- Le colloque « Femina Vox », organisé chaque année sous l’égide de l’UNESCO pour célébrer la Journée Internationale des Droits des Femmes, le 8 mars, met à l’honneur le Maroc cette année. Qu’est-ce qui motive ce choix ?
Voilà plus de quatre années que je travaille à développer le colloque « Femina Vox » sous l’égide de l’UNESCO en tant qu’Ambassadrice de la Paix pour célébrer la Journée Internationale des Droits des Femmes, tous les 8 mars. Ce colloque réunit à chaque édition plus d’une trentaine d’intervenants comme Sa Majesté la Grande Duchesse de Luxembourg ou prochainement Son Altesse Royale Charles d’Angleterre. Des figures emblématiques ont été aussi présentes comme les Prix Nobel Drs Mukwege et Malala Yousafzai, de grandes militantes à l’instar des écrivaines Eve Ensler ou Leila Slimani, ou encore des icônes comme l’actrice Claudia Cardinale ou la créatrice Diane Von Furstenberg. Outre ces figures emblématiques, j’ai la chance d’être entourée d’activistes sur le terrain. Nous avons reçu des femmes du monde entier, d’Afghanistan, du Congo, d’Ukraine, du Bangladesh ..., pour évaluer la situation des Droits des Femmes dans le monde entier.
C’est dans ce cadre, en tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix et en tant que fille de père meknassi, que je souhaite m’intéresser cette année à la réforme de la « Moudawana » (Code de la famille marocain) qui touche aux droits des femmes. Lors d’un discours, le Souverain a invité les acteurs sociaux à réfléchir sur une modification du texte, charge pour eux de Lui transmettre un nouveau Code de la famille.
« L’esprit de la réforme ne consiste pas à octroyer à la femme des privilèges gracieux, mais, bien plus précisément, à lui assurer la pleine jouissance des droits légitimes que lui confère la Loi. Dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est en effet plus possible qu’elle en soit privée » (Extrait du discours de Sa Majesté le Roi lors du 23ème anniversaire de l’accession du Souverain au Trône).
- Quel regard portez-vous sur les obstacles à dépasser afin d’atteindre cette réforme ?
J’ai pu enquêter auprès de spécialistes de la question et d’experts tant sur le plan des violences du genre auprès de Mme Amina Oufroukhi, Cheffe du pôle au Ministère public spécialisé, des métiers juridiques et judiciaires, et de protection de la famille, de la femme et de l’enfant ; que sur les questionnements légaux auprès de Mme Fatima Barkan, Conseillère au Cabinet du Ministre de la Justice ; que sur la question de l’avortement auprès du Pr Chafik Chraïbi ; ou encore auprès de Mme Khadija Errebah de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc ou M. Abdelkrim El Manouzi, Président de l’Association médicale de réhabilitation des victimes de la torture (AMRTV), qui prend en charge les femmes victimes de violence. Tous sont unanimes : malgré les obstacles à franchir, il s’agit d’une véritable révolution en matière de droits de la femme vers une égalité de fait. Qu’elle soit « réforme » ou « révision » en faveur de l’égalité homme-femme, ce souffle de modernité est en lien avec le Maroc d’aujourd’hui qui doit se pencher sur la question de la femme en tant que personne physique et morale à part entière dans l’intégralité de ses droits. Celle-ci aspirant à ne plus être une incapable majeure régie par la loi patriarcale, soumise à la tutelle de son père puis à celle de son mari. Les obstacles sont naturellement liés à un paradigme mental lié à l’image de la femme telle qu’elle reste encore véhiculée par certains partis politiques conservateurs qui résistent à toute forme de changement.
- Six mois de révision du Code de la famille, en concertation avec les différentes parties prenantes. Vous attendez-vous à des changements conséquents ?
