- Maryame El Moutamid, vous faites partie des femmes marocaines qui ont marqué l’Histoire de l’exploration spatiale. D’abord, qu’est-ce qui vous a amenée vers ce métier ?
-Depuis mon plus jeune âge, comme bon nombre d'enfants, j'ai été fascinée par la nature et les sciences en général. De longues discussions avec mon père à propos du monde de l'infiniment petit et de l'infiniment grand m'ont laissée perplexe mais aussi curieuse. Les mathématiques et les sciences physiques ont particulièrement retenu mon attention. Je trouvais fascinant de pouvoir expliquer des observations simples à l'aide de concepts mathématiques et physiques. C'était un défi que je me suis lancé, et voilà où je suis aujourd'hui.
Après avoir obtenu mon baccalauréat au lycée Mohammed V à Essaouira, j'ai poursuivi mes études universitaires à Paris, à l'Université Paris Diderot, puis à l'Observatoire de Paris où j'ai entamé un Master en Astronomie et Astrophysique. Intégrer l'Observatoire de Paris a été un tournant dans ma carrière. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée plongée dans un environnement regroupant des chercheurs de renommée mondiale, au sein de l'un des meilleurs instituts de recherche au monde et le plus grand observatoire en France. C'est là que ma carrière a véritablement débuté.
À la suite de l'obtention de mon Master, j'ai entamé une thèse en Astrophysique et Sciences Planétaires, me spécialisant en Mécanique Céleste. Après l'obtention de mon doctorat en septembre 2013, des chercheurs de l'Université Cornell aux États-Unis m'ont invitée à postuler pour un poste de chercheur associé. J'ai rejoint Cornell en mars 2014, débutant ainsi une collaboration avec la mission NASA/Cassini. En reconnaissance de mes contributions à la recherche spatiale, j'ai été sélectionnée en tant que membre affilié de l'Académie Africaine des Sciences (AAS). De plus, l'Union Astronomique Internationale (UAI) a décidé de nommer l'astéroïde 27539 El Moutamid en mon honneur. Récemment, en mars 2024, j'ai quitté Cornell pour rejoindre le Southwest Research Institute (SwRI) à Boulder, dans le Colorado.
-Vous avez intégré l’équipe de la mission d'exploration spatiale Cassini-Huygens et du James Webb Space Telescope. Quels sont vos objectifs au sein de ces équipes ?
-A propos de Cassini-Huygens, en septembre 2017, la sonde spatiale Cassini a mis fin à sa mission en se crashant délibérément dans l'atmosphère de Saturne, fournissant des données inestimables lors de ses dernières orbites. Alors qu'elle rencontrait son destin, Cassini est devenue une partie intégrante de la planète qu'elle avait observée pendant 13 ans. Tout au long de sa mission, des scientifiques du monde entier ont collecté des données provenant de ses nombreux instruments, fournissant des résultats importants sur Saturne, ses anneaux et ses lunes, ainsi que sur leurs dynamiques et leurs interactions gravitationnelles.
Chanceuse d'avoir accès à cette richesse d'informations, j'ai collaboré avec des collègues sur divers sujets de recherche, enquêtant sur la composition de la planète, les structures des anneaux et les caractéristiques des lunes. Mon attention s'est particulièrement portée sur l'élucidation de la relation entre l'intérieur de Saturne et les caractéristiques observées de ses anneaux. De plus, mes projets en cours visent à reconstruire l'évolution orbitale des lunes de Saturne au cours des 100 derniers millions d'années. En résolvant les énigmes de ces trajectoires évolutives, nous aspirons à élucider les mystères entourant la formation du système de la planète, son origine et son parcours évolutif.
Bien que la mission de la sonde spatiale Cassini autour de Saturne soit terminée, le Programme d'Analyse des Données de Cassini (CDAP) perdure, exploitant la richesse des données récupérées au cours de ses 13 années de voyage. L'analyse en cours, notamment axée sur les mystérieuses structures des anneaux de Saturne, continue de produire de nouveaux résultats sur la composition interne de la planète, sa dynamique rotationnelle et ses processus de formation. Grâce à ce programme, nous restons engagés à dévoiler les secrets cachés dans le vaste répertoire des données de Cassini, contribuant ainsi à notre compréhension toujours croissante du système saturnien. Pendant les dernières années, j’ai obtenu, en tant que principal investigateur, deux contrats avec la NASA excédant un million de dollars pour continuer à travailler sur ces projets. To be continued (sourire).
