Depuis quelques semaines, le Département de l’Eau et le ministère de l’Intérieur collaborent afin de contrer la prolifération de puits non-autorisés dans les zones de culture du cannabis. Cette campagne se justifie par les volumes considérables de prélèvements illégaux de ressources hydriques souterraines afin d’irriguer des cultures devenues voraces dans leur consommation alors que le pays traverse une véritable crise de l’eau.
Selon les experts, l’augmentation de la consommation hydrique des cultures de cannabis au Maroc est due à l’utilisation croissante de diverses variétés introduites. Publiée par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, une enquête a estimé le nombre de ces variétés (déjà utilisées dans les champs de cannabis dans le Nord du Royaume en 2013) à une dizaine. « Khardala », « Critical », « Amnésia » ou encore « Gorilla » sont certes des variétés aux caractéristiques assez différentes, mais ont toutes en commun la fâcheuse tendance de dépendre d’un apport conséquent d’irrigation.
Beldi vs Roumi
« Contrairement à la variété autochtone de cannabis dont la culture était pluviale, les nouvelles variétés qui sont actuellement utilisées ont été sélectionnées pour leur capacité de production et de développement rapide. Elles augmentent de taille d’une manière significative par rapport à la souche locale mais, pour cela, elles ont besoin d’apports en eau qui sont importants », affirme Pr Mohamed Fekhaoui, directeur de l’Institut Scientifique de Rabat (IS).
Face à la reconversion des cultures qui depuis plusieurs années privilégient ces variétés introduites, les besoins hydriques (et en intrants chimiques) des agriculteurs de kif ont explosé, d’autant plus qu’ils doivent faire pousser des plantes qui ne sont pas adaptées au contexte climatique du Royaume. « La souche locale de cannabis résulte d’une longue adaptation qui lui permet de résister au stress hydrique en perdant des feuilles par exemple. Les variétés introduites pour leur part ne s’adaptent pas. Elles ont besoin d’un apport conséquent en eau pour se développer, autrement, elles ne survivent tout simplement pas au stress », souligne Pr Mohamed Fekhaoui.
Khardala et Pakistana
Une variété spécifique introduite illustre bien cette mutation de la culture du cannabis au Maroc que les spécialistes appellent « nouvelle culture cannabique » : la « Khardala ». Dans leurs recherches de variétés qui ont un rendement plus important, les cultivateurs ont testé plusieurs semences. C’est ainsi que la Khardala a progressivement remplacé une autre variété hybride : la « Pakistana », abandonnée par les cultivateurs à cause de ses rendements jugés médiocres. « Mais la Khardala est aussi vouée à disparaître et sera un jour remplacée par d’autres variétés (Gaouriya, Critical, Kush, LemonHaze, etc.), à plus fort rendement et à taux de THC plus élevés », souligne une enquête publiée en 2017 sur la plateforme communautaires VIH.org.
En plus des dégâts sanitaires, hydriques et écologiques qu’elle occasionne, la dynamique effrénée et anarchique d’introduction de nouvelles variétés de cannabis menace également de détruire la souche locale dont pourrait dépendre la réussite du chantier de valorisation médicinale entamé par notre pays.
Déclin du kif local ?
« Depuis 2016, avant même que le Maroc n’envisage de mettre en place une filière légale de valorisation médicinale du cannabis, l’Institut Scientifique de Rabat avait réalisé plusieurs études afin de comprendre l’évolution et les spécificités de chaque composante de l’agrosystème marocain de cannabis.
Nous avons dans ce cadre collecté les diverses souches qui sont utilisées dans les zones de culture et notre travail nous a permis de conclure qu’il est devenu difficile de retrouver et d’identifier la variété autochtone du fait de son remplacement, mais également à cause de l’hybridation qu’elle a pu subir avec d’autres variétés », explique le directeur de l’IS.
Un état des lieux que notre interlocuteur estime inquiétant : « Si on veut se lancer dans la valorisation médicinale du cannabis, il faut obligatoirement revenir à la variété autochtone. C’est une condition sine qua non parce que cette variété est la plus adaptée à une valorisation de ce genre, au vu notamment des taux de THC et de CBD qu’elle contient, sans oublier sa résilience et sa faible consommation d’eau ».
