Je connaissais Fatna Sarehane de nom, en tant que juriste engagée pour l’émancipation féminine et pour l’égalité des droits. Je la connaissais aussi en sa qualité d’experte du statut du personnel ; elle a fortement milité pour sa réforme.
Je la croisais souvent, mais sans jamais développer notre relation. Ce n’est qu’en 2020 que je vais la connaitre de plus près, d’abord au cours de séances de Yoga et par la suite, dans un cercle de lecture dont elle faisait partie.
En avril 2021, j’aurais enfin l’occasion et l’honneur d’apprécier la femme, le professeur, l’intellectuelle et la militante. Ce jour, elle nous avait reçus chez elle, pour une discussion autour du livre Eloges des identités molles, du Pr Hassan Rachik.
C’est lors de cette rencontre que je vais m’approcher d’elle et apprendre à mieux la connaître.
Fatna est une personne pragmatique, perspicace ; dès les premiers instants de discussion avec elle, on se rend compte qu’elle est d’une intelligence incroyable. Le droit est son domaine et son terrain de prédilection. Mariage, divorce, héritage, droit comparé, droit de la famille, Moudawana ou statut personnel, droit international privé, etc. Ce sont là les thèmes et les points forts de son expertise.
« Je suis issue d’une famille moyenne, c’est notre grand frère qui nous a pris en charge », dira-t-elle en guise de présentation de son parcours. Fatna Sarehane est fortement marquée par l’éducation qu’elle a reçue de ses parents, qui lui ont appris le sens de la modestie et de la satisfaction. « Voisen haut et regardes-en bas pour ne pas fatiguer ton cou », lui disait tout le temps son père.
Son grand frère n’a pas pu terminer ses études. Comme pour conjurer le sort, il va soutenir sa sœur et ses frères de toutes ses forces et dans leurs études supérieures.
Le cheminement de Fatna Sarehane se fera grâce à différentes circonstances de parcours et des rencontres de personnes qui vont croire en elle et en ses capacités. C’est ce qu’elle appelle de la chance !
Elle a d’ailleurs failli être privée de poursuivre ses études au collège, car il fallait prendre un bus pour s’y rendre, chose inadmissible pour l’un de ses frères qui refusait qu’elle se déplace loin de la maison. Un surveillant général l’a sauvée. C’est sa première chance. Elle poursuit au lycée Khansa des études commerciales. Elle en sort avec un diplôme de technicien marocain qui lui ouvre la voix pour le baccalauréat technique et par la suite la faculté de droit, la licence étant en trois ans à cette époque.
Elle souhaitait aller en France pour poursuivre ses études, mais elle n’en a pas les moyens. Sa grande sœur, une deuxième mère pour elle, qu’elle appelle Dada, va vendre ses bijoux pour lui permettre de partir. « C’est une femme extraordinaire, qui a fait des études après sa retraite, ma deuxième mère, elle va vivre après avec moi », dira Fatna, la voix en- rouée par l’émotion en parlant de sa sœur qui n’est plus de ce monde et pour laquelle elle voue une admiration, un amour et une reconnaissance sans bornes. C’est sa troisième chance.
C’est à Paris II, à la Sorbonne plus précisément, qu’elle va obtenir son Diplôme des Etudes Approfondies DEA et enregistrer sa thèse en Droit international privé. La matière qu’elle choisit est réputée être une matière rude car, essentiellement jurisprudentielle. « Ma spécialité était rare. Mon professeur Jean Deprey m’avait dit que c’était une thèse infaisable pour le Maroc. Pour moi c’était un défi », précise-t-elle. Elle opte donc pour une thèse portant sur « le conflit de lois relatifs aux rapports entre époux en droit international privé marocain et tunisien ». Les deux pays avaient la même source de droit : les préceptes de l’Islam et la charia, ce qui composait la base de la « Moudawana et Majala », précise-t-elle. L’objectif étant de savoir comment la Tunisie, pays musulman, a pu avoir un code de la famille bien plus avancé que celui du Maroc. Et aussi de se demander si cette différence en droit interne entre les deux pays, allait se spécialise en matière de conflit de loi. Ses recherches l’amènent à conclure « que les deux systèmes se rejoignent sur un fait de droit, à savoir la place importante de l’Islam dans les solutions de conflit de loi... ».
Elle mettra six ans pour rédiger sa thèse, qu’elle soutient en 1984 avec mention très honorable ; le jury était composé d’éminents professeurs, avec comme directeur de thèse Pierre Baurel, Jean Deprey, qui ne croyait pas au début en la faisabilité de cette thèse, Eleine Gaudm-Tallon et Ibrahim Badellah.
Je la croisais souvent, mais sans jamais développer notre relation. Ce n’est qu’en 2020 que je vais la connaitre de plus près, d’abord au cours de séances de Yoga et par la suite, dans un cercle de lecture dont elle faisait partie.
En avril 2021, j’aurais enfin l’occasion et l’honneur d’apprécier la femme, le professeur, l’intellectuelle et la militante. Ce jour, elle nous avait reçus chez elle, pour une discussion autour du livre Eloges des identités molles, du Pr Hassan Rachik.
