Les internautes disent non au français
Interagissant avec la campagne, l’influenceuse et doctorante chercheuse Farah Achbab a estimé que l’anglais est «la langue de la recherche scientifique vu que plus de 80% des références scientifiques sont publiées en anglais ». L’influenceuse a cité le classement des langues à l’échelle mondiale, expliquant que «la langue française occupe la neuvième place dans la liste des langues les plus parlées dans le monde, par rapport à la langue anglaise, qui arrive en tête de liste».
D’autres internautes énumèrent d’autres avantages de la langue de Shakespeare tels que sa « facilité » à apprendre par rapport à son homologue française. Largement partagée, une vidéo de l’ancien Premier ministre français appelant ses citoyens à apprendre l’anglais car cela garantira leur avenir tout en leur demandant de passer un test d’anglais après l’obtention de leur diplôme avec un financement de l’État, a poussé les internautes à se demander pourquoi ne pas étudier l’anglais directement en premier lieu.
Contacté par nos soins, Samir Benmakhlouf, directeur général de la London Academy de Casablanca, a déclaré que « l’anglais, pratiqué par deux milliards de personnes, ne pourra qu’ouvrir diverses opportunités, éducatives et professionnelles, aux Marocains », ajoutant que « nous avons, aujourd’hui, un frein d’accès au marché de l’emploi international du moment que nous n’avons pas la langue anglaise de manière native ». Ajoutant « qu’il est temps pour une reconfiguration de l’architecture pédagogique au Maroc et d’accorder une plus grande importance à l’anglais ».
Le français, un choix réversible selon Amzazi
S’exprimant lors d’une conférence de presse consacrée à la présentation du bilan d’étape de la mise en oeuvre de la vision stratégique de la réforme 2015-2030 et des chantiers prioritaires au titre de l’exercice 2019, le ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Said Amzazi, a déclaré que l’utilisation de la langue française dans l’enseignement des matières scientifiques était un «choix irréversible».
Mais pourquoi le français ? Un choix par défaut, répond Amzazi. Pour le moment, les professeurs de français sont majoritaires. Le ministre a néanmoins garanti la formation, d’ici une dizaine d’années, de professeurs capables d’enseigner en anglais.
Bachelor, prémices de reconversion vers le système anglophone
Après 18 ans de système LMD (Licence, Master, Doctorat), les universités marocaines s’apprêtent à mettre en application le système Bachelor, diplôme très en vogue dans les pays anglo-saxons. Il ne s’agit pas d’un changement du modèle francophone vers le modèle anglo-saxon, mais d’«un clivage vers une nouvelle orientation » du système marocain dans le but de “diversifier l’offre” en matière d’éducation et d’offrir aux lauréats des universités marocaines l’opportunité de poursuivre leurs études dans des écoles britanniques”, avait expliqué M. Amzazi. Ce nouveau système anglophone qui met l’accent sur les langues étrangères, le savoir-être, les soft skills, les life skills, les civic et professionnal skills.
« La formation future en Bachelor va sûrement changer en bien la réputation des étudiants universitaires du point de vue compétence et adéquation de leur formation avec le marché du travail national et international », nous a confirmé Mohammed Benlemlih, Doyen de la Faculté des Sciences Dhar El Mahraz.
La revendication d’une grande partie de Marocains d’avoir un enseignement en anglais ne peut être que plus légitime dans ce contexte de mondialisation et du développement continue de la science et de la technologie dont les pays anglophones sont les premiers acteurs.
Toutefois, vu le fiasco annoncé de notre système éducatif, prouvé par moult rapports officiels et classements mondiaux, la langue choisie ne doit représenter qu’un outil de travail et un véhicule d’acquisition et de transmission des connaissances. Le vrai débat doit porter sur le contenu de l’enseignement, les méthodes pédagogiques employées, les moyens à mettre en oeuvre, le statut de l’enseignant et sa place dans la société, la gouvernance du système…
Hiba CHAKER
L’anglais s’affirme au Maroc
L’étude « Shift to English » du British Council, publiée le mois d’avril, a révélé que 40% contre 10% des personnes interrogées ont exprimé leur préférence pour l’anglais que pour le français, tandis que respectivement 65% contre 62% ont estimé que la langue anglaise est légèrement plus importante à apprendre que l’arabe ou le français. 83% estiment que l’anglais leur donnera accès à une éducation de meilleure qualité et les aidera davantage à trouver du travail ou à étudier à l’étranger. Ainsi, 79% supposent que si l’anglais devient la deuxième langue principale du Maroc, cela soutiendrait davantage les ambitions du pays de devenir un centre d’affaires international et la porte de l’Afrique.