Selon les experts, l’augmentation de la consommation hydrique des cultures de cannabis au Maroc est due à l’utilisation croissante de diverses variétés introduites. Publiée par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, une enquête a estimé le nombre de ces variétés (déjà utilisées dans les champs de cannabis dans le Nord du Royaume en 2013) à une dizaine. « Khardala », « Critical », « Amnésia » ou encore « Gorilla » sont certes des variétés aux caractéristiques assez différentes, mais ont toutes en commun la fâcheuse tendance de dépendre d’un apport conséquent d’irrigation.
Beldi vs Roumi
« Contrairement à la variété autochtone de cannabis dont la culture était pluviale, les nouvelles variétés qui sont actuellement utilisées ont été sélectionnées pour leur capacité de production et de développement rapide. Elles augmentent de taille d’une manière significative par rapport à la souche locale mais, pour cela, elles ont besoin d’apports en eau qui sont importants », affirme Pr Mohamed Fekhaoui, directeur de l’Institut Scientifique de Rabat (IS).
Face à la reconversion des cultures qui depuis plusieurs années privilégient ces variétés introduites, les besoins hydriques (et en intrants chimiques) des agriculteurs de kif ont explosé, d’autant plus qu’ils doivent faire pousser des plantes qui ne sont pas adaptées au contexte climatique du Royaume. « La souche locale de cannabis résulte d’une longue adaptation qui lui permet de résister au stress hydrique en perdant des feuilles par exemple. Les variétés introduites pour leur part ne s’adaptent pas. Elles ont besoin d’un apport conséquent en eau pour se développer, autrement, elles ne survivent tout simplement pas au stress », souligne Pr Mohamed Fekhaoui.
Khardala et Pakistana
Une variété spécifique introduite illustre bien cette mutation de la culture du cannabis au Maroc que les spécialistes appellent « nouvelle culture cannabique » : la « Khardala ». Dans leurs recherches de variétés qui ont un rendement plus important, les cultivateurs ont testé plusieurs semences. C’est ainsi que la Khardala a progressivement remplacé une autre variété hybride : la « Pakistana », abandonnée par les cultivateurs à cause de ses rendements jugés médiocres. « Mais la Khardala est aussi vouée à disparaître et sera un jour remplacée par d’autres variétés (Gaouriya, Critical, Kush, LemonHaze, etc.), à plus fort rendement et à taux de THC plus élevés », souligne une enquête publiée en 2017 sur la plateforme communautaires VIH.org.
En plus des dégâts sanitaires, hydriques et écologiques qu’elle occasionne, la dynamique effrénée et anarchique d’introduction de nouvelles variétés de cannabis menace également de détruire la souche locale dont pourrait dépendre la réussite du chantier de valorisation médicinale entamé par notre pays.
Déclin du kif local ?
« Depuis 2016, avant même que le Maroc n’envisage de mettre en place une filière légale de valorisation médicinale du cannabis, l’Institut Scientifique de Rabat avait réalisé plusieurs études afin de comprendre l’évolution et les spécificités de chaque composante de l’agrosystème marocain de cannabis.
Nous avons dans ce cadre collecté les diverses souches qui sont utilisées dans les zones de culture et notre travail nous a permis de conclure qu’il est devenu difficile de retrouver et d’identifier la variété autochtone du fait de son remplacement, mais également à cause de l’hybridation qu’elle a pu subir avec d’autres variétés », explique le directeur de l’IS.
Un état des lieux que notre interlocuteur estime inquiétant : « Si on veut se lancer dans la valorisation médicinale du cannabis, il faut obligatoirement revenir à la variété autochtone. C’est une condition sine qua non parce que cette variété est la plus adaptée à une valorisation de ce genre, au vu notamment des taux de THC et de CBD qu’elle contient, sans oublier sa résilience et sa faible consommation d’eau ».
Omar ASSIF
Repères
Productivité et rentabilité
Au Maroc, selon des témoignages de cultivateurs cités par AFP en 2019, les variétés hybrides utilisées dans les champs de cultures du cannabis seraient 5 à 10 fois plus productives que la variété locale. L’Agence évoque le rendement de 5 à 10 kilos (de haschisch) pour un quintal de cannabis hybride contre 1 kilo seulement pour la variété locale. Le prix de vente reste cependant, selon la même source, plus important pour la « Beldia » : jusqu’à 10.000 dirhams le kilo contre 2.500 dirhams le kilo pour la variété « Critikal » par exemple.
