- Vous avez remporté le Prix international de Sharjah pour le patrimoine culturel, au titre de l’édition 2019-2020, pour votre travail de collecte et de documentation sur l’art populaire d’Al-Aïta au Maroc. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
- Avoir reçu ce 18 septembre le Prix international de Sharjah, dans la catégorie de sauvegarde du patrimoine immatériel culturel, m’honore et honore les musiques du Maroc et ses trésors vivants. Il met à l’honneur et perpétue les belles traditions musicales de notre pays. C’est une belle reconnaissance pour les deux anthologies que j’ai réalisées autour de magnifiques traditions musicales, celle de l’art de l’Aïta et l’art des Rwais.
- Face à l’absence de codification et de documentation de cet art transmis oralement, le risque est-il grand ?
- Effectivement, longtemps, les universités étaient réticentes à travailler sur le patrimoine musical et sur les arts populaires de notre pays. Il serait fondamental que les chercheurs et doctorants travaillent sur cette riche diversité dans notre pays. Également, le mode d’apprentissage qui lie le maître au disciple ne fonctionne plus aujourd’hui, il est donc important de mener une réflexion sur la question de la transmission et prendre en considération les spécificités régionales de notre pays.
- Le parcours de l’Aïta est semé d’embûches... Comment l’évaluez-vous ?
- Pour à cette question, il est important de retracer les origines et l’outil social qu’incarne l’Aïta. Ce genre qui tire ses racines des régions agricoles marocaines, et apparu à la fin du XIXème siècle, revêt une importance historique et sociologique significative. Il offre une critique subtile de la société à travers une représentation presque tragique des émotions populaires. Au XXIème siècle, un renouveau s’est opéré, principalement grâce à la réappropriation du genre par des artistes féminines qui avaient été longtemps exclues de la scène. Elles ont contribué à une renaissance tout en préservant son authenticité, à l’exemple de l’éminente artiste Fatna Bent Lhoucine, qui a réussi à réconcilier les citadins avec leurs racines paysannes. Bien avant dans les années 50, des artistes éminents, tel que le violoniste Maréchal Mohamed Kibbou, ont favorisé la diffusion d’Al-Aïta dans les grandes villes émergentes du Maroc comme Casablanca. Cette expansion a contribué à une appréciation plus large de cet art traditionnel. La musique Aïta joue un rôle social essentiel en reflétant la société marocaine et en maintenant vivantes les traditions. Elle sert de lien entre les générations et les régions. Tant qu’une musique a un rôle social, elle peut garder le flambeau allumé. Cependant, le risque de perdre cette riche tradition avec le temps est présent, les Chikhates et Chioukhs disparaissent et avec eux les trésors humains et les mémoires nous quittent. Aujourd’hui, il y a un fort intérêt des jeunes artistes à ce patrimoine même s’ils l’utilisent dans des formes musicales contemporaines, par fusion musicale par exemple. Il me semble qu’il est important qu’on puisse travailler à la fois sur la question de la préservation et de la promotion de cet art tout en gardant ses spécificités territoriales.
- Qu’est-ce qui caractérise l’Aïta Haouzia et qui englobe la plaine du Haouz ?
- L’Aïta Haouzia concerne l’ensemble des régions de Marrakech comme celles des Sraghna, Rhamna et Ben Guérir. Elle a la particularité d’être chantée majoritairement par les voix masculines des Chioukhs qui se prêtent aussi à des danses. Elle se caractérise par son rythme accéléré et sa composition simple. Elle utilise le violon, le tambourin et le loura. La voix est un instrument important également. Comme les autres types d’Aïtas présents dans d’autres régions, ce genre porte une mission nationaliste en traitant des sujets historiques dotés d’un caractère militant : « Cheikhi Bouya Rahal » et « Khali Ya Khouili » figurant parmi les Aïtas emblématiques de ce genre.
- Pour vous, qui êtes de la région sinistrée par le séisme, à quel point ce drame pourrait-il impacter le parcours de ce chant ?
