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Interview avec Mohamed Taher Sraïri : « L’agriculture marocaine doit se réinventer »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 8 Janvier 2025

Les récentes précipitations ont-elles suffi à sauver la campagne agricole marocaine ? Pas si sûr, répond Mohamed Taher Sraïri, spécialiste des systèmes de polyculture/élevage et professeur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV Hassan II). Dans cet entretien, il dresse un bilan alarmant de la situation et propose des pistes pour un avenir plus durable.



  • Le Maroc a entamé la campagne agricole 2024/2025 sous de bons auspices, à la faveur des récentes précipitations. La Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF) a fait savoir, dans une note de conjoncture, que la moyenne des précipitations nationales du 1er septembre au 6 décembre 2024 s’est élevée à 50 mm, contre 27 mm l’année précédente. Les dernières pluies sont-elles une bonne nouvelle pour l’agriculture marocaine ? 

Dans un pays aride à semi-aride, où plus de 80 % de la surface totale reçoivent en moyenne moins de 400 millimètres par an, toute pluie est la bienvenue, même si elle peut parfois causer des dégâts. Le Maroc, pays structurellement en situation de manque hydrique, est en quête perpétuelle d'eau. Les pluies de ce début d’année 2025, bien qu’insuffisantes, ont suscité un espoir fugace.

Cependant, la réalité sur le terrain est bien plus nuancée. Les principales régions céréalières, comme Abda, Doukkala, Chaouia, Zaër et Saïss ainsi que le Gharb, présentent un paysage peu réconfortant : des terres parfois encore nues, un couvert végétal déficient et des cultures en détresse. La conjonction de facteurs climatiques défavorables et de l’épisode d'inflation mondialisée accentue la vulnérabilité du secteur agricole et met en péril la production céréalière, pilier du système alimentaire national.
 
  • Le secteur fait face à des défis majeurs en raison des années successives de sécheresse, entraînant une baisse significative de la production, notamment pour les céréales pluviales. Quel bilan en tirez-vous ? 

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l'issue de la campagne agricole 2024/2025. Néanmoins, le faible taux d’emblavement des terres cultivables, dû à un contexte de pluies très aléatoires et éparses durant tout l’automne 2024, laisse présager d’ores et déjà une production finale limitée. Les conséquences de cette situation dépassent le simple cadre de la céréaliculture.

En effet, la production des fourrages pluviaux (avoine, orge, bersim, etc.) et la régénération des parcours naturels, essentiels à l'élevage, sont également compromises. Ce scénario pourrait même précipiter davantage la fin de l’autosuffisance du Maroc en matière de produits animaux : viandes rouges et produits laitiers.
 
  • Comment promouvoir une agriculture plus durable et résiliente face au changement climatique ? 

La recherche de solutions à ces défis constitue une tâche immense. Face à l'urgence climatique, la transformation de l'agriculture marocaine est devenue une nécessité absolue. Un débat national s'impose pour définir un nouveau paradigme à même de garantir une agriculture plus résiliente et durable. Il s'agit de repenser les pratiques agricoles, de favoriser la transition agroécologique et de ne plus considérer la monoculture dans des logiques agro-exportatrices comme le modèle à suivre.

Cela implique aussi de repenser les modes de gestion de l'eau dans la diversité de ses sources, donnant l’absolue priorité à la valorisation de la pluie. Il faut aussi cesser de considérer l'irrigation comme la solution au manque d’eau, les aides et l’appui technique devant davantage se focaliser sur l’agriculture pluviale.

De plus, le couplage systématique des cultures et de l’élevage doit redevenir des axes essentiels pour asseoir la souveraineté alimentaire du pays. Les enjeux sont donc réels et pressants : prôner des systèmes alimentaires durables tout en préservant les ressources naturelles et en œuvrant à créer des emplois durables dans les zones rurales.
 
  • En termes de recherche scientifique, quelles sont les nouvelles technologies (capteurs, drones, etc.) qui peuvent aider à optimiser l'utilisation de l'eau en agriculture ?

Pour faire face aux défis du changement climatique, l'agriculture doit s'adapter et innover. Les nouvelles technologies, telles que la télédétection et l'Intelligence Artificielle, peuvent constituer des outils au service de l’optimisation de la valorisation de l'eau. Toutefois, en parallèle, il est indispensable d'investir dans la recherche pour développer des variétés végétales et des races animales mieux adaptées aux conditions de manque d’eau. Cette approche systémique, qui associe innovation technologique et amélioration génétique, permettra non seulement de garantir la souveraineté alimentaire du pays, mais aussi de renforcer son économie et de préserver ses ressources naturelles.