Désastre écologique
Souvent cultivées en été, les variétés hybrides de cannabis mobilisent plus d’eau, mais également plus de main-d’oeuvre et d’intrants chimiques (engrais, insecticides et pesticides). En plus de leur impact hydrique conséquent, leur culture est également une source de pollution chimique des sols et de la nappe phréatique. Pour rester productives, ces variétés doivent régulièrement être réimplantées dans de nouvelles parcelles, ce qui engendre plus de défrichement et de destruction des superficies forestières.
L'info...Graphie
Puits clandestins
Une véritable hémorragie hydrique à soigner d’urgence
Dans un contexte marqué par la baisse de la pluviométrie et de la disponibilité des ressources hydriques, « la lutte contre le prélèvement excessif et illégal pour irriguer des cultures doit concerner les cultures de cannabis qui utilisent des variétés introduites, mais devrait également s’étendre à d’autres cultures tout aussi hydrivores et tout aussi inadaptées aux territoires », estime Pr Mohamed Fekhaoui, directeur de l’Institut Scientifique de Rabat.
À noter que ces derniers mois ont connu une vaste campagne de lutte contre les puits clandestins au niveau de tout le territoire national. S’exprimant à ce sujet il y a quelques jours, M. Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, avait révélé l’ampleur de cette hémorragie hydrique : près de 91% des puits au Maroc ne sont pas autorisés. Un état des lieux que les diverses parties prenantes institutionnelles concernées (bassins hydrauliques en coordination avec les autorités locales notamment) s’attèlent actuellement à la tâche de corriger.
À noter que ces derniers mois ont connu une vaste campagne de lutte contre les puits clandestins au niveau de tout le territoire national. S’exprimant à ce sujet il y a quelques jours, M. Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, avait révélé l’ampleur de cette hémorragie hydrique : près de 91% des puits au Maroc ne sont pas autorisés. Un état des lieux que les diverses parties prenantes institutionnelles concernées (bassins hydrauliques en coordination avec les autorités locales notamment) s’attèlent actuellement à la tâche de corriger.
Etats-Unis
Les cours d’eau impactés par la voracité hydrique du cannabis
L’impact de la culture du cannabis sur les ressources en eau est une problématique qui ne se limite pas au territoire marocain. Les nouvelles variétés de cannabis - plus productives et plus concentrées en substances actives - qui ont fait leur apparition durant ces dernières décennies se sont progressivement étendues dans diverses régions du monde et leur voracité hydrique n’a pas manqué d’impacter ces nouveaux territoires.
Aux Etats-Unis (qui sont l’un des pays où le cannabis est le plus consommé) plusieurs études ont été réalisées pour tenter d’évaluer l’empreinte hydrique du cannabis. C’est le cas notamment de chercheurs de l’Université du Kansas.
« On croyait que la plupart des cultivateurs de cannabis irriguaient avec l’eau de surface. Cependant, des données récentes montrent que dans cette région, l’eau souterraine est souvent la principale source d’approvisionnement pour irriguer les champs », explique l’auteur principal de l’étude qui, par ailleurs, conclut que « le pompage de l’eau pour la culture du cannabis a un impact important sur le débit des cours d’eau, surtout pendant la saison sèche ».
À noter que la légalisation (en Californie) de la vente et de la distribution de cannabis à des fins récréatives a entraîné une augmentation significative des surfaces consacrées à cette culture, qui ont ainsi quasiment doublé entre 2012 et 2016. Aussi, cette tendance explique-t-elle la transformation des cultures qui sont passées d’une irrigation faisant appel aux eaux de surface à un pompage intensif et direct des eaux souterraines.
Aux Etats-Unis (qui sont l’un des pays où le cannabis est le plus consommé) plusieurs études ont été réalisées pour tenter d’évaluer l’empreinte hydrique du cannabis. C’est le cas notamment de chercheurs de l’Université du Kansas.
« On croyait que la plupart des cultivateurs de cannabis irriguaient avec l’eau de surface. Cependant, des données récentes montrent que dans cette région, l’eau souterraine est souvent la principale source d’approvisionnement pour irriguer les champs », explique l’auteur principal de l’étude qui, par ailleurs, conclut que « le pompage de l’eau pour la culture du cannabis a un impact important sur le débit des cours d’eau, surtout pendant la saison sèche ».
