Personne n’avait jamais pu retrouver et décrire avec précision l'Azuré corduan (Pseudophilotes panoptes) depuis sa très ancienne et seule découverte au 19ème siècle par l’entomologiste John Henry Leech. Pourtant, des naturalistes à l’œil aiguisé et averti ne cessent de sillonner le Royaume pour observer sa faune et sa flore. "Bien des lépidoptéristes se sont rendus au Maroc pour tenter de le retrouver. Fou d’inventorier la biodiversité microcosmique du Maghreb, c’est depuis 1990 que je cherchais à remettre la main sur ce petit joyau au Maroc, ce qui fut chose faite en mars de cette année, non loin de Chefchaouen" explique Michel Tarrier, entomologiste auteur de cette "redécouverte".
Des espèces remarquables sur les bermes de la route...
"En début de mars, je m’étais arrêté tout bêtement au bord de la route nationale, près d’un joli petit coteau très sauvage, planté d'oliviers, d'amandiers et de figuiers, et libre de pâturage, sur la rive gauche de l'oued qui baigne la splendide vallée de Chefchaouen. J'avais repéré l’endroit depuis 30 ans mais je ne m’y arrêtais pas car nous autres naturalistes cherchons d’abord des sites exceptionnels, éloignés, paradisiaques !" raconte Michel Tarrier depuis la région de Tafraout où il est confiné. "Finalement, j’ai pu recenser dans cette campagne quelque 25 espèces de papillons de jour remarquables, dont certains très rares. J’ai visité le site quatre fois, et chaque matin, en frondaison de broussailles un peu desséchées, je voyais voler un "Petit Bleu" qui me faisait penser à l'Azuré de la Cléonie, une espèce très banale au Maroc. Mais ce dernier vole au ras du sol alors que celui-là volait assez haut, à hauteur d’homme, et quand il était effarouché, il se cachait dans les broussailles. J’en ai capturé deux ou trois, et effectivement il s’agissait bien du fameux Pseudophilotes panoptes, l'Azuré cordouan dont l'existence au Maroc avait été non seulement oubliée, mais contestée" explique l’entomologiste auteur du livre "Papillons du Maroc".
Un papillon victime de son binôme
Si Michel Tarrier est le premier à confirmer la redécouverte de l'Azuré corduan signalé en 1885 dans notre pays, d’autres naturalistes l'avaient peut être observé en le prenant pour un simple et banal Azuré de la Cléonie (Pseudophilotes abencerragus). C’est le cas notamment d'Abdellatif Hermak, un naturaliste marocain qui avait pris une photo du papillon en 2019 dans la région de Bouhachem. "Le binôme panoptes et abencerragus est difficile à différencier. Cependant une fois qu’on l’a bien observé, on commence à remarquer que l’androconie n’est pas de la même forme et que la couleur bleue est différente" précise Michel Tarrier. Cette redécouverte "fortuite" ajoute "une espèce de plus pour le biopatrimoine du Maroc et donc du Continent africain" souligne l’entomologiste qui remarque que les bordures d’autoroutes ainsi que les petites campagnes hébergent souvent "des choses très intéressantes". En ces temps de recul de la biodiversité et de sixième extinction de masse des espèces, une modeste addition n'est pas négligeable!
L'Astragale et la Zygène
Frédérique, l’épouse de Michel Tarrier, a également fait une découverte de ce genre. Non loin du bocage rifain où l’Azuré corduan a enfin été coché, en pleine subéraie cette fois, Frédérique Tarrier a trouvé une Astragale du Portugal (Astragalus lusitanicus), très belle et très rare plante, qui est en temps normal porteuse d’un autre papillon, une zygène rarissime cette fois, découverte il y a 20 ans à Ben Karrich, près de Tétouan et qui avait également disparu depuis un siècle. La présence de cette plante indique qu’il y a de fortes chances pour que la rarissime Zygène soit également présente sur le site. Avec l’avènement des mesures de confinement, le couple n’a malheureusement pas la possibilité d’y retourner pour confirmer définitivement. Mais ce n’est que partie remise...