- Quid de la mission James Webb Space Telescope (JWST) ?
-Ce grand télescope est désormais pointé vers diverses structures à travers l'univers, allant des petites lunes et des anneaux defus de notre propre système solaire aux lointaines galaxies du cosmos. Actuellement, je suis le principal investigateur d’un projet de recherche financé par le Space Telescope Science Institute (STScI) visant à obtenir du temps d'observation de la planète Uranus en utilisant l'instrument NIRCam à bord du télescope spatial James Webb (JWST).
Uranus se distingue parmi les planètes de notre système solaire en raison de ses caractéristiques uniques. Son inclinaison axiale exceptionnellement élevée d'environ 98 degrés, probablement résultant d'un impact géant ancien, la rend unique. De plus, son système d'anneaux et de lunes présente une configuration intrigante avec des composants étroitement liés et des albédos relativement bas, laissant entendre une composition encore à comprendre pleinement.
Les données obtenues à partir des observations de NIRCam fourniront des paramètres importants pour comprendre la configuration actuelle, le contexte historique, les origines, l'âge et la trajectoire évolutive des anneaux et des lunes d'Uranus. De plus, les observations de JWST des anneaux defus et poussiéreux permettront une caractérisation détaillée des structures comme l'anneau zêta et d'autres matériaux orbitant près des sommets des nuages d'Uranus. Ces informations revêtent une importance cruciale pour évaluer les dangers potentiels et informer la planification de futures missions, telles que la mission Uranus Orbiter and Probe (UOP) de la NASA.
- A quel point l’exploration spatiale à travers les télescopes est-elle importante ?
-Les télescopes jouent un rôle crucial en fournissant les données essentielles pour développer des modèles théoriques. La synergie entre les données d'observation obtenues par les télescopes et les investigations théoriques est indispensable pour élucider les processus de formation et d'évolution planétaire. Les deux aspects, observation et théorie, sont également importants pour faire progresser notre compréhension de la formation et de l'évolution des planètes.
- Sur quoi portent vos recherches actuellement ?
-Le futur est lumineux et rempli de projets. À SwRI, je travaillerai sur plusieurs projets :
I) Saturne, ses lunes, ses anneaux et les connexions gravitationnelles complexes entre ces trois composantes au sein du système saturnien. Ce travail éclairera l'intérieur de Saturne, mettra en évidence sa rotation différentielle et son champ tésséral, tentera de démêler les mystères de la formation et de l'évolution des lunes, et aidera à estimer l'âge débattu de ses magnifiques anneaux ;
II) Occultation stellaire basée depuis la Terre pour la caractérisation des centaures, des planètes naines et des objets transneptuniens, dans le but de révéler leurs formes physiques et leurs environnements ;
III) Caractérisation des exoplanètes, en se concentrant sur la détermination de leurs masses et de leurs paramètres orbitaux, dans le but de démêler leurs origines et leurs histoires évolutives ;
IV) Conception de petites missions (smallSATs et CubeSATs) pour valider et fournir des retours sur les prédictions théoriques ;
V) Formation, évolution et intérieurs des lunes d'Uranus. Les efforts collaboratifs de mes collègues et moi-même promettent d'influencer les futures missions spatiales, notamment la mission Uranus Orbiter & Probe (UOP) prévue pour être lancée dans environ une décennie ;
VI) La mission Lucy : le responsable scientifique principal de Lucy travaille à SwRI, cette mission est en route vers les astéroïdes troyens qui sont susceptibles d'être des vestiges du même matériau primordial ayant formé les planètes externes. Je me concentrerai sur les satellites et les anneaux alors que Lucy recherchera des anneaux et des satellites des astéroïdes troyens.
- Un mot sur l’exploration spatiale au Maroc ?
-En ce qui concerne l’exploration spatiale, il est évident que nous avons un grand potentiel au Maroc. La volonté du Royaume ainsi que les ressources humaines et surtout l’esprit brillant des jeunes font que le Maroc avance de manière rapide dans ce domaine. Le Maroc l’a déjà prouvé en envoyant des satellites de surveillance par exemple. Il va de soi que je serai très ravie et extrêmement motivée pour contribuer à faire avancer ce champ d’exploration. L’avenir promet d’être brillant. Je suis très optimiste pour l’exploration spatiale au Maroc et très fière de ce que mes concitoyens ont accompli pour faire briller notre cher pays dans le monde entier.
