L’accord de défense entre le Maroc et l'Azerbaïdjan est désormais en phase de promulgation. Le président azéri, Ilham Aliyev, a apposé sa signature sur la loi portant approbation de l’accord de coopération militaire entre les deux pays, signé à la fin du mois d’octobre, en marge du Salon international de l’aéronautique (Marrakech Air Show 2024), par le ministre délégué chargé de l’Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, et son homologue aerbaïdjanais, le général Zakir Hasanov. Cet accord couvre un ensemble de domaines de coopération, à savoir la formation, l’assistance technique, les exercices conjoints, l'échange d’expertise, la cybersécurité et l’industrie de défense.
Pourquoi l’Azerbaïdjan ?
Contrairement aux autres accords précédemment signés entre les deux pays, celui-ci revêt une importance particulière. Certes, nous sommes dans une étape embryonnaire puisqu’on sait très bien que les partenariats de défense sont comme les récoltes, il leur faut assez de temps pour mûrir. Chacun a besoin de mieux comprendre l’autre avant d’avancer. Pour le Maroc, il s’agit de travailler davantage avec un pays qui est sorti victorieux récemment d’une guerre de nouvelle génération au Haut Karabakh. La guerre de 44 jours, comme on l’a surnommée, a été la première guerre de haute intensité où étaient massivement déployés les drones. Ces armes de rupture sont le fer de lance de la guerre du 21ème siècle, qui sera ultra robotisée.
L’intérêt discret de nos hauts gradés !
L’armée azérie a fait preuve d’une efficacité redoutable en balayant les troupes arméniennes en si peu de temps par une offensive implacable. Cette séquence a été minutieusement suivie par les hauts gradés des Forces Armées Royales qui se sont tournées résolument vers une sorte de dronisation de leur arsenal. Quand nous l’avions rencontré à Bakou en février 2024, le Conseiller du président Aliyev, Hikmat Hajiyev, nous a confié, avant même la signature de l’accord de défense, que son pays était d’ores et déjà prédisposé à coopérer militairement avec le Royaume.
La formation demeure un axe fondamental puisque l’expérience au combat de l’Armée azérie serait vivement sollicitée dans les académies du Royaume, selon nos informations. Cela fait des années que les FAR utilisent de plus en plus souvent les drones pour sécuriser la zone tampon au Sahara contre les incursions du Polisario. Toutes les attaques du front séparatiste furent neutralisées avec un succès incontestable. L’enjeu maintenant est de développer davantage des capacités offensives en perspective d’une guerre de haute intensité qui exige un déploiement massif des drones dans des opérations tactiques complexes. Force est de constater que les armées utilisent quasiment des drones similaires comme les “Bayrakdar TB-2” et les drones israéliens. C’est un trait d’union qui facilite l’échange d’expertise surtout lorsqu’il s’agit d’exercices conjoints entre les armées des deux pays qui sont d’une utilité incontestable vu que cela permet d’améliorer l’interopérabilité dans la conduite des opérations. Ce terme déguisé si souvent employé, parfois abusivement, est simple : ça veut dire apprendre à faire la guerre ensemble par le partage des expériences et l’appropriation mutuelle des tactiques et des doctrines de commandement.
Les yeux rivés sur l’industrie
En plus de la formation, le Maroc s’intéresse manifestement à l’industrie de défense. L'Azerbaïdjan a forgé la sienne même si elle demeure limitée par rapport aux géants internationaux. Pourtant, l'industrie azerbaïdjanaise, que « L'Opinion » a eu l’occasion de découvrir en 2024, est assez développée. L'Azerbaïdjan produit des munitions, tous types confondus, y compris les bombes téléguidées, des pièces d’artillerie, plusieurs types de fusils et des lance-roquettes… Les fabricants locaux aspirent à construire leurs propres chars d’assaut. Les industriels azerbaïdjanais, dont nous avons rencontré quelques uns, sont particulièrement fiers de leur drones de combat et de reconnaissance “It Govan”, produit désormais en série. Pour sa part, le Maroc s’est engagé sur la même voie en se lançant audacieusement dans la fabrication des drones qui, semble-t-il, sont le fer de lance de notre nouvelle industrie locale qui avance petit à petit. C’est pour cette raison que l’échange d’expertise s'avère bénéfique pour les deux parties.
Des intérêts communs
Ce partenariat militaire est le couronnement d’un long parcours de rapprochement politique entre Rabat et Bakou qui dure depuis des années. Maintenant, on peut parler d’une sorte d’entente cordiale tant les deux pays partagent visiblement des intérêts réciproques et une vision commune sur le plan géopolitique. Que Bakou soutienne l’intégrité territoriale du Maroc a manifestement encouragé le Royaume à le considérer comme un allié majeur en Asie. En l’espace de deux années, on a assisté à une dynamique sans précédent entre les deux pays. Les échanges de visites de haut niveau n’ont jamais été si nombreux, la dernière en date étant celle du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, qui a profité de son séjour à Bakou pendant la COP 29 pour découvrir la capitale dont il a sillonné les ruelles en compagnie de la délégation marocaine. Loin d’être une escapade touristique, cette curiosité n’est pas anodine et en dit long sur l’état d’esprit au sein de l’Exécutif marocain. C’est une volonté de mieux comprendre ce pays, qu’on connaissait avant, et qui attache beaucoup d’importance à se rapprocher du Maroc qu’il considère comme un acteur incontournable en Afrique du Nord.
Aussi, le pouvoir azéri a apprécié grandement la position du Maroc durant “sa guerre patriotique” au Haut Karabakh face à l’Arménie en 2021. Raison pour laquelle la convergence de vues sur les causes nationales de l’un et de l'autre a incontestablement donné envie aux deux pays de s'allier davantage même si leur coopération est embryonnaire. Pourtant, tout est là pour passer à la vitesse supérieure. La 2ème commission mixte, tenue le 13 novembre 2023 à Rabat, s’est soldée par cinq accords de coopération dans plusieurs domaines, à savoir le pétrole et le gaz, la protection de l’environnement, la santé, le tourisme… Il y a trois jours, le gouvernement marocain a pris connaissance, durant son Conseil hebdomadaire, de deux accords de coopération relatifs à la logistique et à l'énergie. L'Azerbaïdjan, qui flotte sur un océan de gaz et pétrole, se profile comme un potentiel fournisseur du Royaume qui a commencé à importer du gaz naturel liquéfié des marchés internationaux à partir des ports européens. En définitive, le partenariat maroco-azerbaïdnajais en est encore à ses balbutiements, mais des pas concrets ont déjà été faits comme la suppression des visas.
Anass MACHLOUKH