Evidemment, ce sont des programmes à établir sur le long terme, dans des approches inclusives impliquant les pouvoirs publics, les agriculteurs et les interprofessions qui les représentent ainsi que les institutions d’enseignement et de recherche agronomique. Ce sont des schémas de recherche sur plusieurs décennies. Il faut décliner ces schémas aussi dans la diversité des territoires agroécologiques dont regorge notre pays, à savoir : plaines atlantiques, piémonts, hautes montagnes, oasis, etc. 
 
  • Quid des rôles des races locales en élevage ?

Le Maroc, grâce à sa position géographique remarquable, a la chance de bénéficier d’une diversité de zones agro-écologiques, qui ont abouti à une réelle richesse en termes de ressources génétiques animales. Des races endémiques bovines comme la Blonde d’Oulmès-Zaër (centre du Maroc) ou la Tidili (piémont du Haut Atlas) peuvent s’avérer comme des réservoirs de gènes intéressants pour penser aux ressources animales du futur, adaptées aux conditions du changement climatique.

Pour cela, il est important d’assurer leur sauvegarde, en évitant de les impliquer dans des croisements systématiques avec des races importées. En outre, il faut penser à des programmes de sélection sur le long terme, afin de valoriser leurs atouts : faible poids, rusticité, aptitudes à résister au stress thermique et au manque d’aliments, etc. Comme je le mentionnais précédemment, ce doit être des programmes planifiés sur le long terme, et bénéficiant d’un appui systématique des pouvoirs publics (établissement de stations de recherche, de programmes de contrôle des performances, etc.), tout en impliquant les éleveurs concernés, bien entendu dans les territoires où ces races évoluent. 
 
  • De manière plus générale, quel est le poids de l'agriculture et de l'élevage dans l'économie marocaine ?

L'agriculture et l'élevage constituent un pilier essentiel de l'économie marocaine. Ces activités représentent entre 11 et 14 % du PIB, selon les années, et emploient plus de 30 % de la population active. Ces chiffres témoignent de l'importance de ce secteur dans la création de richesses et dans la fourniture d'emplois, notamment en milieu rural. Au-delà de sa contribution directe au PIB et à l'emploi, l'agriculture marocaine exerce une influence considérable sur l'ensemble de l'économie.

Les bonnes performances du secteur agricole se répercutent positivement sur la croissance économique, sur la consommation des ménages et sur le moral de la population dans son ensemble. Inversement, les mauvaises campagnes agricoles, comme celles que nous avons connues ces dernières années, ont des conséquences néfastes sur l'ensemble de l'économie et peuvent générer un sentiment de pessimisme.
 
Recueillis par
Safaa KSAANI

5 millions d’hectares de céréales, un pari audacieux pour le Maroc

Le Maroc mise beaucoup sur sa production céréalière pour la campagne 2024-2025. Au démarrage de l’actuelle saison agricole, le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Ahmed El Bouari, a annoncé l’objectif d’atteindre 5 millions d’hectares dédiés à cette culture, soit une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Pour soutenir les agriculteurs, le gouvernement a mis en place un plan d’action comprenant la fourniture de semences certifiées à prix réduits, la subvention des engrais et le développement de l’assurance agricole. 

El Bouari a fait savoir que plusieurs mesures ont été mises en place pour soutenir la capacité de production des agriculteurs, particulièrement en matière d’approvisionnement en intrants tels que : les semences et les engrais, le développement des filières de production, la gestion de l’irrigation, l’assurance agricole et le financement. 

Selon le responsable gouvernemental, ces mesures consistent à fournir 1,3 million de quintaux de semences certifiées pour les céréales à des prix relativement inférieurs à ceux de la campagne précédente, à subventionner pour la première fois. Il s’agit des semences certifiées des légumineuses alimentaires et fourragères (entre 20% et 26% du coût de production) et l’approvisionnement du marché national en engrais phosphatés (650.000 tonnes) aux mêmes prix que ceux de la campagne écoulée. Le ministre a également fait état de la poursuite du soutien à l’achat d’engrais azotés, qui concerne 200.000 tonnes, ainsi que du renforcement de l’assurance agricole à travers un nouveau système basé sur l’augmentation du capital assuré dans les zones favorables et l’instauration d’un régime d’assurance spécifique pour les autres zones. 

À cet effet, il est prévu d’assurer 1 million d’hectares dans le cadre de l’assurance multirisque climatique pour les céréales, les légumineuses et les cultures oléagineuses, ainsi que 50.000 hectares dans le cadre de l’assurance multirisque pour les arbres fruitiers.



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