Recueillis par Safaa KSAANI
-Depuis mon plus jeune âge, comme bon nombre d'enfants, j'ai été fascinée par la nature et les sciences en général. De longues discussions avec mon père à propos du monde de l'infiniment petit et de l'infiniment grand m'ont laissée perplexe mais aussi curieuse. Les mathématiques et les sciences physiques ont particulièrement retenu mon attention. Je trouvais fascinant de pouvoir expliquer des observations simples à l'aide de concepts mathématiques et physiques. C'était un défi que je me suis lancé, et voilà où je suis aujourd'hui.
Après avoir obtenu mon baccalauréat au lycée Mohammed V à Essaouira, j'ai poursuivi mes études universitaires à Paris, à l'Université Paris Diderot, puis à l'Observatoire de Paris où j'ai entamé un Master en Astronomie et Astrophysique. Intégrer l'Observatoire de Paris a été un tournant dans ma carrière. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée plongée dans un environnement regroupant des chercheurs de renommée mondiale, au sein de l'un des meilleurs instituts de recherche au monde et le plus grand observatoire en France. C'est là que ma carrière a véritablement débuté.
À la suite de l'obtention de mon Master, j'ai entamé une thèse en Astrophysique et Sciences Planétaires, me spécialisant en Mécanique Céleste. Après l'obtention de mon doctorat en septembre 2013, des chercheurs de l'Université Cornell aux États-Unis m'ont invitée à postuler pour un poste de chercheur associé. J'ai rejoint Cornell en mars 2014, débutant ainsi une collaboration avec la mission NASA/Cassini. En reconnaissance de mes contributions à la recherche spatiale, j'ai été sélectionnée en tant que membre affilié de l'Académie Africaine des Sciences (AAS). De plus, l'Union Astronomique Internationale (UAI) a décidé de nommer l'astéroïde 27539 El Moutamid en mon honneur. Récemment, en mars 2024, j'ai quitté Cornell pour rejoindre le Southwest Research Institute (SwRI) à Boulder, dans le Colorado.
-Vous avez intégré l’équipe de la mission d'exploration spatiale Cassini-Huygens et du James Webb Space Telescope. Quels sont vos objectifs au sein de ces équipes ?
-A propos de Cassini-Huygens, en septembre 2017, la sonde spatiale Cassini a mis fin à sa mission en se crashant délibérément dans l'atmosphère de Saturne, fournissant des données inestimables lors de ses dernières orbites. Alors qu'elle rencontrait son destin, Cassini est devenue une partie intégrante de la planète qu'elle avait observée pendant 13 ans. Tout au long de sa mission, des scientifiques du monde entier ont collecté des données provenant de ses nombreux instruments, fournissant des résultats importants sur Saturne, ses anneaux et ses lunes, ainsi que sur leurs dynamiques et leurs interactions gravitationnelles.
Chanceuse d'avoir accès à cette richesse d'informations, j'ai collaboré avec des collègues sur divers sujets de recherche, enquêtant sur la composition de la planète, les structures des anneaux et les caractéristiques des lunes. Mon attention s'est particulièrement portée sur l'élucidation de la relation entre l'intérieur de Saturne et les caractéristiques observées de ses anneaux. De plus, mes projets en cours visent à reconstruire l'évolution orbitale des lunes de Saturne au cours des 100 derniers millions d'années. En résolvant les énigmes de ces trajectoires évolutives, nous aspirons à élucider les mystères entourant la formation du système de la planète, son origine et son parcours évolutif.
Bien que la mission de la sonde spatiale Cassini autour de Saturne soit terminée, le Programme d'Analyse des Données de Cassini (CDAP) perdure, exploitant la richesse des données récupérées au cours de ses 13 années de voyage. L'analyse en cours, notamment axée sur les mystérieuses structures des anneaux de Saturne, continue de produire de nouveaux résultats sur la composition interne de la planète, sa dynamique rotationnelle et ses processus de formation. Grâce à ce programme, nous restons engagés à dévoiler les secrets cachés dans le vaste répertoire des données de Cassini, contribuant ainsi à notre compréhension toujours croissante du système saturnien. Pendant les dernières années, j’ai obtenu, en tant que principal investigateur, deux contrats avec la NASA excédant un million de dollars pour continuer à travailler sur ces projets. To be continued (sourire).