C’est lors de cette rencontre que je vais m’approcher d’elle et apprendre à mieux la connaître.
Fatna est une personne pragmatique, perspicace ; dès les premiers instants de discussion avec elle, on se rend compte qu’elle est d’une intelligence incroyable. Le droit est son domaine et son terrain de prédilection. Mariage, divorce, héritage, droit comparé, droit de la famille, Moudawana ou statut personnel, droit international privé, etc. Ce sont là les thèmes et les points forts de son expertise.
« Je suis issue d’une famille moyenne, c’est notre grand frère qui nous a pris en charge », dira-t-elle en guise de présentation de son parcours. Fatna Sarehane est fortement marquée par l’éducation qu’elle a reçue de ses parents, qui lui ont appris le sens de la modestie et de la satisfaction. « Voisen haut et regardes-en bas pour ne pas fatiguer ton cou », lui disait tout le temps son père.
Son grand frère n’a pas pu terminer ses études. Comme pour conjurer le sort, il va soutenir sa sœur et ses frères de toutes ses forces et dans leurs études supérieures.
Le cheminement de Fatna Sarehane se fera grâce à différentes circonstances de parcours et des rencontres de personnes qui vont croire en elle et en ses capacités. C’est ce qu’elle appelle de la chance !
Elle a d’ailleurs failli être privée de poursuivre ses études au collège, car il fallait prendre un bus pour s’y rendre, chose inadmissible pour l’un de ses frères qui refusait qu’elle se déplace loin de la maison. Un surveillant général l’a sauvée. C’est sa première chance. Elle poursuit au lycée Khansa des études commerciales. Elle en sort avec un diplôme de technicien marocain qui lui ouvre la voix pour le baccalauréat technique et par la suite la faculté de droit, la licence étant en trois ans à cette époque.
Elle souhaitait aller en France pour poursuivre ses études, mais elle n’en a pas les moyens. Sa grande sœur, une deuxième mère pour elle, qu’elle appelle Dada, va vendre ses bijoux pour lui permettre de partir. « C’est une femme extraordinaire, qui a fait des études après sa retraite, ma deuxième mère, elle va vivre après avec moi », dira Fatna, la voix en- rouée par l’émotion en parlant de sa sœur qui n’est plus de ce monde et pour laquelle elle voue une admiration, un amour et une reconnaissance sans bornes. C’est sa troisième chance.
C’est à Paris II, à la Sorbonne plus précisément, qu’elle va obtenir son Diplôme des Etudes Approfondies DEA et enregistrer sa thèse en Droit international privé. La matière qu’elle choisit est réputée être une matière rude car, essentiellement jurisprudentielle. « Ma spécialité était rare. Mon professeur Jean Deprey m’avait dit que c’était une thèse infaisable pour le Maroc. Pour moi c’était un défi », précise-t-elle. Elle opte donc pour une thèse portant sur « le conflit de lois relatifs aux rapports entre époux en droit international privé marocain et tunisien ». Les deux pays avaient la même source de droit : les préceptes de l’Islam et la charia, ce qui composait la base de la « Moudawana et Majala », précise-t-elle. L’objectif étant de savoir comment la Tunisie, pays musulman, a pu avoir un code de la famille bien plus avancé que celui du Maroc. Et aussi de se demander si cette différence en droit interne entre les deux pays, allait se spécialise en matière de conflit de loi. Ses recherches l’amènent à conclure « que les deux systèmes se rejoignent sur un fait de droit, à savoir la place importante de l’Islam dans les solutions de conflit de loi... ».
Elle mettra six ans pour rédiger sa thèse, qu’elle soutient en 1984 avec mention très honorable ; le jury était composé d’éminents professeurs, avec comme directeur de thèse Pierre Baurel, Jean Deprey, qui ne croyait pas au début en la faisabilité de cette thèse, Eleine Gaudm-Tallon et Ibrahim Badellah.
« J’ai fait des tapis quand j’étais petite, je sais ce que c’est ».Fatna Sarehane, Al Jawâ, la ferveur
Fière du travail accompli, elle retourne au Maroc pour intégrer un poste qui lui était réservé à la Faculté de Droit de Fès. Elle reçoit une douche froide, son poste était déjà attribué. Elle se rabat sur la Faculté de Droit de Marrakech. Elle aura un entretien pas très concluant avec un doyen désireux de recruter un docteur pour travailler pour lui !
Sa quatrième chance était là au tournant d’un couloir de l’Université Hassan II de Casablanca. Grâce à une rencontre imprévue avec une amie, elle obtient enfin le rendez-vous qu’elle avait longtemps sollicité avec le doyen. Une semaine après elle avait son poste d’enseignante. Mais la matière qui lui était affectée, « Etude à l’introduction du Droit musulman », cours devant être assuré en arabe, était loin de ses attentes et a constitué pour elle un nouveau défi à relever.
