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Entretien avec Omayma Achour : Les filets sociaux sont plus que jamais des stabilisateurs économiques


Rédigé par Bouteina BENNANI Vendredi 5 Juin 2020

La crise sanitaire a constitué et constitue encore un double choc pour l’économie et le marché du travail. L’impact a montré l’importance des filets sociaux pour amortir la perte d’emploi et éviter qu’elle se transforme en handicap pour la société dans son ensemble.



Omayma Achour, professeur Universitaire VSD
Omayma Achour, professeur Universitaire VSD
Quelle sont les répercussions de la pandémie sur l’économie et le marché de l’emploi ?
La crise sanitaire s’est transformée et constitue, dorénavant, un double choc pour l’économie et le marché du travail aussi bien au niveau de l’offre que de l’emploi. La majorité des entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, a connu des pertes de revenus et d’emploi ou carrément la faillite. Les PME et TPE arrivent difficilement à joindre les deux bouts et le plus grand déficient est le secteur de l’informel. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que chaque mois de confinement entraîne une perte de 2 points de pourcentage de croissance du Produit International Brut annuel(PIB). La tendance est actuellement vers la récession économique mondiale où la croissance devient inférieure à la croissance potentielle et où l’écart de production augmente.

Qu’en pensent les économistes ?
Les économistes conjoncturistes estiment que l’économie tend vers un néo-ordre mondial, plus égalitaire et où les qualités humaines vont prendre le dessus. La pensée économique va être déployée au service de l’Homme mais à travers le digital puisque les différentes analyses, au niveau international, ont relevé certaines défaillances. On peut en citer les limites de l’ultralibéralisme et de l’individualisme, la fragilité de la mondialisation (qui nécessitera la révision du fonctionnement des économies) et des politiques publiques, le renforcement des socles de protection sociale et des systèmes financiers.

En parlant de socle social, il semble être le plus mal engagé ?
Dans ce contexte de pandémie du Covid-19, le monde s’est réveillé sur la nécessité de solutions durables et résilientes à tout choc sanitaire ou économique. Des réponses politiques coordonnées, improvisées sur le moment, en matière de préservation sanitaire et sociale, ont certes été bénéfiques aussi bien pour les travailleurs que leurs familles. Elles ont atténué les répercussions économiques indirectes. Seulement, il est nécessaire de renforcer les filets sociaux qui deviennent plus que jamais des stabilisateurs économiques, atout majeur aussi pour restaurer la confiance dans les institutions, les gouvernements, les partis politiques et les syndicats. Il est vrai qu’en l’absence d’un système de prévoyance sociale généralisé, les ressources humaines prennent un coup dur. L’AMO qui a démarré avec feu Abderrahmane Youssoufi s’est étendue progressivement, mais il est temps d’accélérer la mise en place de l’Agence des registres pour l’extension de la protection sociale aux travailleurs du secteur informel, aux non salariés et aux indépendants. Il faut une réelle volonté, loin des agendas politiques pour la mise en place d’une politique sociale harmonieuse et garantir la cohésion et la justice sociales. Chaque pays a géré comme il peut, avec des solutions adaptées, surtout dans le cadre du secteur informel. L’indemnisation des travailleurs et des populations marginalisées et vulnérables s’est faite à travers le digital qui a prouvé son efficacité. Le recours à la technologie mobile, aux services en ligne et aux institutions financières pour les transferts sociaux dans le cadre des systèmes de prévoyance sociale et à la microfinance sont des axes nouveaux.

Le cas du Maroc est pris en exemple…
Le Maroc a géré la crise avec lucidité et sagesse conformément aux hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en adoptant une politique proactive pour limiter la propagation de l’épidémie et atténuer ses répercussions. Une batterie de mesures préventives, incitatives et correctives dans tous les secteurs a été mise en oeuvre, afin de réduire le fossé des inégalités sociales entre les hommes et les femmes. L’accélération de certaines réformes structurelles telles que l’indemnisation des populations vulnérables, l’institutionnalisation du télétravail, l’éducation en e-learning, l’industrialisation des inventions et la digitalisation de l’administration sont des actions louables.

Certains états ont mis en place des mesures protectrices pour aider les entreprises à couvrir leurs coûts fixes. Ils ont institutionnalisé le télétravail, octroyé des crédits aux entreprises fragilisées, suspendu le recouvrement des sommes dues aux diverses administrations (cotisations de sécurité sociale, impôts et services collectifs), octroyé des subventions temporaires pour couvrir les coûts de main-d’oeuvre, à condition que l’emploi soit préservé et donné des allocations de chômage ou de perte d’emploi. Ils ont également augmenté la liquidité des institutions financières pour l’octroi de prêts supplémentaires à des taux d’intérêt très faibles. Ils ont aussi soutenu les petites entreprises ayant réorienté leur production économique en préservant l’emploi, en leur versant des subventions et en leur donnant l’accès aux marchés et réseaux de distribution publics.