- Quid de la mission James Webb Space Telescope (JWST) ?
-Ce grand télescope est désormais pointé vers diverses structures à travers l'univers, allant des petites lunes et des anneaux defus de notre propre système solaire aux lointaines galaxies du cosmos. Actuellement, je suis le principal investigateur d’un projet de recherche financé par le Space Telescope Science Institute (STScI) visant à obtenir du temps d'observation de la planète Uranus en utilisant l'instrument NIRCam à bord du télescope spatial James Webb (JWST).
Uranus se distingue parmi les planètes de notre système solaire en raison de ses caractéristiques uniques. Son inclinaison axiale exceptionnellement élevée d'environ 98 degrés, probablement résultant d'un impact géant ancien, la rend unique. De plus, son système d'anneaux et de lunes présente une configuration intrigante avec des composants étroitement liés et des albédos relativement bas, laissant entendre une composition encore à comprendre pleinement.
Les données obtenues à partir des observations de NIRCam fourniront des paramètres importants pour comprendre la configuration actuelle, le contexte historique, les origines, l'âge et la trajectoire évolutive des anneaux et des lunes d'Uranus. De plus, les observations de JWST des anneaux defus et poussiéreux permettront une caractérisation détaillée des structures comme l'anneau zêta et d'autres matériaux orbitant près des sommets des nuages d'Uranus. Ces informations revêtent une importance cruciale pour évaluer les dangers potentiels et informer la planification de futures missions, telles que la mission Uranus Orbiter and Probe (UOP) de la NASA.
- A quel point l’exploration spatiale à travers les télescopes est-elle importante ?
-Les télescopes jouent un rôle crucial en fournissant les données essentielles pour développer des modèles théoriques. La synergie entre les données d'observation obtenues par les télescopes et les investigations théoriques est indispensable pour élucider les processus de formation et d'évolution planétaire. Les deux aspects, observation et théorie, sont également importants pour faire progresser notre compréhension de la formation et de l'évolution des planètes.
- Sur quoi portent vos recherches actuellement ?
-Le futur est lumineux et rempli de projets. À SwRI, je travaillerai sur plusieurs projets :
I) Saturne, ses lunes, ses anneaux et les connexions gravitationnelles complexes entre ces trois composantes au sein du système saturnien. Ce travail éclairera l'intérieur de Saturne, mettra en évidence sa rotation différentielle et son champ tésséral, tentera de démêler les mystères de la formation et de l'évolution des lunes, et aidera à estimer l'âge débattu de ses magnifiques anneaux ;
II) Occultation stellaire basée depuis la Terre pour la caractérisation des centaures, des planètes naines et des objets transneptuniens, dans le but de révéler leurs formes physiques et leurs environnements ;
III) Caractérisation des exoplanètes, en se concentrant sur la détermination de leurs masses et de leurs paramètres orbitaux, dans le but de démêler leurs origines et leurs histoires évolutives ;
IV) Conception de petites missions (smallSATs et CubeSATs) pour valider et fournir des retours sur les prédictions théoriques ;
V) Formation, évolution et intérieurs des lunes d'Uranus. Les efforts collaboratifs de mes collègues et moi-même promettent d'influencer les futures missions spatiales, notamment la mission Uranus Orbiter & Probe (UOP) prévue pour être lancée dans environ une décennie ;
VI) La mission Lucy : le responsable scientifique principal de Lucy travaille à SwRI, cette mission est en route vers les astéroïdes troyens qui sont susceptibles d'être des vestiges du même matériau primordial ayant formé les planètes externes. Je me concentrerai sur les satellites et les anneaux alors que Lucy recherchera des anneaux et des satellites des astéroïdes troyens.
- Un mot sur l’exploration spatiale au Maroc ?
-En ce qui concerne l’exploration spatiale, il est évident que nous avons un grand potentiel au Maroc. La volonté du Royaume ainsi que les ressources humaines et surtout l’esprit brillant des jeunes font que le Maroc avance de manière rapide dans ce domaine. Le Maroc l’a déjà prouvé en envoyant des satellites de surveillance par exemple. Il va de soi que je serai très ravie et extrêmement motivée pour contribuer à faire avancer ce champ d’exploration. L’avenir promet d’être brillant. Je suis très optimiste pour l’exploration spatiale au Maroc et très fière de ce que mes concitoyens ont accompli pour faire briller notre cher pays dans le monde entier.
Recueillis par Safaa KSAANI