- Vous avez récemment été honorée à Paris en recevant « le Prix du meilleur roman des lecteurs et des libraires Points 2024 » pour votre roman « La Poule et son Cumin ». Comment avez-vous accueilli cette distinction ?
- Je suis très heureuse que le jury, composé de lecteurs et de libraires, ait permis une plus grande visibilité à l’histoire de mon premier roman ainsi qu’aux thèmes traités (égalité femmes/hommes et émancipation de la jeunesse au Maroc, rapport que l’on a avec la figure de l’étranger en France). Je suis émue aussi que la remise du Prix ait pu se faire à l’Ambassade du Maroc à Paris, en présence de Madame l’Ambassadeure Samira Sitaïl, que j’admire et estime énormément.
- De quoi parle votre roman ?
- À travers l'amitié entre deux jeunes femmes, Kenza et Fatiha, mon récit explore l'émancipation de la jeunesse contemporaine marocaine, avec toutes ses nuances et ses contradictions. Nous suivons le parcours de ces deux jeunes femmes, plongeant dans leur enfance, leur adolescence et leurs premiers pas vers l'âge adulte... C’est aussi une fresque historico-politique des relations entre le Maroc et la France depuis l’Indépendance.
- Par les récits croisés de Kenza et Fatiha, vous entremêlez les destinées de deux héroïnes entre soumission et transgression. Qu'est-ce qui vous a inspiré ces personnages et leur évolution ?
- Mon enfance au Maroc, et mon vécu en France, m’ont inspiré la volonté d’écrire ce roman. C’est une fiction, ce n’est aucunement ma vie, mais je me suis inspirée du Maroc et de la France d’aujourd’hui, et des injustices qu’il peut y avoir dans les deux pays, pour certaines personnes.
L’artiste, comme l’enfant, est peut-être plus perméable à l’injustice, aux injustices. C’est cela que j’essaye de retranscrire dans mes livres, à travers des histoires.
- Vous parvenez constamment à aborder des thèmes tels que l'égalité entre les femmes et les hommes, avec un ton à la fois tendre et vivifiant. Comment procédez- vous ? Quelle place le féminisme occupe-t-il dans vos livres, dans votre vie ?
- Pour moi, une société où la femme est soumise, que ce soit par les lois ou culturellement, reflète une vision toxique de la virilité chez l'homme. La libération de la femme entraîne également celle de l'homme. J'ai souvent entendu dire que « les hommes ne pleurent pas », mais pourquoi ne pourraient-ils pas exprimer leur sensibilité, s'occuper de leurs enfants, et assumer pleinement ces aspects ? C'est un thème que j'explore dans mon premier roman.
Dans mon deuxième roman, « Souviens-toi des abeilles », j'explore le rapport des hommes à la parole et la difficulté qu'ils éprouvent parfois à exprimer leurs émotions, surtout dans les sociétés traditionnelles des campagnes marocaines.
Dans mon deuxième roman, « Souviens-toi des abeilles », j'explore le rapport des hommes à la parole et la difficulté qu'ils éprouvent parfois à exprimer leurs émotions, surtout dans les sociétés traditionnelles des campagnes marocaines.
- L'écrivain Taher Ben Jelloun a déclaré que « ce roman est ce qu'on peut lire de mieux sur la lutte des classes au Maroc d'aujourd'hui ». Quelle réflexion portez-vous sur le problème de classes dans votre œuvre et dans la société marocaine contemporaine ?
- C’est effectivement l’un des thèmes forts de « La Poule et son Cumin ». Je pense que le Maroc est en train d’évoluer dans le bon sens là-dessus. Le rôle des artistes est de montrer la lumière mais aussi le côté sombre du quotidien, dans la société. Cela a un effet cathartique et peut aussi mener, parfois, à des prises de conscience intimes.
- Quels efforts doit-on entreprendre, selon vous, pour surmonter les clivages politiques et sociaux du Maroc contemporain ?
- L'éducation est primordiale : il est essentiel d'éduquer les enfants et d'assurer l'égalité des chances dans l'accès à une scolarité de qualité. De plus, la lecture, le cinéma et le théâtre jouent un rôle crucial en permettant aux enfants et aux adultes de s'ouvrir au monde et de découvrir l'Autre dans toute sa diversité. Ces formes d'art et de culture encouragent la compréhension et l'acceptation des différences, enrichissant ainsi les esprits et les cœurs.
- Votre deuxième roman « Souviens-toi des abeilles » propose une fable écologique sur la disparition progressive de ces insectes fragiles. Qu'espérez-vous que ce livre apportera-t-il à vos lecteurs ?
- C’est un roman sur la transmission et l’amour que l’on porte à notre terre. C’est l’histoire d’un grand-père qui souhaite transmettre son savoir à son petit-fils, Anir. Cependant, leur monde est en train de disparaître à cause du manque d’eau.
Comment fait-on lorsque nos trajectoires intimes sont bouleversées par la sécheresse, lorsque nous sommes contraints de quitter notre maison parce que la pluie ne vient plus ? Je raconte cette histoire dans un lieu réel et précieux, le rucher d’Inzerki, merveille du patrimoine amazigh et marocain. Ce site, bientôt candidat au patrimoine mondial de l’UNESCO par le Maroc, sert de toile de fond à mon récit.
- Qu'est-ce qui vous a initialement attiré vers la littérature francophone plutôt que d'autres traditions littéraires ?
- En ce qui concerne la langue, j'écris en français car c'est celle qui me met le plus à l'aise. Le français me permet d'exprimer mes pensées avec une précision et une fluidité qui me sont naturelles. C'est une langue riche et nuancée, capable de capturer les subtilités de mes émotions et de mes idées. En écrivant en français, je peux pleinement déployer mon talent littéraire et toucher un public plus large au sein de la francophonie.
- Comment pouvez-vous mettre à profit votre talent littéraire pour promouvoir la francophonie au Maroc ?
- J’écris d’abord pour raconter des histoires, pour faire voyager les lectrices et lecteurs à travers mes livres, et pour leur parler directement avec le cœur. Si mes œuvres contribuent à promouvoir la francophonie au Maroc, j'en suis heureuse. Cependant, mon but premier reste de partager des récits et des émotions. La littérature et l’art possèdent cette capacité unique de renforcer la francophonie, mais cette influence positive n'est qu'un bel effet secondaire de ma passion pour l'écriture.
- Que pensez-vous de la scène de l'édition au regard du nombre d'auteurs qu'il y a ou qui veulent publier ?
- Je suis très optimiste pour les lettres marocaines lorsque je vois le nombre de personnes qui souhaitent écrire, et qui arrivent à être publiées. Je suis particulièrement fière de voir de plus en plus de voix féminines qui se permettent de prendre la plume pour raconter des histoires, leurs histoires, leurs versions à elles. C’est un beau symbole de liberté.
- Vous êtes en pleine réflexion sur votre troisième roman. Pouvez-vous partager quelques indices sur les thèmes ou les idées que vous explorez pour ce prochain projet ?
- Pour le moment, je suis encore dans une période de réflexion... j’espère vous en dire plus très bientôt !