Annoncée il y a quelques jours, la création d’une nouvelle Joint-Venture entre l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et la société « Les Domaines Agricoles » marque une nouvelle étape dans la collaboration que les deux institutions ont construite depuis plusieurs années. Cette initiative porte le nom de « Daumtech » et capitalise sur plus de quatre ans de Recherche et Développement (R&D) dans le domaine de l’agriculture de précision. L’objectif ultime de Daumtech est clair : « Favoriser l’adoption de pratiques agricoles durables, conciliant efficacité économique et préservation environnementale, visant ainsi à positionner le Maroc comme un hub régional majeur dans le domaine de l’agriculture de précision ». Contacté par nos soins, M. Faissal Sehbaoui, directeur général de Daumtech, souligne que l’atteinte de cette ambition devrait se faire grâce à la poursuite d’un travail en commun où l’UM6P apporte son expertise en matière de digital, tandis que l’expertise agronomique nécessaire est pour sa part fournie par Les Domaines Agricoles.
R&D puis déploiement
« La première phase de travaux de R&D qui ont été menés pendant plusieurs années par les deux institutions avait pour objectif de développer des services d’agriculture de précision, ou bien d’Agritech, qui sont adaptés au contexte marocain. Cette approche s’est fondée sur le fait que l’agriculture est une science régionale. C’est-à-dire que la façon avec laquelle on va développer une culture ici au Maroc n’est pas la même que celle qu’on va suivre pour développer la même culture dans un autre pays. L’agriculture de précision suit la même logique », explique Faissal Sehbaoui. Si l’officialisation de la Joint-Venture est récente, le travail entamé par l’UM6P et Les Domaines Agricoles a déjà abouti à divers outils et services digitaux d’agriculture de précision arrivés à maturité et testés sur le terrain avec les agriculteurs. « La création de Daumtech est une nouvelle étape qui permettra de diffuser et de déployer les résultats vers l’utilisateur final, c’est-à-dire l’agriculteur, au Maroc, mais également dans d’autres pays. Cela bien évidemment en maintenant l’élan de Recherche et Développement », poursuit le DG de Daumtech.
Retour sur investissement
Sachant que la maîtrise des outils de l’agriculture de précision permet de réaliser des économies significatives en matière de ressources hydriques et d’intrants, le défi qui se profile est de garantir un niveau suffisant de technicité chez les agriculteurs qui adoptent cette nouvelle approche de production. « Il convient d’abord de noter que grâce à ses agriculteurs, le Maroc a pu se positionner comme un exportateur important de produits agricoles au niveau international, et cela, en dépit du contexte parfois compliqué qui a marqué ces dernières années », tient à souligner Faissal Sehbaoui, ajoutant que « l’adoption des outils de l’agriculture de précision et la montée en technicité des agriculteurs se font lorsqu’ils constatent que l’investissement nécessaire permet de garantir un retour sur investissement ». Pour cette raison, le travail entamé par l’UM6P et Les Domaines Agricoles s’est fait autant dans les laboratoires de R&D que sur le terrain à travers des plateformes de démonstration où les agriculteurs peuvent directement constater les économies d’eau, d’énergie et d’intrants qui peuvent être atteintes grâce aux outils de l’Agritech tout en optimisant les rendements.
Le Maroc en hub régional
« Le déploiement par le Daumtech des solutions qui ont été développées ces dernières années se fera à très court terme. Il est par exemple question d’outils qui permettent de gérer l’apport de l’azote pour certaines cultures, gérer l’irrigation de précision, ou encore des outils pour calculer l’empreinte carbone de l’agriculteur », annonce notre interlocuteur, ajoutant que la compétitivité des solutions marocaines provient de leur enracinement dans le contexte local et dans la mise à portée de leur utilisation par les agriculteurs. « En parallèle, nous avons lancé un programme de R&D qui cible les cultures de souveraineté alimentaire, de céréales notamment, et les cultures destinées à l’export avec un focus sur les agrumes et les fruits rouges », poursuit M. Sehbaoui. L’ambition de Daumtech est cependant de contribuer à positionner le Maroc comme un hub de solutions d’agriculture de précision. « Pour l’instant, nous travaillons à développer et à déployer des outils d’agriculture de précision qui sont adaptés au contexte marocain, mais nous prévoyons dans un deuxième temps de répliquer notre approche au niveau continental, puis dans d’autres pays et dans d’autres régions du globe », conclut le DG de Daumtech.
3 questions au Pr Aziz Abouabdillah : « L’adoption des pratiques d’agriculture de précision est un impératif, mais également un défi qui s’impose au niveau national »
Enseignant-Chercheur à l’École Nationale d’Agriculture (ENA) de Meknès, Pr Aziz Abouabdillah répond à nos questions concernant la diusion des solutions d’irrigation de précision.
- Quels sont les défis que vous constatez concernant l’adoption des modes efficients d’irrigation par les agriculteurs, notamment le goutte-à-goutte ?
