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Culture

Deux voix, deux vies; deux voies, deux choix


Rédigé par Mohamed BERREZOUK le Mercredi 16 Septembre 2020

« Pourvu qu’il soit de bonne humeur » de Loubna Serraj



Loubna Serraj fait son entrée littéraire avec un roman qui traite des rapports de force entre l’homme et la femme où le premier met la seconde sous scellé et exerce sur elle un pouvoir coercitif. À sa manière, l’écrivaine les revisite pour en déballer les ressorts profonds et en souligner les crises et les tensions. Son dessein consiste à dévoiler une vérité douloureuse et ambiguë. Une vérité auscultée, autopsiée, dépeinte au menu à travers deux figures féminines à qui l’auteure prête la parole et qu’elle campe dans deux époques différentes et deux réalités (historique, politique, culturelle, sociale) distinctes. A bien des égards, ‘‘Pourvu qu’il soit de bonne humeur’’ place Maya (la grand mère) et Lilya (la petite-fille) sous le signe de l’antinomie. Autant Maya se soumet aux préceptes de la société holiste, autant Lilya se rebelle contre sa phallocratie aliénante. Si la première se laisse dominer par son mari (Hicham) qui la réifie et en fait un corps assujetti et supplicié, la seconde, au contraire, se délecte de son idylle avec son amant (Rhani) où son corps se réjouit et s’exalte. Pris entre le passé et le présent qui se font écho, le lecteur aura affaire à deux voix parallèles qui relatent respectivement leurs destins, deux femmes qui dévoilent leur psyché, deux êtres qui disent leurs heurs et malheurs, deux corps qui veulent appréhender les substrats de leur relation avec les autres corps. Deux voix, deux vies. Deux voies, deux choix. Ainsi donc, les quatre vocables semblent résumer les mouvements et les couleurs des deux aventures féminines dans ce roman.

 « Me voilà mariée. Me voilà entrée en enfer ».

Cette phrase que Maya profère sur un ton tragique décrit sa condition de femme subalterne, de femme soumise aux diktats de la horde. Son mariage avec Hicham marque un tournant décisif dans sa vie. Aussi passe-t-elle vite du statut de fille autonome, non « encline au mutisme » et capable d’exprimer ses idées sur ce qui se passe ici et ailleurs, au statut d’une épouse hétéronome qui quitte les bancs de l’école et dont la seule fonction consiste à assouvir les appétences sexuelles du mari et lui donner des enfants. C’est à ce nouveau destin, à cette nouvelle vie que sa mère la destine à dessein. Au lendemain des noces, elle lui déclare péremptoirement : « Une bonne épouse est censée faire ce que son mari lui dit et lui dicte. Rappelle-toi cela… Je n’ai pas envie des jérémiades, Maya. C’est cela être une femme ». Si paradoxal que cela puisse paraître, une femme asservie enseigne à une autre femme les leçons de soumission à la puissance mâle. Par son discours, la mère cautionne le pouvoir masculin. Elle semble donc adhérer au système phallocratique et y voit le modèle auquel sa fille doit s’astreindre à tout prix. Elle en assimile les ordres et en devient le héraut.

Qu’elle le veuille ou non, Maya est contrainte d’évoluer dans une société où plusieurs voix l’obligent sans cesse à jouer son rôle d’épouse dominée. Elle n’a pas d’autres choix à faire. C’est ce que d’ailleurs lui rappelle son mari dans un discours : « Tu es ma femme, je fais de toi ce que je veux. », lui assène-t-il pendant l’une de leurs étreintes. Pour souligner le caractère bestial et brutal de celles-ci, Maya a recours, au deuxième chapitre, au polyptote et à l’isotopie de la violence : « violer », « violemment », « violent », « violence », « douleur », « souffrance », « évanouissement », « terreur », « plaie », « sang », « feu », « brutalité », « déchirement » sont les mots qui font montre du spectacle qui tourne à la seule possibilité d’agression entre un sujet dominant et un objet dominé.

Mohamed BERREZOUK







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