Peut-on espérer un après-Covid meilleur, côté ressources humaines et économie de marché ?
Sûrement, puisque les règles du marché de la génération 4.0 et 5.0 vont prendre en considération de nouvelles dimensions technologiques, psychologiques, sanitaires, écologiques, humanitaires et transfrontalières. Au Maroc, il y aura désormais l’avant Covid-19 et l’après Covid-19. Au niveau culturel, la distanciation sociale et le confinement ont permis une autre vision à travers l’inventivité sociétale, le débat à travers les plateformes digitales, la formation en ligne, la solidarité communautaire, l’incertitude, la détresse psychologique liée à la crainte de perte d’emploi… L’absence d’aménagement de foyer pour le télétravail, l’étouffement des libertés dans l’espace privé, le déchirement social (violences), l’incapacité de concentration des étudiants sont autant de bien-faits et aléas qui changent la donne et incitent à la réflexion. Les défis du sevrage des anciennes habitudes ont même incité certaines femmes à démissionner pour gérer leurs familles.

Côté juridique, le confinement a exhibé la révision de lois et l’inclusion de dispositions concernant le télétravail, l’abus des employeurs ou l’immixtion dans la vie privée des travailleurs.

Au niveau économique, selon les estimations internationales, la chute du PIB est estimée entre 3,7 et 4%, ce qui est énorme, c’est une première depuis un demi-siècle. Aussi, selon le Haut-commissariat au Plan, en début d’avril, l’arrêt temporaire ou définitif de 57 % des entreprises a causé une perte de 726 000 postes formels. La question qui se pose est : Le chômage se transformera-t-il en chômage durable ? Quoique le pays ait entrepris des mesures préventives pour redresser l’économie nationale, à savoir, la rationalisation des dépenses publiques, le recours au financement extérieur, l’adaptation du système bancaire et d’autres mesures au profit des entreprises TPME et les professions libérales, l’avenir nous dira si tout a été fait.

Quelles sont les leçons tirées pour le futur ?
En marge de la reprise, les pouvoirs publics sont appelés à plus de précautions afin d’éviter l’endettement excessif des entreprises, en plus de l’adaptation aux nouvelles conditions du marché. La digitalisation des administrations et du secteur privé, la création de plate-formes de service de paiements en ligne et de secteurs de commercialisation s’imposent afin d’accroître les capacités en ligne. Les formations en ligne sur le marketing et la prestation de services numériques est à même d’aider à l’adaptation aux marchés virtuels, donc, à la conjoncture actuelle. Et afin de pallier à la récession économique, la protection sociale est à mettre dans la ligne de mire : solidarité, cohésion sociale durable, gestion économique saine, extension de la protection sociale à tous, réglementation progressive du secteur informel, accélération de l’adoption du projet de loi 72.18 relatif au dispositif de ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social et la création de l’agence nationale des registres. La prévention des pertes d’emploi, la garantie d’allocations chômage et la sécurité de revenus durant le congé-maladie et la situation de la crise ainsi que l’adaptation de procédures de gestion aux situations de crise (affiliation, cotisations…) deviennent nécessaires. Le confinement a explosé le nombre de cas de violences à l’encontre des femmes, d’où la nécessité de la réforme de la loi 103-13, qui a montré ses limites durant ce confinement. Les femmes victimes de violence ont eu pour appui des plateformes électroniques comme « Kolona maak » et l’accompagnement psychologique des associations des droits des femmes. D’où l’intérêt aussi, en marge de la parité sociale, de corriger progressivement les inégalités dans les textes de lois.

Et pour ce qui est du volet économique ?
La stratégie de reconstruction et la redynamisation économique devraient être intégrées, progressives et sectorielles. Il est aussi primordial de revoir la loi des finances 2020, en y intégrant les axes de la stratégie post Covid19. Il faut également adopter une politique de consommation préférentielle relative aux dépenses publiques et privées, prenant en compte la promotion des produits nationaux, artisanaux et touristiques. Le volet qui s’est imposé en cette période est celui de la recherche scientifique, technologique et de l’innovation. D’où l’intérêt de rester dans cette phase de partenariats et de consolidation des relations panafricaines et internationales. Aussi, il est temps d’investir dans le numérique, digitaliser l’administration et les services publics, encourager les start-up dans le secteur de la Fintech, High-tech, gaming. Ce sont des métiers d’avenir qui vont permettre à notre jeunesse de se préparer à l’intégration du marché mondial avec de nouvelles normes internationales.

Recueillis par Bouteina BENNANI








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