Lorsqu’on parle d’efficience des systèmes d’irrigation, il convient de prendre en considération l’efficience hydraulique qui se réfère à la maîtrise du réseau d’irrigation, mais également de l’efficience agronomique qui est axée sur le bon pilotage de l’irrigation, c’est-à-dire se baser sur des données et informations précises pour apporter la bonne dose d’eau au bon moment. Le goutte-à-goutte est théoriquement un système qui permet d’atteindre une bonne efficience d’irrigation. Cela dit, nous constatons sur le terrain qu’un grand nombre d’agriculteurs (surtout ceux qui disposent de petites superficies) ont souvent une difficulté à faire la transition vers ce mode d’irrigation localisée puisqu’ils s’y convertissent en maintenant des stratégies d’irrigation gravitaire avec une utilisation excessive de l’eau. A cela, s’ajoutent également les problèmes liés à la mauvaise conception, dimensionnement et gestion de ces réseaux, ce qui induit des pertes considérables en eau.
- L’irrigation de précision implique pourtant d’utiliser des réseaux très efficients. De quelle manière est-il possible de garantir une réelle transition vers l’irrigation de précision au Maroc ?
L’adoption des pratiques d’agriculture de précision, en général, et d’irrigation de précision, en particulier, est en effet un impératif, mais également un défi qui s’impose au niveau national. Pour y arriver, je pense que le point fondamental est de veiller à l’implication de l’ensemble des parties prenantes dans le contrôle des réseaux afin de garantir que l’efficience hydraulique soit au rendez-vous. A partir de là, la formation et la sensibilisation des agriculteurs doivent se faire tout en mettant à leur portée des solutions lowcost mais fiables et vulgarisées qui leur permettront d’apporter les bonnes doses d’eau et d’intrants au bon moment. Les solutions techniques existent pour obtenir ces informations relatives au continuum sol, plante et climat. L’enjeu est de faire parvenir ces informations aux agriculteurs de sorte à ce qu’ils puissent les utiliser au niveau parcellaire sans besoin de faire un grand effort d’interprétation technique des données.
- La recherche scientifique prospecte-t-elle d’autres solutions pour permettre d’économiser encore plus les ressources agricoles, notamment hydriques ?
En effet, il existe plusieurs techniques et nouvelles solutions qui permettent d’optimiser les rendements tout en diminuant drastiquement les ressources hydriques. Nous avons mené à l’ENA plusieurs expériences de ce genre, notamment en matière d’irrigation déficitaire, d’irrigation souterraine ou encore l’utilisation d’additifs pour le sol sous forme de gels rétenteurs d’eau qui permettent de diminuer les fuites par percolation. Les résultats obtenus sont très importants puisqu’on arrive à faire des économies d’eau qui sont parfois de l’ordre de 50%.
Définition : Alliance entre agriculture et technologie, née à la fin du siècle dernier
Le concept d’Agriculture de précision a été développé dans les années 80 aux Etats-Unis. Il désigne l’ensemble des techniques combinant agronomie et nouvelles technologies permettant de tenir compte de l’hétérogénéité au sein d’une même parcelle. Ainsi, plusieurs méthodes ont été développées pour optimiser le rendement et tenir compte de cette variabilité des conditions du sol qui peut exister au sein d’une même parcelle. Parmi ces méthodes, l’élaboration de cartes de rendement (Grid-Sampling) qui se fait à travers des prélèvements d’échantillons du sol afin de déterminer ses caractéristiques et d’adapter en conséquence les apports en eau et en intrants. Cependant, c’est surtout l’arrivée des nouvelles technologies, notamment l’adoption du GPS ouvert à l’usage civil dans les années 90, qui a permis une avancée considérable en la matière. Actuellement, l’agriculture de précision se fait à travers plusieurs étapes et nécessite plusieurs outils comme les images satellites ou les drones.
Monde : La transformation mondiale vers les techniques d’agriculture de précision
Le changement climatique, les besoins alimentaires croissants, la tendance grandissante d’adoption des technologies intelligentes dans le secteur agricole, ainsi que les initiatives gouvernementales visant à améliorer l’efficacité des agriculteurs sont quelques-uns des principaux facteurs qui motivent l’adoption de l’agriculture de précision. Selon une récente étude de ce marché mondial, « la tendance à l’adoption varie selon les régions, en termes de technologie et d’investissement, selon les fournisseurs de services dans ces régions. Au niveau mondial, le marché de l’agriculture de précision était évalué à 5147,6 millions de dollars en 2020 et devrait atteindre 10491,45 millions d’ici 2026 ». Ainsi, les projectionnistes estiment que d’ici la fin de 2030, l’agriculture de précision deviendra la tendance la plus influente de l’agriculture. « Les prises de télédétection et de communication au sol permettent d’obtenir des informations en temps réel sur l’équipement via l’application mobile. Les technologies à taux variable (VRT) ont permis aux agriculteurs de prendre des décisions de gestion des terres plus personnalisées, permettant une utilisation plus efficace des intrants tels que les semences, les engrais et les pesticides dans des conditions de terrain variables », souligne l’étude. Si l’agriculture marocaine utilise déjà plusieurs techniques et technologies modernes, une meilleure mise à profit des outils offerts par l’agriculture de précision pourrait s’avérer salutaire en termes d’augmentation des rendements et de réduction de l’utilisation des intrants et des ressources hydriques.