Durant la préparation de ce cours, un des plus difficiles et compliqués à cette époque de montée de l’Islamisme, laquelle époque était influencée par les doctrines des pays du Golfe, elle se posera de nombreuses questions, dont celle qui pourrait paraître à bien des égards superficiels : comment devra-t-elle s’habiller ? « J’ai choisi de rester moi- même et j’ai été sincère avec mes étudiants pour ma faiblesse en langue arabe ». Le fond étant le plus important. Et le fond y était et avec brio. À la fin du cours elle sera applaudie et félicitée aussi bien par les étudiants, que par le doyen et les collègues.
Fatna Sarehane était devenue, à partir de ce moment, la star de l’Université Hassan II et la coqueluche des médias.
« J’ai avoué ma faiblesse et j’ai gagné en considération », reconnait-elle, avec toujours un ton de fierté, malgré les années qui se sont écoulées depuis ce premier cours.
L’introduction au droit musulman est un cours très difficile, en général. Il focalise toutes les tensions et les tiraillements des différentes doctrines. Sa méthodologie à elle, était de faire parler les autres. À titre d’exemple, pour expliquer la question fort controversée de la polygamie, elle dira : « le prophète a interdit à Ali d’épouser une deuxième femme », laissant à l’amphi l’opportunité de s’exprimer et de tirer ses propres conclusions.
Ce cours a été pour elle une très belle expérience, peut-être l’expérience qui fera d’elle la grande Fatna Sarehane, la juriste avérée, l’intellectuelle qui a su manier les préceptes de l’Islam, de la Charia et du droit.
À côté de son métier d’enseignante, Fatna est une grande militante, notamment pour les droits des femmes. Grâce à la revue Femmes du Maroc et sa rubrique droite, elle a pu connaître les problèmes des femmes marocaines et les contraintes imposées par la Moudouwana.
À cela, il faut aussi ajouter tout le travail effectué au sein de différentes associations de défense des droits des femmes et son engagement total et courageux pour la réforme de la Moudawana. Son travail se poursuit à ce jour, pour améliorer le code de la famille et répondre aux aspirations des femmes et à l’évolution de la société.
Cette spécialité du droit de la famille lui a permis d’enseigner dans de nombreuses universités internationales, notamment à Nanterre Paris, et d’intégrer un groupe de recherche à Lyon III. Elle anime des émissions d’une grande qualité sur la chaîne de télévision 2M en tant qu’experte sur les questions des femmes.
Sa quatrième chance était là au tournant d’un couloir de l’Université Hassan II de Casablanca. Grâce à une rencontre imprévue avec une amie, elle obtient enfin le rendez-vous qu’elle avait longtemps sollicité avec le doyen. Une semaine après elle avait son poste d’enseignante. Mais la matière qui lui était affectée, « Etude à l’introduction du Droit musulman », cours devant être assuré en arabe, était loin de ses attentes et a constitué pour elle un nouveau défi à relever.
Durant la préparation de ce cours, un des plus difficiles et compliqués à cette époque de montée de l’Islamisme, laquelle époque était influencée par les doctrines des pays du Golfe, elle se posera de nombreuses questions, dont celle qui pourrait paraître à bien des égards superficiels : comment devra-t-elle s’habiller ? « J’ai choisi de rester moi- même et j’ai été sincère avec mes étudiants pour ma faiblesse en langue arabe ». Le fond étant le plus important. Et le fond y était et avec brio. À la fin du cours elle sera applaudie et félicitée aussi bien par les étudiants, que par le doyen et les collègues.
Fatna Sarehane était devenue, à partir de ce moment, la star de l’Université Hassan II et la coqueluche des médias.
« J’ai avoué ma faiblesse et j’ai gagné en considération », reconnait-elle, avec toujours un ton de fierté, malgré les années qui se sont écoulées depuis ce premier cours.
L’introduction au droit musulman est un cours très difficile, en général. Il focalise toutes les tensions et les tiraillements des différentes doctrines. Sa méthodologie à elle, était de faire parler les autres. À titre d’exemple, pour expliquer la question fort controversée de la polygamie, elle dira : « le prophète a interdit à Ali d’épouser une deuxième femme », laissant à l’amphi l’opportunité de s’exprimer et de tirer ses propres conclusions.
Ce cours a été pour elle une très belle expérience, peut-être l’expérience qui fera d’elle la grande Fatna Sarehane, la juriste avérée, l’intellectuelle qui a su manier les préceptes de l’Islam, de la Charia et du droit.
À côté de son métier d’enseignante, Fatna est une grande militante, notamment pour les droits des femmes. Grâce à la revue Femmes du Maroc et sa rubrique droite, elle a pu connaître les problèmes des femmes marocaines et les contraintes imposées par la Moudouwana.
À cela, il faut aussi ajouter tout le travail effectué au sein de différentes associations de défense des droits des femmes et son engagement total et courageux pour la réforme de la Moudawana. Son travail se poursuit à ce jour, pour améliorer le code de la famille et répondre aux aspirations des femmes et à l’évolution de la société.
Cette spécialité du droit de la famille lui a permis d’enseigner dans de nombreuses universités internationales, notamment à Nanterre Paris, et d’intégrer un groupe de recherche à Lyon III. Elle anime des émissions d’une grande qualité sur la chaîne de télévision 2M en tant qu’experte sur les questions des femmes.