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Interview avec Ali Jafri : "la production du pain au Maroc nécessite un meilleur contrôle"


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 3 Février 2021

Une étude menée par la Fédération Marocaine des Droits du Consommateur (FMDC) soutient que le pain consommé dans le Royaume présente des risques pour la santé des Marocains. Explications d’expert.



Ali Jafri
Ali Jafri
Ali Jafri, enseignant-chercheur à l’Université Mohammed VI des Sciences de la Santé et membre exécutif de la Société Africaine de Nutrition (ANS), nous livre des éléments de réponse. 

- Aliment central et ancestral au Maroc, le pain mis sur le marché fait l’objet de polémique ces derniers jours, certains parlent de dysfonctionnements et d’irrégularités dans sa fabrication. Comment évaluez-vous l’état du pain produit au Maroc ?
- Au Maroc, le pain est un produit de base sacré dans la culture culinaire marocaine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les autorités ont choisi la farine de blé tendre comme vecteur de lutte contre l’anémie ferriprive dans leur campagne de fortification de certains produits alimentaires.

Toute irrégularité dans son processus de fabrication risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur la santé d’une grande partie de la population puisque les enquêtes de consommation des ménages montrent une grande consommation du pain blanc. La polémique actuelle autour du pain comporte deux aspects : le non-respect des textes de réglementation et des guides de bonnes pratiques (utilisation de farines inappropriées, sur-utilisation du sel, ajout de sucre) ainsi que l’effet de la consommation du pain sur la santé (chose qui dépend aussi bien du processus de fabrication, de conservation que de la nature du pain consommé).

L’effet de la consommation du pain sur la santé dépend tout d’abord du type de pain consommé et ce choix va dépendre de certains facteurs comme le prix, le goût ou encore la disponibilité. Grâce aux campagnes de sensibilisation, les gens savent mieux maintenant que le pain complet est plus recommandé en raison de sa richesse en fibres alimentaires qui protègent contre certaines conditions, comme la constipation et le cancer colorectal. Le deuxième aspect qui peut avoir un effet sur la santé concerne la qualité de la farine (résidus de pesticides, mycotoxines) qui a d’ailleurs soulevé une polémique il y a quelques années à cause de problèmes de mauvais stockage des farines. 

- Quels effets pourrait avoir le pain sur la santé des consommateurs au cas où les dosages de sel ou de sucre ne sont pas respectés ?
- La surconsommation du sel peut augmenter le risque d’hypertension artérielle, d’accidents vasculaires, de cancer de l’estomac et d’ostéoporose. Dans une étude publiée en 2017, nous avons trouvé que le pain blanc contient environ 17 g de sel par kilogramme chez les vendeurs à Casablanca, ce qui équivaut à un apport d’environ 8 grammes de sel par personne et par jour rien qu’à partir du pain, une quantité qui dépasse largement les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cette étude, première de son genre au Maroc, menée sous la direction du Professeur Derouiche Abdelfettah, a été le fruit d'une collaboration entre la Faculté des Sciences Ben M'Sik (Université Hassan II de Casablanca) et l'association Tous Avec le Cœur.

Pour ce qui est du sucre, en principe, il ne devrait pas être intégré dans la préparation du pain, et ce, du fait que son utilisation peut augmenter l’indice glycémique d’un aliment où il est déjà élevé, sans oublier qu’il est également susceptible d’augmenter le risque d’obésité et des maladies qui y sont associées. 

- Que dit la loi sur le respect des dosages ?
- La fabrication du pain commercial au Maroc est régulée par le Décret n°2-74-614 du 15 janvier 1975. Les textes de lois réglementent la quantité et la nature de farine utilisée dans chaque type de pain, mais non pas l’usage des autres ingrédients. Le guide des bonnes pratiques de la Fédération Nationale de la Boulangerie et Pâtisserie (FNBP) contient des directives quant à l’usage du sel dans la fabrication du pain. En 2016, une feuille de route a été initiée par les acteurs clés (le ministère de la Santé, la FNBP et des universitaires) pour réduire graduellement l’usage du sel dans le pain tout en insistant sur l’importance d’interdire l’ajout du sucre dans la préparation.

