti. Que restait-il pour lui et pour nous comme possibilité pour la suite? 


Souhaiter sa réhabilitation!


Souhaiter la réhabilitation d’un ex-détenu c’est bon pour lui. C’est bon pour la collectivité. La souhaiter, mais pas par charité, par bonté ou par pitié. Non. La souhaiter dans l’intérêt de tous. La vouloir parce que c’est la seule option qui offre à la société une sécurité durable. Un ex-détenu qui se réhabilite c’est une réussite. 

La renier, la dénigrer, la décourager est une forme de haine de soi, une violence. On ne combat pas la violence par la violence. Ce principe, nous l’avons déjà intégré dans le fondement même du  processus judiciaire. Il ne tient qu’à nous de le réintégrer dans nos opinions publiques qui se sont transformés en tribunal, en police morale. 

 

Le problème avec la réhabilitation des ex détenus (hommes ou femmes), elle ne fait pas les manchettes, elle n'est jamais ou presque jamais racontée dans un récit porté sur écran ou dans un livre et quand cela arrive, ça passe inaperçu parce que pas trop vendeur pour les grands médias. Je connais pourtant un paquet d'hommes et de femmes, certains même avec un passé violent, aujourd'hui totalement réinsérés (es). Je n’ai jamais vu le Journal de Montréal faire la première page avec un jeune sorti de la prison de Bordeaux à Montréal avec un secondaire cinq. J’ai évoqué le cas de l'assassin de Marie Trintignant parce qu'il est ramené à l'actualité par ce documentaire sur Netflix et tous ce que j'ai retenu des commentaires c'est beaucoup de haine. Pour être un témoin vivant des miracles de la réhabilitation, je me fais un devoir de rappeler ses vertus, ses bienfaits sur toute la collectivité. 

 

Est-il réhabilité ce monsieur? Peut-être que oui, peut-être que non, néanmoins il faut le souhaiter et pas dans un esprit de pardon. Dans l'esprit d'une justice réparatrice que les Premières Nations de ce pays ont mis en pratique durant des siècles. 

 

J'ai lu dans un texte signé par une personnalité publique que "l'assassin de Marie était un bourreau de femmes à jamais et juste une merde". Cette façon de condamner une personne à jamais comme s'il était venu au monde pour tuer appartient à des siècles où l'obscurantisme régnait en maître. 

Après, on se demande pourquoi Trump est au pouvoir!


Il y a dans le silence du père de Marie après l’assassinat de sa fille, une force et une morale qui devrait nous inspirer tous.


Dans le contexte, mon réflexe marocain me rattrape!

 
 

 

 


*Mohamed Lotfi
Réalisateur, journaliste, homme de radio, comédien et ancien collaborateur de L’Opinion installé au où il est connu comme le réalisateur du programme radiophonique Souverains anonymes depuis 35 ans. Un programme consacré aux personnes incarcérées.







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