- Cette catastrophe naturelle a touché principalement la région du Haut-Atlas mais les plaines d’Al-Haouz, berceau de l’Aïta, n’ont pas été gravement touchées. Cette région, qui est riche de son patrimoine amazigh, a été beaucoup impactée. Une région connue pour son fort patrimoine musical, d’où provient le Taskwin, danse martiale qui avait été inscrite en 2017 sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente par l’UNESCO. Le travail sur l’évaluation des dégâts du séisme sur le patrimoine immatériel n’a pas encore été réalisé, mais devrait, à mon sens, être réalisé au même titre que celui du patrimoine matériel classé.
- Avoir reçu ce 18 septembre le Prix international de Sharjah, dans la catégorie de sauvegarde du patrimoine immatériel culturel, m’honore et honore les musiques du Maroc et ses trésors vivants. Il met à l’honneur et perpétue les belles traditions musicales de notre pays. C’est une belle reconnaissance pour les deux anthologies que j’ai réalisées autour de magnifiques traditions musicales, celle de l’art de l’Aïta et l’art des Rwais.
- Face à l’absence de codification et de documentation de cet art transmis oralement, le risque est-il grand ?
- Effectivement, longtemps, les universités étaient réticentes à travailler sur le patrimoine musical et sur les arts populaires de notre pays. Il serait fondamental que les chercheurs et doctorants travaillent sur cette riche diversité dans notre pays. Également, le mode d’apprentissage qui lie le maître au disciple ne fonctionne plus aujourd’hui, il est donc important de mener une réflexion sur la question de la transmission et prendre en considération les spécificités régionales de notre pays.
- Le parcours de l’Aïta est semé d’embûches... Comment l’évaluez-vous ?
- Pour à cette question, il est important de retracer les origines et l’outil social qu’incarne l’Aïta. Ce genre qui tire ses racines des régions agricoles marocaines, et apparu à la fin du XIXème siècle, revêt une importance historique et sociologique significative. Il offre une critique subtile de la société à travers une représentation presque tragique des émotions populaires. Au XXIème siècle, un renouveau s’est opéré, principalement grâce à la réappropriation du genre par des artistes féminines qui avaient été longtemps exclues de la scène. Elles ont contribué à une renaissance tout en préservant son authenticité, à l’exemple de l’éminente artiste Fatna Bent Lhoucine, qui a réussi à réconcilier les citadins avec leurs racines paysannes. Bien avant dans les années 50, des artistes éminents, tel que le violoniste Maréchal Mohamed Kibbou, ont favorisé la diffusion d’Al-Aïta dans les grandes villes émergentes du Maroc comme Casablanca. Cette expansion a contribué à une appréciation plus large de cet art traditionnel. La musique Aïta joue un rôle social essentiel en reflétant la société marocaine et en maintenant vivantes les traditions. Elle sert de lien entre les générations et les régions. Tant qu’une musique a un rôle social, elle peut garder le flambeau allumé. Cependant, le risque de perdre cette riche tradition avec le temps est présent, les Chikhates et Chioukhs disparaissent et avec eux les trésors humains et les mémoires nous quittent. Aujourd’hui, il y a un fort intérêt des jeunes artistes à ce patrimoine même s’ils l’utilisent dans des formes musicales contemporaines, par fusion musicale par exemple. Il me semble qu’il est important qu’on puisse travailler à la fois sur la question de la préservation et de la promotion de cet art tout en gardant ses spécificités territoriales.
- Qu’est-ce qui caractérise l’Aïta Haouzia et qui englobe la plaine du Haouz ?
- L’Aïta Haouzia concerne l’ensemble des régions de Marrakech comme celles des Sraghna, Rhamna et Ben Guérir. Elle a la particularité d’être chantée majoritairement par les voix masculines des Chioukhs qui se prêtent aussi à des danses. Elle se caractérise par son rythme accéléré et sa composition simple. Elle utilise le violon, le tambourin et le loura. La voix est un instrument important également. Comme les autres types d’Aïtas présents dans d’autres régions, ce genre porte une mission nationaliste en traitant des sujets historiques dotés d’un caractère militant : « Cheikhi Bouya Rahal » et « Khali Ya Khouili » figurant parmi les Aïtas emblématiques de ce genre.