Des études conséquentes dans la ville de Casablanca ont montré un début de baisse du niveau de sel dans le pain blanc. Toutefois, il faut conduire plus d’études au niveau national, pour avoir une vision macro sur le respect des normes dans l’ensemble des régions du Royaume. Il faut également multiplier les audits et les inspections, au niveau des producteurs de pain, car la négligence expose les consommateurs aux multiples pathologies que nous avons citées. 

- Le pain du secteur informel est également au cœur de la polémique, faut-il s’en méfier ?
- Il est difficile de quantifier et vérifier la production du secteur informel, ce qui rend difficile la réponse à cette question. Les autorités doivent fournir un effort très conséquent de recensement et d’analyse des produits vendus pour estimer premièrement leur risque puis trouver des solutions pour les intégrer dans le circuit formel. Vendu par des marchands ambulants, le pain produit dans le secteur informel ne dispose souvent pas des conditions d’hygiène adéquates, ce qui fait planer un risque sur la santé des consommateurs. D’autant plus que les conditions dans lesquelles le pain est vendu dans les souks et transporté dans des charrettes, sont déplorables, surtout qu’il reste exposé à la fumée générée par le trafic routier. Donc oui, il faut se méfier, mais tout ne dépend pas des citoyens, car les autorités doivent fournir davantage d’efforts pour remédier à ce problème structurel. 

Recueillis par Anass MACHLOUKH

Bio

Ali Jafri, ou la passion de la nutrition 
Ali Jafri est expert en Physiologie et en nutrition, qu’il enseigne à l’Université Mohammed VI de sciences de la Santé de Casablanca. Biologiste de formation et titulaire d’un doctorat en Nutrition humaine de l’université Hassan II de Casablanca, M. Jafri a été sollicité par plusieurs organisations et associations nationales et internationales, dans plusieurs projets de recherche. En 2014, ce passionné de la nutrition a participé à un projet de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), portant sur l’évaluation de la consommation du sel au Maroc, avant de prendre part à un projet de recherche sur la nutrition et les pathologies chroniques de 2016 à 2017.

Celle-ci, qui portait sur la quantité du sel utilisé dans le pain boulanger de Casablanca, a montré une diminution effective de 26,4% d’utilisation du sel par les producteurs par rapport à 2011. Par ailleurs, Ali Jafri a également mis ses services à disposition de plusieurs institutions nationales, il travailla au profit de l’Association Terre et Humanisme à Casablanca en tant que consultant en 2009, il a également été consultant auprès de la Direction de la Population du ministère de la Santé pour l’élaboration d’une stratégie nationale de fortification de la farine. Sur le plan sanitaire, M. Jafri a été associé à une étude sur la lutte contre les maladies transmissibles auprès de la Direction de l’Epidémiologie. 

A. M.

Repères

La FMDC sonne le tocsin 
Selon la Fédération Marocaine des Droits du Consommateur (FMDC), le pain commercial serait néfaste pour le consommateur et serait à l’origine du cancer et d’autres pathologies tels que l’eczéma et différents types d’allergies. Ceci est dû à l’usage de la levure chimique et du chlore dans l’eau, à l’élimination de fibres alimentaires et à l’augmentation des quantités de sucre et de sel à des proportions extravagantes (plus de 3 grammes de sucre dans chaque unité de pain). Outre cela, le blé, aussi bien celui importé que celui produit localement, contient des niveaux excessifs de pesticides, ce qui serait en mesure de le rendre cancérigène.
Inspection et audits : parent pauvre du secteur  
Un contrôle permanent, c’est ce qui fait cruellement défaut. La Fédération a souligné que le secteur de production du pain connaît une anarchie grandissante et une expansion de l’espace informel, compromettant ainsi les droits des consommateurs. Au milieu de ce désordre, la FMDC a fait état d’une quasiabsence du contrôle de qualité et du respect des normes sanitaires dans le processus de fabrication par les autorités compétentes, que ce soit au niveau des moulins ou des points de vente et de distribution du blé et du pain.
Le plaidoyer de la FMDC
La Fédération a plaidé pour règlementer ce secteur et a appelé à la mise en place d’un registre d’utilisation de pesticides pour les agriculteurs, ainsi qu’au contrôle des moulins et des boulangeries. Elle a également revendiqué l’instauration d’un système de contrôle sanitaire à l’importation.








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