- Ayoub Layoussifi et Khalid Mouna, vous avez réalisé le documentaire MONO, qui braque les projecteurs sur la consommation de la drogue, notamment l'héroïne et lien social. De quel constat est née l'idée de votre film ?
- Khalid Mouna : Pour ma part, je travaille sur la question de la drogue depuis plusieurs années et, depuis un certain temps, je souhaite aborder la question de l’usage de l’héroïne essentiellement dans le Nord du Maroc. C’est un sujet difficile et un terrain pas souvent accessible pour la recherche. J’avais déjà réalisé deux années de recherche sur le terrain avant de parler à Ayoub, sachant que nous avions déjà l’idée de travailler ensemble sur un documentaire, car on se connait depuis notre vie d’étudiants à Paris. Il faut rajouter autre chose : selon moi, au Maroc, les problèmes de drogues en termes de consommation ne prennent de l’importance sur le plan médiatique que lorsqu'ils sont présents à Casablanca. On peut dire que ce documentaire est une invitation à changer le regard sur la question de la drogue à partir d’un espace différent.
- Ayoub Layoussifi : L’envie de travailler avec Khalid Mouna a toujours été présente depuis nos années d’études à l’Université de Paris 8 (2008 à peu près). Après plusieurs tentatives, nous nous sommes enfin alignés sur ce sujet, qui ne m’était pas étranger. Ma grande sœur, Layoussifi El Khansaa, est psychiatre-addictologue et m’a toujours parlé des ravages de la drogue. C’est quelque chose qui m’interpellait et me laissait me poser des questions, surtout quand on sait que la drogue exclut et cause des maladies psychiatriques (entre autres…). J’étais tout de suite intéressé par l’idée et la proposition de Khalid et voulu lui donner une dimension cinématographique : En faire un film. Nous avons donc commencé à faire un travail d’inspection (terrain qui avait déjà entamé Khalid et de recherches de production me concernant). L’envie de donner la parole à des marginaux, exclus à cause de la consommation de l’héroïne, était très importante à mon sens. Car ce sont des oubliés de la société.
- Vous avez rencontré plusieurs consommateurs, et des dealers ? Y a-t-il une dimension sociale à la consommation de drogues ?
- K.M et A.L. : Tout d’abord, il faut savoir que cette population est nomade, ils-elles ne restent pas dans le même endroit. Nous avons fait le choix de travailler avec quatre catégories : les usagers sans domicile fixe (SDF), les usagers qui vivent entre la rue et le domicile familial, ceux qui vivent chez la famille, autrement dit les usagers disant qu’ils sont dans un usage contrôlé et sans rupture familiale, et, enfin, les anciens usagers qui utilisent aujourd’hui la méthadone, le produit de substitution de l’héroïne, qui sont suivis par l’association Hassnouna à Tanger. Nous avons rencontré des dealers qui, parfois, ont été présents avec nous pendant le tournage ; certains dealeurs sont aussi des consommateurs, ce qui est très rare dans ce milieu.
Mais pour trouver un fil de narration, nous avons dû faire un choix pendant le montage, celui de se centrer sur les usages. En ce qui concerne la dimension sociétale, on peut dire que l’usage de la drogue dans sa phase de perte de contrôle vient signifier le malaise de la société, il ne s’agit pas uniquement d’un parcours individuel, c’est toute la société qui est remise en cause. Avec l’usage de l’héroïne, on peut identifier cela plus clairement, et c’est ce que nous avons fait. Vivre dans la rue, entre mendicité, vol, violence… sont les aspects de l’usage de l’héroïne pour une partie des usagers. Nous sommes alors devant une autre image de la société, une société qui a abandonné une partie de sa population à la marginalité et l’exclusion. Les usagers sont certes responsables de leur addiction, mais, en contrepartie, la société n’offre rien, ou bien peu de moyens pour qu’elles et ils puissent s’en sortir.
- Pour quelle approche artistique avez-vous opté dans votre documentaire ?
- K.M. : Pour éviter une accroche sensationnelle, voire choquante, nous avons choisi de donner le temps de parole à ces usagers pour nous raconter leur parcours dans le monde de la drogue, mais surtout ce processus de résilience, difficilement construit par eux, dans une société qui ne pardonne pas. Le monde de la drogue est un monde à part, il ne s’agit pas uniquement du produit consommé, mais d’un mode de vie, et c’est ce que nous avons tenté de montrer. Il faut savoir que, même pour l’équipe de tournage, c’était difficile, ils n’avaient jamais vu cela.
- A.L. : L’approche cinématographique a été présente depuis le départ. Tout d’abord pour faire un film cinéma (et TV). Mais aussi, et surtout, ne pas assombrir le tableau, qui est déjà sombre et dur pour nos protagonistes. Il fallait les mettre en lumière, dans les deux sens du terme. Et pour cela, nous avons pris une équipe technique professionnelle, de cinéma, des caméras professionnelles… et un chef opérateur de cinéma, pour travailler autour de l’esthétique de ce film.
- Est-ce qu’une personne vous a marqué plus que les autres au cours de votre repérage ?