À noter que la légalisation (en Californie) de la vente et de la distribution de cannabis à des fins récréatives a entraîné une augmentation significative des surfaces consacrées à cette culture, qui ont ainsi quasiment doublé entre 2012 et 2016. Aussi, cette tendance explique-t-elle la transformation des cultures qui sont passées d’une irrigation faisant appel aux eaux de surface à un pompage intensif et direct des eaux souterraines.
3 questions au Pr Mohamed Fekhaoui
« Le Royaume devrait mettre en place une banque de semences »
Directeur de l’Institut Scientifique de Rabat, et coordinateur de plusieurs études sur l’agrosystème du cannabis au Maroc, Pr Mohamed Fekhaoui répond à nos questions.
- Comment le Royaume peut-il éradiquer les variétés hydrivores de cannabis ?
- Comme dans d’autres cultures, le succès de la filière de valorisation médicinale du cannabis devrait débuter par un bon choix de la variété à utiliser. Actuellement, l’enjeu réside dans l’identification de la souche autochtone de cannabis qui est mieux adaptée, plus résiliente et beaucoup moins hydrivore. À ce stade, il est nécessaire de capitaliser sur le travail qui a déjà été fait afin de parfaire l’état de connaissance au niveau génétique et moléculaire de cette variété. Ce n’est que par la suite que l’on pourra entamer un projet de remplacement progressif des autres variétés introduites.
- De quelle manière peut-on entamer une transformation de ce genre ?
- Je pense que le Royaume devrait mettre en place une banque de semences qui procédera à l’identification et à la conservation de graines issues de la souche autochtone de cannabis. L’objectif à terme serait bien sûr de développer un projet pilote pour multiplier ces graines et les fournir aux agriculteurs. Cela permettrait d’encadrer cette culture, mais aussi d’éradiquer les autres souches introduites afin de mettre un terme aux cultures illicites.
- Combien de temps pourrait prendre un projet de ce genre pour aboutir ?
- Actuellement, l’Etat a délimité les zones où la culture sera autorisée. La deuxième étape logique sera de commencer à donner des licences puis d’encadrer la culture et la valorisation de bout en bout. En parallèle à cela, il faudra également travailler sur la généralisation des bonnes pratiques agricoles et sanitaires. C’est donc un chantier qui ne peut pas aboutir dans l’immédiat, car il faudra au moins quelques années pour achever les diverses étapes.
- Comment le Royaume peut-il éradiquer les variétés hydrivores de cannabis ?
- Comme dans d’autres cultures, le succès de la filière de valorisation médicinale du cannabis devrait débuter par un bon choix de la variété à utiliser. Actuellement, l’enjeu réside dans l’identification de la souche autochtone de cannabis qui est mieux adaptée, plus résiliente et beaucoup moins hydrivore. À ce stade, il est nécessaire de capitaliser sur le travail qui a déjà été fait afin de parfaire l’état de connaissance au niveau génétique et moléculaire de cette variété. Ce n’est que par la suite que l’on pourra entamer un projet de remplacement progressif des autres variétés introduites.
- De quelle manière peut-on entamer une transformation de ce genre ?
- Je pense que le Royaume devrait mettre en place une banque de semences qui procédera à l’identification et à la conservation de graines issues de la souche autochtone de cannabis. L’objectif à terme serait bien sûr de développer un projet pilote pour multiplier ces graines et les fournir aux agriculteurs. Cela permettrait d’encadrer cette culture, mais aussi d’éradiquer les autres souches introduites afin de mettre un terme aux cultures illicites.
- Combien de temps pourrait prendre un projet de ce genre pour aboutir ?
- Actuellement, l’Etat a délimité les zones où la culture sera autorisée. La deuxième étape logique sera de commencer à donner des licences puis d’encadrer la culture et la valorisation de bout en bout. En parallèle à cela, il faudra également travailler sur la généralisation des bonnes pratiques agricoles et sanitaires. C’est donc un chantier qui ne peut pas aboutir dans l’immédiat, car il faudra au moins quelques années pour achever les diverses étapes.
Recueillis par O. A.