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Abderrahmane El Youssoufi et la Koutla démocratique : Il était une fois l’alternance consensuelle


Rédigé par Yasser AYOUBI Lundi 1 Juin 2020

Après une carrière politique de 60 ans, qui l’a vu condamné à mort, gracié et nommé premier ministre, Abderrahmane Youssoufi s’est éteint à l’âge de 96 ans, son nom étant associé à tout jamais au gouvernement d’alternance. Hommage au militant nationaliste et au leader politique.



El Youssoufi a incarné la jonction tranquille entre deux règnes
El Youssoufi a incarné la jonction tranquille entre deux règnes
Sans trop s’épancher sur les détails de son riche parcours militant (voir Repères), il serait instructif, dans le contexte actuel, de se pencher plus précisément sur le tronçon de chemin parsemé de tournants politiques décisifs qui l’a porté vers le point culminant de sa carrière, son accès à la primature du gouvernement d’alternance.

Il s’agit là d’une étape cruciale dans l’Histoire contemporaine du Maroc qui a permis « des avancées certaines au niveau constitutionnel ouvrant la voie au gouvernement d’alternance consensuel et marquant une vague de réformes structurelles conduite par le roi Mohammed VI », comme l’a récemment précisé le Secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, Nizar Baraka.

Modération, patience et pragmatisme

Une action commune entre le Parti de l’Istiqlal et l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) fut menée dès la fin des années 80, pour aboutir, le 17 mai 1992, à la formation de la Koutla Démocratique. Dirigée de concert au niveau du sommet des deux formations politiques, d’abord par M’hamed Boucetta et Abderrahim Bouabid, l’action s’est poursuivie de façon intense avec Abderrahmane El Youssoufi, nouveau Secrétaire national de l’USFP après le décès de Si Abderrahim en janvier 1992.

Le travail acharné et soutenu de la Koutla qui a regroupé les cinq forces d’opposition issues du mouvement national, avec le doigté et la modération d’Abderrahmane El Youssoufi, visait la réalisation de réformes politiques et constitutionnelles profondes et structurantes. Deux révisions constitutionnelles simultanées (1992 et 1996) eurent lieu, grâce aux pressions exercées, accompagnées d’une ouverture sur les Droits de l’Homme comme préalable à un règlement calme et serein du lourd dossier des années de plomb.

Un dossier qui aboutira, quelques années plus tard en début de règne de SM Mohammed VI, dans la foulée du gouvernement de l’alternance consensuelle dirigé par Abderrahmane El Youssoufi. Sur le dossier précis des Droits de l’Homme, l’ont retient l’action militante intense durant les années 90 et qui a permis d’arracher des acquis dont le règlement de la question des exilés.

L’entente historique Istiqlal-USFP

La décennie 90 allait connaître plusieurs évènements dans lesquels Abderrahmane El Youssoufi a joué un rôle de premier ordre, à commencer par les législatives de 1993 marquées par la présentation d’un candidat commun entre l’Istiqlal et l’USFP. Un fait historique que la scène politique nationale doit à l’esprit unitaire et fédérateur qui animait les deux leaders, Boucetta et El Youssoufi.

Le même esprit a dominé durant les années suivantes au rythme d’actions déterminantes avant que la main du ministre de l’Intérieur de l’époque ne tente de brouiller les cartes lors des législatives du 14 novembre 1997 qui connurent une falsification inédite quant à son ampleur. 

L’oppressant obstacle du sempiternel Basr

L’Istiqlal, pourtant premier au scrutin communal du 13 juin de la même année, est tout simplement relégué à la sixième place à peine cinq mois plus tard ! Du jamais vu. La main de Driss Basri a été particulièrement lourde. L’Istiqlal a été classé dans l’ordre derrière l’USFP, l’UC, le RNI, le MP et même le Mouvement Démocratique et Social (MDS), petit parti « sorti » du MP.

Cette attaque frontale sentait le règlement de compte, M’hamed Boucetta ayant refusé, en 1993, de conduire un gouvernement d’alternance (déjà) où siègerait le controversé ministre de l’Intérieur, Driss Basri. L’Istiqlal a dû tenir un Congrès extraordinaire au mois de décembre 1997 où la question de la non-participation au gouvernement en devenir avait dominé les débats, suivi en l’espace de deux mois (février 1998) d’un Congrès ordinaire auquel devait revenir le dernier mot et à l’issu duquel Abbas El Fassi succéda à M’hamed Boucetta. 

Temps des tractations et aube de l’Alternance

Après de très longs et fournis débats entre les congressistes, les délibérations de la plus haute instance de l’Istiqlal, pragmatique et consciente de la sensibilité de la conjoncture, ont ouvert la voie à la participation au gouvernement de l’alternance consensuelle dont la direction avait été confiée par le roi au chef de file de l’USFP, Abderrahmane El El Youssoufi.

L’on retiendra de cet épisode la grande patience d’Abderrahmane El Youssoufi et son pragmatisme. Concevant mal un gouvernement d’alternance sans le Parti de l’Istiqlal, ce stratège qui avait fait de la patience et la modération un catalyseur de confiance et un outil fiable de réalisation des objectifs, avait pris sur lui d’attendre le temps qu’il faudra avant de former son cabinet, soit jusqu’à ce que l’Istiqlal règle la question en interne. Chose qui l’a fait patienter pendant plus de trois mois. Le gouvernement de l’alternance consensuelle pouvait alors mettre en branle un programme axé fondamentalement sur l’ouverture, les « grands chantiers » de réformes, terme cher au regretté AbderrahmanEl Youssoufi.

Mission accomplie… Adieu grand homme

Nommé premier ministre à 74 ans, il va demeurer, du 4 février 1998 au 27 septembre 2002, à la tête d’un gouvernement d’alternance sous lequel s’est déroulée une paisible transition monarchique, suite au décès du roi Hassan II, le 23 juillet 1999. Une page de l’Histoire du Maroc est alors définitivement tournée et l’accession au trône de SM le Roi Mohammed VI marque le début d’une nouvelle ère. La primature de El Youssoufi ne fut pas de tout repos, les attentes politiques et socioéconomiques des Marocains étant aussi nombreuses que diversifiées, voire contradictoires. Et les critiques de son action n’ont pas manqué, allant des rangs de l’opposition à ceux de son propre parti, qu’il a toujours su gérer avec diplomatie. En octobre 2003, Abderrahmane El Youssoufi démissionne de son poste de secrétaire général de l’USFP et met un terme à sa carrière politique.

En ce militant pour la démocratie issu de la matrice du Mouvement national, « le Maroc a perdu un grand leader politique et un grand homme d’Etat », a parfaitement résumé Nizar Baraka.

Yasser AYOUBI








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