A mon sens, il y aura une transformation conséquente du Code de la famille de 2004. Il y a vingt ans, tout avait été clairement inscrit dans la Constitution en termes de grands principes d’égalité. Aujourd’hui, le Maroc ayant été élu à la présidence du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (ONU), il se doit de montrer l’exemple en termes d’égalité homme-femme en droits et en devoirs. Vous parlez dans votre question de multiplication et de divergence de propositions, cependant, le mouvement féministe reste aligné sur les six points suivants à propos des grands amendements proposés : l’égalité de l’homme et de la femme dans l’union et le divorce ; l’âge du mariage au minimum à 18 ans pour que la femme puisse continuer sa scolarité ou sa formation professionnelle ; l’égalité en droit des deux parents pour la tutelle légale sur les enfants ; l’égalité de l’homme et de la femme dans le partage des biens après le divorce ; l’abolition de la polygamie ; enfin, l’épineuse question de l’égalité de l’homme et de la femme face à l’héritage.
- Les propositions brandies par les différentes parties prenantes revêtent une dimension tantôt libérale tantôt conservatrice. S’accorde-t-on sur les mêmes objectifs ?
D’un point de vue extérieur, cette disparité des propositions m’a paru au contraire à nouveau très cohérente. Tous les mouvements féministes marocains se sont mis d’accord autour des amendements précédents même si la question de l’héritage reste soutenue par les partis de gauche. Ce qu’il faut souligner c’est l’importance des mouvements féministes régionaux qui souhaitent, et de façon très légitime, prendre en considération le contexte local, la question de la langue et l’accessibilité à la justice. Ces demandes sont également faites en France et la question de l’accessibilité de la justice en ruralité a fait l’objet d’une campagne récente en octobre 2023 « Partout les femmes ont des droits » en partenariat avec les Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (C.I.D.F.F.). Cela permet de changer la donne quant à la représentation de la famille pour cesser de parler d’UNE famille mais bien de plusieurs familles avec leurs spécificités locales et régionales.
- En tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix et Ambassadrice de la Paix, vous utilisez l’art dramatique pour aider des populations vulnérables comme les femmes victimes de violences. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
Ma démarche à propos des droits des femmes n’est pas politique mais « artiviste », c’est à dire mêlant l’artistique doublée d’activisme. J’aide les femmes victimes de syndromes post traumatiques par l’art thérapie, et je propose à des femmes dirigeantes d’utiliser la créativité et la démarche artistique pour renforcer leur leadership par le coaching. Les propositions que j’ai pu faire au travers d’initiatives de diplomatie féminine ont toujours eu pour but de mettre la créativité et l’art de la communication au service d’un féminisme éclairé, ouvert, incluant les hommes dans une volonté de parité pour un meilleur vivre-ensemble.
L’augmentation du taux de divorce au Maroc depuis 2004 s’explique par l’assouplissement de la procédure pour la femme dans la nouvelle Constitution.
« Mettre fin à la pauvreté » est l’un des cinq axes de réflexion pour le 8 mars 2024 proposé par les Nations Unies. C’est pour moi une des clés de réponse à ces questions de divorce et de célibat. En effet, la femme reste une personne fragilisée économiquement. Tant que la femme restera dépendante financièrement de son mari, elle restera toujours une incapable majeure au regard de la loi. Trop de femmes décident aussi de divorcer eu égard au manque de considération non seulement de la part de l’époux, mais aussi de la famille élargie. Un accompagnement social de la cellule familiale pour redonner place à la dignité à la femme serait nécessaire ainsi qu’un encadrement des jeunes époux. Le Dr Mukwege, Prix Nobel de la Paix au Congo, a parlé de « masculinité positive », montrant combien les droits des femmes ne concernaient pas uniquement les femmes et que les hommes se devaient d’être des alliés aux côtés des femmes. L’encadrement des jeunes époux pour leur expliquer la réalité du couple, le respect mutuel, la notion de partage, de responsabilité est absolument nécessaire, notamment pour lutter contre les violences sexistes. La lutte pour les droits des femmes est l’affaire de tous et doit redevenir une question de droits humains.