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Interview avec Driss Jaydane : «Casablanca, entre laideur et beauté »


Rédigé par Anass MACHLOUKH Dimanche 17 Juillet 2022

L’écrivain marocain, auteur de “Moïse de Casa”, nous parle de son nouveau roman qui plonge le lecteur dans les méandres de Casablanca et les rêveries de l’enfance. Interview.



- Vous avez situé l’histoire dans le contexte des années 70. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour choisir cette décennie charnière de l’Histoire du Maroc ?

- C’est pour moi une période passionnante, du simple fait, d’abord, que j’étais enfant lorsque des événements considérables se sont produits… Aussi bien de terribles attentats contre Feu Sa Majesté le Roi Hassan II, que des combats idéologiques. Ce qui a pris le nom d’années de plomb. S’agissant de « Moïse de Casa », s’il se situe à cette période, c’est parce que j’étais moi-même un enfant, à cette époque. Ce voyage vers le passé aura été l’occasion de relire une part de mon enfance et de relire dans le même temps cette période, en tâchant de la revoir avec des yeux d’enfants. Ce qui ne fût pas simple, j’espère y être parvenu, je le pense, du reste…


- Le petit enfant, héros du roman, est si galvanisé par l’appel de la Marche Verte qu’il décide d’inventer sa propre marche à Casablanca pour y découvrir les secrets. Est-ce une façon de sortir de la réalité, celle d’une famille besogneuse où la mère divorcée peine à boucler les fins de mois ?

- C’est une manière de raconter un événement qui a eu lieu, précisément, durant mon enfance : la Marche Verte. Ma génération – née dans les années 70 – aura vécu ce moment tel qu’il s’est présenté à elle, dans les maisons, les familles, d’où les hommes partaient, pas tous, mais beaucoup en avait le désir, mais aussi à la télévision, à travers les chansons, - celle de Jil Jilala en particulier, mais d’autres aussi.

Ce fût un moment unique pour nous, les enfants, qui regardions tout cela, le plus souvent fascinés, joyeux aussi, de cette liesse qui se diffusait chaque jour. Nous gardons tous probablement le souvenir des actualités qui, chaque soir, rendaient compte des avancées, de ces milliers de Marocains, fiers, heureux, de ces camions pleins à craquer, de ce Sahara que nous découvrons aussi, nous, à la télé, notre Sahara marocain.


- Vous abordez un thème si sensible dans notre société dont on ne parle que rarement, celui de l’enfance dépourvue ou plutôt celle privée de la paternité, comment voyez-vous la souffrance des enfants élevés sans l’autorité ou le paratonnerre paternel ?

- Elle n’est pas faite que de souffrance, justement. Mais c’est là une chose que l’on découvre bien plus tard. Si l’absence du père est « une réelle carence », elle ouvre aussi des perspectives : celle d’une liberté. Le père, c’est la Loi, les psychologues le savent. Lorsqu’il est absent, le petit garçon peut aussi devenir « L’Homme de la maison », c’est ainsi, dans nos sociétés dites patriarcales, lorsqu’il y a vide, il y a place à prendre, ou place offerte, presque de manière inconsciente, de sorte que l’enfant sans père est aussi un enfant qui peut découvrir, (sans forcément le savoir, du moins sans que cela ne passe par le stade conscient), une forme de liberté qui peut être jouissive.


- Le héros du roman est tellement frustré par l’absence du père et de la misère de sa famille qu’il décide de s’inventer une nouvelle histoire pour fuir la réalité morose, pensez-vous que le mépris social éprouvé par un enfant puisse le pousser vers plus d’agressivité et une volonté de vengeance ?

- À mon avis, cela peut arriver, or, tout dépend de l’attitude des autres : voisins, amis, famille, etc.


- ”Sidi”, le héros, vit sans père avec une femme répudiée, confrontée à l’oeil réprobateur d’une société très conservatrice qui jugeait mal la femme divorcée. Avons-nous progressé aujourd’hui sur ce point et comment jugez-vous l’évolution de notre société ?

- Dans ces années, il est vrai qu’une femme divorcée, cela n’existait pas. Les femmes étaient répudiées, et elles n’avaient pas leur mot à dire. Les enfants de ces femmes pouvaient avoir à souffrir d’un tel statut. Fort heureusement, notre pays a bougé sur ce point, mais les femmes aujourd’hui divorcées, pas toutes, ne sont pas encore considérées comme elles devraient l’être : libres, responsables, respectables. Et donc : qu’il faut respecter quel que soit leur statut personnel.