- K.M. : J’ai été marqué par le parcours de Khadija, une femme qui cumule usage de l’héroïne, décrochage familial et violence subie dans la rue. A la fin de notre rencontre, j’ai quitté la salle de tournage car j’avais les larmes aux yeux, c’est trop dur d’entendre son parcours, pourtant je suis habitué aux terrains difficiles et j’avais vu et écouté des choses plus horribles, mais elle m’a marqué, elle est venue tourner avec un œil blessé, quelqu’un l’avait violentée dans la rue juste parce qu’elle est junkie.
- A.L. : Leurs histoires à toutes et à tous sont différentes, fortes, poignantes. Ils m’ont presque tous touché. Tu ne peux pas rester insensible devant ces récits de vie, tragiques pour la plupart. même ceux qui s’en sortent. Mais Noureddine, l’acteur social qui nous a ouvert toutes les portes (nous a donné accès à ce monde) est pour moi le plus profond (et Marouane aussi est touchant).
- Quel impact est escompté à travers votre œuvre ?
- K.M. : Le but est de parler de la drogue en donnant la parole aux usagers. Il y a eu des reportages sur ce phénomène, mais dans lesquels les usagers sont réduits soit à leur statut de victime, soit de transgresseur de la norme sociale. Notre but est d’inverser le processus et de voir comment ces usagers perçoivent la société, ses formes de violence, d’exclusion …Il s’agit d’utiliser l’image et le cinéma en général comme des médiums pour dialoguer avec la société.
- A.L. : L’impact escompté est d’ouvrir un débat concernant le statut du consommateur addict, au sein de la société mais aussi cliniquement et de discuter de leur statut, de leur place dans la société, pendant l’addiction, mais aussi après l’addiction.
- Quel état des lieux de la consommation de cette drogue dressez-vous au Maroc ? Et comment trouvez-vous la légalisation des drogues ?
- K.M. : On parle de plus de 4000 usagers dans le Nord ; on connaît la situation dans cette région car il y a des centres dédiés aux usagers de l’héroïne. Il s’agit d’un phénomène qui a débuté dans les années 80, mais qui a explosé vers les années 2000. La légalisation du cannabis au Maroc ne règle pas le problème car il s’agit d’une légalisation qui ne prend pas en compte le récréatif. Il faut dire que notre politique de drogue au Maroc est très répressive et peu efficace, tout comme dans plusieurs autres pays dans le monde. Nous n’avons pas la volonté de voir les choses en face et de mettre en place une vraie politique publique fondée sur la préservation de la santé et la sensibilisation, notamment auprès des jeunes. Il faut diversifier l’approche, car les regards, qu’ils soient sécuritaires ou religieux, ont montré leurs limites.
- Khalid Mouna : Pour ma part, je travaille sur la question de la drogue depuis plusieurs années et, depuis un certain temps, je souhaite aborder la question de l’usage de l’héroïne essentiellement dans le Nord du Maroc. C’est un sujet difficile et un terrain pas souvent accessible pour la recherche. J’avais déjà réalisé deux années de recherche sur le terrain avant de parler à Ayoub, sachant que nous avions déjà l’idée de travailler ensemble sur un documentaire, car on se connait depuis notre vie d’étudiants à Paris. Il faut rajouter autre chose : selon moi, au Maroc, les problèmes de drogues en termes de consommation ne prennent de l’importance sur le plan médiatique que lorsqu'ils sont présents à Casablanca. On peut dire que ce documentaire est une invitation à changer le regard sur la question de la drogue à partir d’un espace différent.
- Ayoub Layoussifi : L’envie de travailler avec Khalid Mouna a toujours été présente depuis nos années d’études à l’Université de Paris 8 (2008 à peu près). Après plusieurs tentatives, nous nous sommes enfin alignés sur ce sujet, qui ne m’était pas étranger. Ma grande sœur, Layoussifi El Khansaa, est psychiatre-addictologue et m’a toujours parlé des ravages de la drogue. C’est quelque chose qui m’interpellait et me laissait me poser des questions, surtout quand on sait que la drogue exclut et cause des maladies psychiatriques (entre autres…). J’étais tout de suite intéressé par l’idée et la proposition de Khalid et voulu lui donner une dimension cinématographique : En faire un film. Nous avons donc commencé à faire un travail d’inspection (terrain qui avait déjà entamé Khalid et de recherches de production me concernant). L’envie de donner la parole à des marginaux, exclus à cause de la consommation de l’héroïne, était très importante à mon sens. Car ce sont des oubliés de la société.
- Vous avez rencontré plusieurs consommateurs, et des dealers ? Y a-t-il une dimension sociale à la consommation de drogues ?
- K.M et A.L. : Tout d’abord, il faut savoir que cette population est nomade, ils-elles ne restent pas dans le même endroit. Nous avons fait le choix de travailler avec quatre catégories : les usagers sans domicile fixe (SDF), les usagers qui vivent entre la rue et le domicile familial, ceux qui vivent chez la famille, autrement dit les usagers disant qu’ils sont dans un usage contrôlé et sans rupture familiale, et, enfin, les anciens usagers qui utilisent aujourd’hui la méthadone, le produit de substitution de l’héroïne, qui sont suivis par l’association Hassnouna à Tanger. Nous avons rencontré des dealers qui, parfois, ont été présents avec nous pendant le tournage ; certains dealeurs sont aussi des consommateurs, ce qui est très rare dans ce milieu.
