
Le Maroc figure parmi les premiers pays à avoir engagé une politique nationale d’inventaire du patrimoine immatériel.
À Rabat, la consultation nationale d’un projet inédit s’est ouverte ce 21 avril 2025. Il s’agit en l’occurrence de l’Atlas international du patrimoine alimentaire, une initiative mondiale de l’Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) qui vise à inventorier les traditions culinaires en tant qu’éléments du patrimoine culturel immatériel. «Ce projet novateur, financé par le ministère de la Culture du Royaume d’Arabie Saoudite et réalisé avec le ministère marocain de la Culture, s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée en 2003», souligne un communiqué de l’UNESCO. Le projet repose sur une plateforme numérique multilingue et sur une série de consultations nationales destinées à recenser les savoir-faire, pratiques et rituels liés à l’alimentation. Le lancement au Maroc marque l’ouverture de la phase pilote du projet, avec des ateliers thématiques, des enquêtes de terrain et des opérations de collecte dans les différentes régions du pays.
Des traditions fragilisées
Selon l’UNESCO, près de 40% des éléments inscrits sur ses listes concernent des savoir-faire liés à l’alimentation : des fêtes saisonnières, des rituels agricoles, des manières de cuisiner ou de partager les repas. Mais ces traditions sont aujourd’hui menacées. La disparition de certains produits locaux, l’abandon des pratiques agricoles ancestrales et l’évolution des modes de vie entraînent une érosion rapide de ces connaissances. Le projet se veut une initiative à même de répondre à ces défis en documentant les pratiques à risque, en produisant des contenus visuels et sonores, et en créant des outils pédagogiques pour les écoles. Il s’agit aussi de mettre en avant la valeur sociale et environnementale des traditions alimentaires, comme vecteur de cohésion, d’inclusion et de durabilité. Dans les mois à venir, plusieurs campagnes de terrain seront menées au Maroc, en lien avec les universités, les collectivités locales et les porteurs de traditions.
Le Maroc en tête de liste
Le Maroc figure parmi les premiers pays à avoir engagé une politique nationale d’inventaire du patrimoine immatériel. Depuis l’adoption de la Convention de 2003, le Royaume a inscrit quinze éléments sur les listes de l’UNESCO, dont cinq liés directement aux pratiques alimentaires. On y trouve le Festival des cerises de Sefrou, les savoir-faire liés à l’arganier, mais aussi des inscriptions partagées, comme le couscous (inscrit avec l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie) ou la diète méditerranéenne (avec sept autres pays). «En participant activement au projet Food Atlas de l’UNESCO, le Maroc met en valeur la richesse de ses traditions culinaires comme expression vivante de son patrimoine immatériel. Aux côtés des communautés locales, il œuvre à la préservation de savoir-faire transmis de génération en génération, affirmant le lien profond entre alimentation, identité culturelle et développement durable», a déclaré Mustapha Jlok, Directeur du patrimoine culturel.
Ancrage territorial
Le projet ne vise pas seulement à archiver. Il entend renforcer les capacités des communautés locales à documenter et transmettre leurs propres savoirs. Des ateliers seront organisés avec des associations culturelles, des coopératives, des porteurs de traditions et des jeunes. L’approche est participative : chaque pays pilote définira ses priorités. Pour le Maroc, l’objectif est aussi de valoriser la diversité des terroirs et des contextes agroécologiques (zones montagneuses, oasis, littoraux) qui donnent naissance à des pratiques spécifiques. «Ce que nous mangeons dit beaucoup de ce que nous sommes», a rappelé Eric Falt, directeur régional de l’UNESCO pour le Maghreb. A noter que la publication de la première version de l’Atlas international du patrimoine alimentaire est prévue en 2027. Elle constituera une vitrine mondiale pour les traditions alimentaires, appelées à jouer un rôle dans les politiques de développement culturel et touristique des pays participants.
3 questions à Lahlou Abdelati, anthropologue : «Même si certaines bases sont partagées, les préparations, les styles et les déclinaisons restent propres à chaque pays»

Anthropologue et enseignant-chercheur à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Lahlou Abdelati répond à nos questions.
- À votre avis, pourquoi est-il important pour un pays comme le Maroc de documenter et de valoriser ses traditions alimentaires, au-delà de leur simple valeur gastronomique ?
- Comment expliquer que certains produits ou savoir-faire locaux, longtemps considérés comme ordinaires, deviennent aujourd’hui des symboles patrimoniaux ?
- Certains savoir-faire liés à la nourriture sont partagés avec d’autres pays méditerranéens. Est-ce que cela affaiblit ou renforce leur dimension patrimoniale ?