- En lisant votre livre, on a l’impression que vous racontez la grande histoire, l’histoire du pays avec un grand H, à travers le vécu de personnages ordinaires. Qu’en pensez-vous ?

- La grande et la petite histoire qui dialoguent, c’est tout ce que la littérature permet, et c’est exaltant.


- C’est un roman d’enfance par excellence, est-il difficile de faire parler les émotions et les sensibilités de l’enfant ?

- Oui, c’est un exercice assez difficile en soi. On peut vite sombrer dans la caricature, le « plagiat de l’enfance », il faut donc produire une voix, en soi, d’abord. L’écouter, la laisser monter, ne pas la brider, le travail est nécessaire, comme pour tout. Ecrire, pour moi, c’est « fabriquer des voix », d’abord, ensuite, les fréquenter, les écouter, et enfin écrire… C’est ce qui fait que j’écris peu, ce travail prend du temps. Chez moi, en tout cas.


- Vous avez choisi Casablanca comme lieu de l’histoire. Pourquoi ce choix et pensez-vous que la Ville blanche soit le miroir de la société marocaine et de ses contradictions ?

- Non, c’est bien plus simple. Casa est ma ville, celle que je connais le mieux, que j’adore, que je déteste aussi !


- Vous décrivez Casablanca comme une ville-personnage et une hydre à deux têtes, pouvez-vous nous expliquer cette allégorie ?

- Misère et opulence, bruits et silences, beauté et laideur, gigantisme et promiscuité, vitesse et lenteur, tout se dédouble, dans ma ville.


- «Dans la vie, ce qui compte le plus c’est le premier miracle. Les autres suivent toujours.», un commentaire sur cette phrase intrigante ?

- Aucun, c’est une vérité d’enfant. Comment contredire un enfant ? Il a toujours raison !


- S’il y a une morale, une indignation, un cri, un message que vous avez tâché de faire passer dans votre roman, ça sera lequel ?

-Que c’est beau, un enfant marocain qui se prend pour un prophète hébreu…





Recueillis par Anass MACHLOUKH

“Moïse de Casa”



Quand l’appel d’un Roi galvanise l’ardeur des enfants !
 
Driss Jaydane publie son troisième roman. L’écrivain voue sa plume à l’enfance typiquement marocaine dont il tâche de décrire les rêves et les sensibilités. “Sidi”, héros de l’histoire, est un enfant de 9 ou 10 ans qui vit au sein d’une famille besogneuse. Sa mère, une femme répudiée, fait face à l’indigence et au jugement sévère de la société marocaine des années 70. Une vie dure pour un enfant d’un tel âge.

Ce dernier vivra un événement qui va bousculer son existence ! La Marche Verte. L’appel du Roi Hassan II aux Marocains à fouler le sol du Sahara aura sur lui un effet tel qu’il décidera d’entamer son propre périple à Casablanca pour fuir la réalité lugubre. Il aurait voulu marcher vers le Sahara, hélas, son âge ne lui permet pas une telle ambition.

Ainsi, l’enfant va se prendre pour Moïse, en prétendant être le prophète des hébreux qui mènera son peuple (ses amis et ses copains), “voyage biblique”, dans la capitale économique. Un voyage plein d’aventures et surtout de vertus, où notre héros réalisera peut-être qu’il a de quoi être heureux malgré les conditions dures de sa famille. Son aventure dans les quartiers de Casa le mènera vers des surprises ! Ce qu’il chercherait depuis le début.

Driss Jaydane nous offre, dans ce roman, un tableau réaliste de la société marocaine des années 70, bien que l’histoire consiste plus à dévoiler les dessous de l’imagination enfantine. L’écrivain essaye de faire la narration de son histoire à hauteur d’enfant, un défi qu’il croit réussir et laisse au lecteur le soin d’en juger.

En définitive, “Moïse de Casa” est le miroir de l’enfance privée de paternité, un roman qui mêle grande et petite histoire que l’écrivain marie de façon harmonieuse et passionnante. C’est en tout cas l’objet même de la littérature, selon lui.

 








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