Mais pour trouver un fil de narration, nous avons dû faire un choix pendant le montage, celui de se centrer sur les usages. En ce qui concerne la dimension sociétale, on peut dire que l’usage de la drogue dans sa phase de perte de contrôle vient signifier le malaise de la société, il ne s’agit pas uniquement d’un parcours individuel, c’est toute la société qui est remise en cause. Avec l’usage de l’héroïne, on peut identifier cela plus clairement, et c’est ce que nous avons fait. Vivre dans la rue, entre mendicité, vol, violence… sont les aspects de l’usage de l’héroïne pour une partie des usagers. Nous sommes alors devant une autre image de la société, une société qui a abandonné une partie de sa population à la marginalité et l’exclusion. Les usagers sont certes responsables de leur addiction, mais, en contrepartie, la société n’offre rien, ou bien peu de moyens pour qu’elles et ils puissent s’en sortir.
- Pour quelle approche artistique avez-vous opté dans votre documentaire ?
- K.M. : Pour éviter une accroche sensationnelle, voire choquante, nous avons choisi de donner le temps de parole à ces usagers pour nous raconter leur parcours dans le monde de la drogue, mais surtout ce processus de résilience, difficilement construit par eux, dans une société qui ne pardonne pas. Le monde de la drogue est un monde à part, il ne s’agit pas uniquement du produit consommé, mais d’un mode de vie, et c’est ce que nous avons tenté de montrer. Il faut savoir que, même pour l’équipe de tournage, c’était difficile, ils n’avaient jamais vu cela.
- A.L. : L’approche cinématographique a été présente depuis le départ. Tout d’abord pour faire un film cinéma (et TV). Mais aussi, et surtout, ne pas assombrir le tableau, qui est déjà sombre et dur pour nos protagonistes. Il fallait les mettre en lumière, dans les deux sens du terme. Et pour cela, nous avons pris une équipe technique professionnelle, de cinéma, des caméras professionnelles… et un chef opérateur de cinéma, pour travailler autour de l’esthétique de ce film.
- Est-ce qu’une personne vous a marqué plus que les autres au cours de votre repérage ?
- K.M. : J’ai été marqué par le parcours de Khadija, une femme qui cumule usage de l’héroïne, décrochage familial et violence subie dans la rue. A la fin de notre rencontre, j’ai quitté la salle de tournage car j’avais les larmes aux yeux, c’est trop dur d’entendre son parcours, pourtant je suis habitué aux terrains difficiles et j’avais vu et écouté des choses plus horribles, mais elle m’a marqué, elle est venue tourner avec un œil blessé, quelqu’un l’avait violentée dans la rue juste parce qu’elle est junkie.
- A.L. : Leurs histoires à toutes et à tous sont différentes, fortes, poignantes. Ils m’ont presque tous touché. Tu ne peux pas rester insensible devant ces récits de vie, tragiques pour la plupart. même ceux qui s’en sortent. Mais Noureddine, l’acteur social qui nous a ouvert toutes les portes (nous a donné accès à ce monde) est pour moi le plus profond (et Marouane aussi est touchant).
- Quel impact est escompté à travers votre œuvre ?
- K.M. : Le but est de parler de la drogue en donnant la parole aux usagers. Il y a eu des reportages sur ce phénomène, mais dans lesquels les usagers sont réduits soit à leur statut de victime, soit de transgresseur de la norme sociale. Notre but est d’inverser le processus et de voir comment ces usagers perçoivent la société, ses formes de violence, d’exclusion …Il s’agit d’utiliser l’image et le cinéma en général comme des médiums pour dialoguer avec la société.
- A.L. : L’impact escompté est d’ouvrir un débat concernant le statut du consommateur addict, au sein de la société mais aussi cliniquement et de discuter de leur statut, de leur place dans la société, pendant l’addiction, mais aussi après l’addiction.
- Quel état des lieux de la consommation de cette drogue dressez-vous au Maroc ? Et comment trouvez-vous la légalisation des drogues ?
- K.M. : On parle de plus de 4000 usagers dans le Nord ; on connaît la situation dans cette région car il y a des centres dédiés aux usagers de l’héroïne. Il s’agit d’un phénomène qui a débuté dans les années 80, mais qui a explosé vers les années 2000. La légalisation du cannabis au Maroc ne règle pas le problème car il s’agit d’une légalisation qui ne prend pas en compte le récréatif. Il faut dire que notre politique de drogue au Maroc est très répressive et peu efficace, tout comme dans plusieurs autres pays dans le monde. Nous n’avons pas la volonté de voir les choses en face et de mettre en place une vraie politique publique fondée sur la préservation de la santé et la sensibilisation, notamment auprès des jeunes. Il faut diversifier l’approche, car les regards, qu’ils soient sécuritaires ou religieux, ont montré leurs limites.