- Pour vous, qui êtes de la région sinistrée par le séisme, à quel point ce drame pourrait-il impacter le parcours de ce chant ?
- Cette catastrophe naturelle a touché principalement la région du Haut-Atlas mais les plaines d’Al-Haouz, berceau de l’Aïta, n’ont pas été gravement touchées. Cette région, qui est riche de son patrimoine amazigh, a été beaucoup impactée. Une région connue pour son fort patrimoine musical, d’où provient le Taskwin, danse martiale qui avait été inscrite en 2017 sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente par l’UNESCO. Le travail sur l’évaluation des dégâts du séisme sur le patrimoine immatériel n’a pas encore été réalisé, mais devrait, à mon sens, être réalisé au même titre que celui du patrimoine matériel classé.
Encadré
Préservation d’Al-Aïta : Brahim El Mazned apporte sa pièce à l’édifice
Brahim El Mazned a été sacré dans la catégorie des meilleures pratiques pour la préservation du patrimoine culturel arabe, et ce, à l’occasion de la 23ème édition du Forum international des conteurs Sharjah, qui s’est tenue sous le thème « Histoires des plantes » avec la participation de 47 pays, dont le Maroc. Le Prix lui a été décerné pour ses anthologies « Chioukhs et Chikhats Al-Aïta » et « L’Art des Rwais », une précieuse contribution à la valorisation et à la préservation du patrimoine musical marocain ancestral.
Produite en 2018, l’œuvre « Chioukhs et Chikhats Al-Aïta » est une collection de dix CD regroupant les huit composantes de l’Aïta, enregistrées par plus de 200 artistes hommes et femmes à Casablanca, avec en support deux livrets illustrés par des photographies d’archives et d’autres prises lors des séances d’enregistrement. Cette anthologie documentaire braque les projecteurs sur l’art marocain de l’Aïta qui a enrichi le répertoire musical marocain, en tant qu’art vivant qu’il faut préserver.
L’anthologie des «Rwais» consiste, quant à elle, en un voyage dans le monde des chanteurs et poètes amazighs itinérants. Elle a été réalisée en 2020 sous forme d’un recueil de dix albums, dont une sélection d’une centaine de titres interprétés par plus de 80 artistes. Cette oeuvre musicale est accompagnée de trois livrets de 120 pages en trois langues (arabe, français et anglais), qui explorent différents aspects de la musique des Rwaïs, notamment ses origines et l’évolution de ses rythmes au fil des années, ainsi que des biographies des principaux artistes de cette expression musicale.
Brahim El Mazned a été sacré dans la catégorie des meilleures pratiques pour la préservation du patrimoine culturel arabe, et ce, à l’occasion de la 23ème édition du Forum international des conteurs Sharjah, qui s’est tenue sous le thème « Histoires des plantes » avec la participation de 47 pays, dont le Maroc. Le Prix lui a été décerné pour ses anthologies « Chioukhs et Chikhats Al-Aïta » et « L’Art des Rwais », une précieuse contribution à la valorisation et à la préservation du patrimoine musical marocain ancestral.
Produite en 2018, l’œuvre « Chioukhs et Chikhats Al-Aïta » est une collection de dix CD regroupant les huit composantes de l’Aïta, enregistrées par plus de 200 artistes hommes et femmes à Casablanca, avec en support deux livrets illustrés par des photographies d’archives et d’autres prises lors des séances d’enregistrement. Cette anthologie documentaire braque les projecteurs sur l’art marocain de l’Aïta qui a enrichi le répertoire musical marocain, en tant qu’art vivant qu’il faut préserver.
L’anthologie des «Rwais» consiste, quant à elle, en un voyage dans le monde des chanteurs et poètes amazighs itinérants. Elle a été réalisée en 2020 sous forme d’un recueil de dix albums, dont une sélection d’une centaine de titres interprétés par plus de 80 artistes. Cette oeuvre musicale est accompagnée de trois livrets de 120 pages en trois langues (arabe, français et anglais), qui explorent différents aspects de la musique des Rwaïs, notamment ses origines et l’évolution de ses rythmes au fil des années, ainsi que des biographies des principaux artistes de cette expression musicale.