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Entente sur les tarifs des cliniques : Le Conseil de la Concurrence doit-il entrer en jeu ?


Rédigé par Saâd JAFRI Mardi 17 Novembre 2020

L’implication du secteur privé dans la prise en charge des cas Covid-19, continue de susciter la polémique, après la grogne sur les factures exorbitantes, l’opinion publique n’exclut pas la possibilité d’une entente anticoncurrentielle sur les prix des soins



Après la polémique sur les factures faramineuses de prise en charge des patients de Covid-19, au sein des cliniques privées, la grogne de l’opinion publique se fait entendre de nouveau, mais cette fois au sujet d’une prétendue entente anticoncurrentielle sur les prix des soins, entre ces dernières. «Nous avons constaté qu’une grande partie des réclamations reçues de la part des patients, affichent le même prix, 60.000 dirhams pour une prise en charge de sept jours en réanimation», nous confie Ouadie Madih, SG de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC). Ce dernier, qui n’exclut pas la possibilité d’une «concertation» anticoncurrentielle entre certaines cliniques, soulève le «devoir» du Conseil de la Concurrence à «s’autosaisir de cette affaire et vérifier la véracité des dires avancés par les patients». 

L’appel du SG de la FNAC demeure légitime, du fait que la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, stipule, dans son article 6, que : «Sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit», notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché «en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse». 

En cas de non-respect de la loi, l’autorité gouvernementale chargée de la concurrence doit informer le Conseil de la Concurrence des investigations qu’elle souhaite entreprendre. Et ce, en lui transmettant les documents en sa possession justifiant le déclenchement d’une enquête.



Des dépassements documentés 
Contacté par nos soins, Khalid Lahlou, Directeur général de l’ANAM (Agence Nationale de l’Assurance Maladie) nous a précisé que la réunion qui s’est tenue le 11 novembre, entre son organisme, le ministère de la Santé et l’Association Nationale des Cliniques Privées (ANCP), a été l’occasion de revenir sur «certains dépassements et abus» qui furent à l’origine de l’indignation de l’opinion publique, et ce, après la réception de quelques réclamations des bénéficiaires de l’AMO. Ceci implique que les plaintes des patients sont documentées. Elles représentent, donc, un terreau favorable à l’ouverture d’une enquête, d’autant plus que la question des tarifs pratiqués dans le privé constitue une problématique depuis plusieurs années. Les professionnels appellent à leur révision du fait qu’ils n’ont pas été revalorisés depuis plus de 15 ans, soulignant qu’il y a un décalage entre ces tarifs et la réalité. Le patron de l’ANAM partage cet avis, il nous a indiqué que le coût de la prise en charge tel qu’arrêté dans la tarification nationale n’est pas adapté aux coûts réels des prestations fournies aujourd’hui, vu l’évolution de la technologie médicale et le prix de certains produits consommables comme l’oxygène et les dispositifs médicaux. Ainsi, l’ANAM a mené des concertations pour aboutir à la révision d’un certain nombre d’actes. Cette dernière a fait l’objet de conventions signées en début d’année, néanmoins, son opérationnalisation demeure bloquée, puisqu’elle n’a pas été signée par la CNOPS. Toute revalorisation telle que préconisée par l’ANCP ne pourra avoir lieu qu’après consultation des organismes gestionnaires (CNSS et CNOPS) et les prestataires de soins, pour veiller à ce que cela ne porte pas atteinte à leurs équilibres financiers, ajoute M. Lahlou en soulignant qu’une commission permanente de suivi, faisant partie de la Convention nationale signée en 2005, s’en occupe. Entre temps, des mesures de contrôle technique et d’inspection ont été enclenchées pour veiller au respect par les cliniques privées de la grille tarifaire (voir repères), et seront poursuivies pour éviter tout abus ou dépassement.

Saâd JAFRI

3 questions à Ouadie Madih

Ouadie Madih
Ouadie Madih
« Il faut plus d’engagement du régulateur pour obliger les cliniques à respecter la loi »

Nous avons contacté Ouadie Madih, SG de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC), pour nous parler des raisons derrière les pratiques frauduleuses des cliniques. 

- Depuis plusieurs jours, les tarifs appliqués par les cliniques privées sont au cœur d’une grande polémique. Comment se fait-il que ces établissements se permettent de fixer eux-mêmes les frais relatifs au traitement de la Covid-19 ?
- La raison principale est que les organes de contrôle ne sont pas suffisamment mobilisés pour endiguer ce genre de pratiques. Il y a également un manque de respect flagrant de la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur et qui imposent à tout fournisseur d’informer le consommateur sur le prix de tout bien ou service qu’il propose, et ce, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié. Il faut donc plus d’engagement des ministères de tutelle pour obliger les cliniques à respecter la loi. Par ailleurs, la nouvelle mouture de tarification, mise en place par le régulateur, et qui est toujours en stand-by, pousse également au non-respect des règles en vigueur. 

- Certaines cliniques privées ont des pratiques contraires à la déontologie, parfois illégales. Qu’en dit la loi sur ces pratiques ?
- Certaines cliniques commettent de manière continue des actes illégaux, comme l’exigence de chèques de garantie, le noir ou encore le refus de fournir des factures. Elles profitent, ainsi, de la vulnérabilité des familles des patients, dans des moments critiques. De plus, elles savent d’emblée que le citoyen lambda ne peut pas les saisir en justice, soit par manque de temps, soit par manque de moyens, donc elles ne se soucient pas des conséquences. La loi dit clairement que tout acte qui tend à faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché, en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, constitue une violation de la libre concurrence et les fraudeurs doivent payer. 

- Selon les professionnels du secteur, l’inadéquation entre les tarifs réels des soins Covid et les tarifs de référence reste un des problèmes majeurs, dont le grand perdant reste le patient. Que faut-il faire pour remédier à cette problématique ?
- Il y a un décalage, ce n’est pas au consommateur de payer le prix. Les fédérations qui représentent les professionnels doivent régler ce problème avec le régulateur et non pas demander aux patients de payer la différence. Ce problème persiste au Maroc depuis plusieurs années, et maintenant il est temps de faire évoluer les choses. 

Recueillis par S. J.

Repères

Grille des tarifs avant et après révision 
La grille fixe 5500 dirhams pour une hospitalisation de dix jours et 1210 dirhams pour le bilan de suivi dans la même période. Par contre, une prise en charge en réanimation coûte 1500 dirhams par jour, selon la grille tarifaire. Dans cette nouvelle mouture signée en début 2020, le tarif du séjour en réanimation est passé de 1.500 DH à 2.500 DH par jour. Quant à celui des soins intensifs, il passe de 1.000 à 1.500 DH par jour. L’hospitalisation médicale passe de 550 DH à 850 DH par jour.
Gare aux fraudeurs ! 
Intervenant, vendredi, lors d’un webinaire organisé à l’initiative de la Société Marocaine des Sciences Médicales (SMSM), Khalid Lahlou a affirmé que «l’ANAM et l’inspection générale du ministère de tutelle sont déjà sur le terrain», soulignant qu’ils ont établi un programme d’enquêtes et de contrôles techniques de certaines cliniques qui ont fait l’objet de réclamations. «Une fois les enquêtes terminées, les décisions vont être prises et les sanctions seront sur la base de la réglementation en vigueur», a-t-il affirmé. 








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