Covid-19, un mal pour un bien
La crise sanitaire a mis en évidence le rôle essentiel que jouent les technologies numériques. Les plateformes et les applications en ligne sont devenues des outils de premier choix, y compris pour l’apprentissage des langues étrangères, à leur tête l’anglais. L’étude a alors souligné que les écoles, les films et les séries télévisées sont les principales plateformes où la « génération Netflix » au Maroc développe et pratique davantage ses compétences linguistiques en anglais. Les trois principales plateformes d’apprentissage de l’anglais sont d’abord l’école (37%), ensuite les films ou les séries télévisées (25%) et enfin l’internet (17%), peut-on lire dans la même étude.
L'info...Graphie
Enseignement supérieur
Lancement du projet «Campus connecté»
Le programme, qui fait partie des chantiers de mise en oeuvre de la loi-cadre 51-17 sur la réforme du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique, consiste à mettre à la disposition des étudiants, des cadres pédagogiques et administratifs une plateforme technologique performante via l’équipement des établissements et cités universitaires en réseau Internet haut débit (WIFI6).
Le nouveau système permettra à l’étudiant d’accéder à distance aux ressources numériques de son établissement, souligne le ministère dans un communiqué, notant que «Campus connecté» aspire également à élargir l’accès aux ressources Intranet au profit des étudiants là où ils se trouvent au Maroc.
En outre, le projet comprend le programme «MARWAN» (Moroccan Academic and Research Wide Area Network) destiné à répondre aux besoins croissants des universités en termes de bande passante et de services réseau avancés.
Le programme «MARWAN» s’appuie sur l’évolution internationale des technologies de communication et vise à améliorer la qualité, le service et l’architecture du réseau afin de répondre aux exigences liées à la modernisation de l’université marocaine. Connecté au réseau GEANT qui sera réservé uniquement au trafic académique, «MARWAN» offre dans sa nouvelle topologie une infrastructure d’information et de communication entre les établissements de formation et d’enseignement et avec des réseaux européens.
3 questions à Mehdi Haidar, sociolinguiste et professeur chercheur à la Faculté des sciences de l’éducation à Rabat
« Le passage du français à l’anglais ne peut pas survenir du jour au lendemain »
- Ça s’explique par la volonté populaire et officielle d’apprendre/enseigner plus cette langue et de lui donner plus de place dans le paysage sociolinguistique marocain. Choix opportun vu que l’anglais est la lingua franca mondiale du 21ème siècle. Au niveau populaire, la mondialisation a fait de l’anglais une langue invasive. Elle est la principale porte de la culture sur internet. En plus, sa facilité, en raison de l'ensemble des réformes qu’elle a connues encourage les apprenants. Le Basic English par exemple, avec un vocabulaire qui ne dépasse pas 1500 mots, est fonctionnel partout dans le monde.
- Est-ce que cela implique qu’il faut instaurer un nouveau système pédagogique basé sur la langue anglaise ?
- Le compromis qui a été établi par le Conseil supérieur de l’éducation en enseignant dans les 4 langues (FR, ANG, Arabe et Amazigh) me paraît correct, car il instaure un vrai plurilinguisme au Maroc. Le danger est de parler de remplacement, d'abord parce que ça ne peut pas survenir du jour au lendemain, vu qu’il rentre dans ce qu’on appelle l’aménagement linguistique qui comprend quatre principales étapes à savoir : l’analyse du besoin, la définition des objectifs de la politique linguistique et la planification linguistique qui consiste à planifier les ressources dont on a besoin, le temps, les compétences et les moyens à utiliser avant de passer finalement à l’action. C’est une décision qui nécessite beaucoup de travail et de temps.
- Vous prônez alors le multilinguisme au lieu du remplacement du français par l’anglais ?
- On ne peut pas rater le train de développement en restant attachés seulement au français. Comme on ne peut pas calquer notre système d’éducation sur celui du moyen orient ou d’autres pays. Le Maroc est riche par son plurilinguisme. L’ajout de l’anglais nous permettra, en plus de notre ouverture économique sur la France et l’Afrique francophone, de nous ouvrir sur d’autres pays anglophones. Donc je dirai oui pour l’anglais, non pour le remplacement du français par l’anglais.
Recueillis par Hiba CHAKER