Divan marocain de Driss Jaydane est d’une forte inspiration psychanalytique. Le titre installe au centre du récit le noyau dur qu’est la parole et ses fluctuations. Les motifs du roman psychanalytique ne se comptent pas sur les doigts de la main : du titre qui installe la parole révélatrice comme horizon de l’action et de la génération du récit, aux allusions au jargon psychanalytique. La scène centrale de la mise à mort du père et du beau-père banquier est l’axe sur lequel se déploie toute l’action du récit.
La parole ici n’est que l’occasion d’une stratégie qui cherche à atteindre le monde réel, et non celui de la psyché. Si les différents protagonistes (celui qui cherche à rejoindre une villa où des compagnons l’attendent, sa mère, son père et son beau-père banquier, les présumés organisateurs de ce colloque particulier, etc.) n’ont pas de profils nets, c’est que le réel où ils évoluent est tellement morcelé qu’aucune possibilité de vie n’est envisageable. Seule compte l’action (probablement politique) que veulent accomplir les différents personnages qui occupent, tels des squatteurs, cette voix.
Or, la vraie révolte ne passe pas par les grands mots et les slogans. C’est que Divan marocain est un roman « écrit ». La parole des personnages passe par le prisme de la conscience révoltée de l’auteur, Driss Jaydane. Le rapport qu’il entretient avec le verbe est au moins viscéral. En étouffant les mots et les phrases, en bridant la métaphore, en contraignant la syntaxe, en déstabilisant le rythme, par l’accélération ou le ralentissement, l’auteur crée un effet et une émotion qui trahissent sa pensée. La profusion des métaphores morbides et des rapports soudains installés entre les choses et les corps, confère au style de Jaydane une beauté maudite qui coïncide étrangement avec le registre dans lequel il a choisi d’écrire.
Suspendre la parole ne saurait être que le dernier procédé investi par l’auteur. Le vide à la fois typographique et narratif qu’il laisse planer sur son récit manque plusieurs fois d’étouffer le lecteur lui-même, qui, privé de la présence charnelle des personnages, ne sait à quel saint se vouer. La désincarnation de l’histoire (elle n’a pas de héros, celle-là) et de la personne (les personnages ne sont que des voix qui parlent) débouche sur une énigme dont le titre est la seule solution : il s’agit d’une séance de confidence et de confession qui a pour finalité de mettre à nu la psyché malade et déséquilibrée d’un peule en mal de pays et de Père. Le regard de chacun des personnages sur le contexte économique et politique au Maroc atteint son paroxysme lorsqu’ils commencent à se comparer les uns aux autres.
Désespoir du récit qui ne prend pas fin ? Ce n’est pas loin de la vérité. Une fin ouverte comme celle-là nous renvoie au début du récit et boucle la boucle. Le personnage (prototype du Marocain) n’est en fin de compte qu’une possibilité de parole qui n’arrive même pas à désirer ce qu’elle désire. L’anonymat où tombent toutes ses connaissances que le narrateur évoque avec leurs initiales est le signe suprême de la tragédie où ils évoluent. Roman de la parole frustrée ? De la voix du rêve ? Divan marocain est à mi-chemin entre Marx et Freud.
Younès EZ-ZOUAINE, Enseignant-chercheur
La parole ici n’est que l’occasion d’une stratégie qui cherche à atteindre le monde réel, et non celui de la psyché. Si les différents protagonistes (celui qui cherche à rejoindre une villa où des compagnons l’attendent, sa mère, son père et son beau-père banquier, les présumés organisateurs de ce colloque particulier, etc.) n’ont pas de profils nets, c’est que le réel où ils évoluent est tellement morcelé qu’aucune possibilité de vie n’est envisageable. Seule compte l’action (probablement politique) que veulent accomplir les différents personnages qui occupent, tels des squatteurs, cette voix.
Or, la vraie révolte ne passe pas par les grands mots et les slogans. C’est que Divan marocain est un roman « écrit ». La parole des personnages passe par le prisme de la conscience révoltée de l’auteur, Driss Jaydane. Le rapport qu’il entretient avec le verbe est au moins viscéral. En étouffant les mots et les phrases, en bridant la métaphore, en contraignant la syntaxe, en déstabilisant le rythme, par l’accélération ou le ralentissement, l’auteur crée un effet et une émotion qui trahissent sa pensée. La profusion des métaphores morbides et des rapports soudains installés entre les choses et les corps, confère au style de Jaydane une beauté maudite qui coïncide étrangement avec le registre dans lequel il a choisi d’écrire.
Suspendre la parole ne saurait être que le dernier procédé investi par l’auteur. Le vide à la fois typographique et narratif qu’il laisse planer sur son récit manque plusieurs fois d’étouffer le lecteur lui-même, qui, privé de la présence charnelle des personnages, ne sait à quel saint se vouer. La désincarnation de l’histoire (elle n’a pas de héros, celle-là) et de la personne (les personnages ne sont que des voix qui parlent) débouche sur une énigme dont le titre est la seule solution : il s’agit d’une séance de confidence et de confession qui a pour finalité de mettre à nu la psyché malade et déséquilibrée d’un peule en mal de pays et de Père. Le regard de chacun des personnages sur le contexte économique et politique au Maroc atteint son paroxysme lorsqu’ils commencent à se comparer les uns aux autres.
Désespoir du récit qui ne prend pas fin ? Ce n’est pas loin de la vérité. Une fin ouverte comme celle-là nous renvoie au début du récit et boucle la boucle. Le personnage (prototype du Marocain) n’est en fin de compte qu’une possibilité de parole qui n’arrive même pas à désirer ce qu’elle désire. L’anonymat où tombent toutes ses connaissances que le narrateur évoque avec leurs initiales est le signe suprême de la tragédie où ils évoluent. Roman de la parole frustrée ? De la voix du rêve ? Divan marocain est à mi-chemin entre Marx et Freud.
Younès EZ-ZOUAINE, Enseignant-chercheur