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« Jour et nuits », entre le jour et la nuit!


Rédigé par Mohamed Lotfi le Mercredi 14 Août 2024



« Y’a t-il un urbaniste dans la salle ?» j’ai envie de crier parfois!

Il y a sûrement des urbanistes à la municipalité de Rabat responsables, entre autre, de l’harmonie du paysage dans la capitale du pays. Avant de leur faire part de ma doléance, je raconte une petite histoire.
 
En 1967, j’avais 7 ans! Je venais d’arriver au quartier Hassan, sur la rue Capitaine Petit-Jean, qui deviendra plus tard Abdelmoumene. Le lendemain de notre déménagement, une voisine à peine plus jeune que moi, toute enjouée de faire ma connaissance, m’avait invité à visiter le grand jardin publique, à deux pas de ma nouvelle maison. En arrivant au milieu de la place Mélilia, juste avant d’entrer au parc, je m’étais retourné pour admirer les façades.
 
Deux immeubles avaient retenu particulièrement mon attention. Très différents l’un de l’autre, les deux font l’entrée de la rue Abdelmoumene. Celui à gauche était tout récent, d’une architecture ultra-moderne, d’apparence futuriste et l’autre, à droite, était plutôt ancien mais d’un charme irrésistible. Au coin de la façade de ce dernier pendait une grande enseigne en français. À cette époque, le français ne faisait pas partie du programme scolaire des enfants de 7 ans. Cette enseigne devait indiquer le nom d’un endroit, mais lequel? Pour impressionner la jeune mademoiselle, je l’avais invité à deviner trois mots que je ne savais pas lire moi-même. Elle a répondu en prononçant les mots en français « Jour et nuit », puis elle a ajouté en arabe « C’est un café pour les grandes personnes seulement ».
 

« Jour et nuits »,  entre le jour et la nuit!
Un café? je ne voyais qu’un muret d’arbustes taillés qui devançait le rez-de-chaussée de l’immeuble. Pour ne pas avoir l’air d’un blédard qui arrive pour la première fois en ville, je ne posai pas d’autres questions. Je demandai à ma gentille voisine de m’attendre à l’entrée du jardin publique. Pour avoir le coeur net, je pris la direction de l’ancien immeuble. Je voulais explorer moi-même l’endroit pour savoir quel genre de café pouvait-il se cacher derrière ce mur de verdure? J’empreignis la petite haie verdoyante qui menait à l’entrée du café et soudain, s’offrit à moi un tableau qui fera partie de mes très beaux souvenirs d’enfance.
 
Tout était beau dans cette terrasse. La bonne humeur des clients assis à des tables blanches, l’élégance des serveurs vêtus de pantalons noirs, de blouses blanches et de noeuds papillons. Un grand arbre se dressait au fond de la terrasse laissant ses branches et ses feuilles honorer de leur fraicheur ses hommes et ses femmes distingués. Je restai un moment à l’entrée du Jour et nuit. Ma jeune voisine vint me rejoindre. En me prenant la main, elle me rappela que c’est un café pour les grandes personnes seulement.
 
57 ans plus tard, chaque fois que je dois traverser le bordel circulatoire qu’est devenu la Place Mélilia, ma mémoire me projette, au ralenti, cette première rencontre avec « Jour et nuit », un café pas comme les autres qui donnait à son immeuble une splendeur et à la place Mélilia un cachet. Jour et nuit faisait partie de l’identité du quartier Hassan. Aujourd’hui, il n’’en reste rien!
 
Depuis la fermeture de ce café-resto-bar en 2006, c’est un parking de taxis qui a pris la place de sa belle et enchanteresse terrasse. Après sa fermeture, ses anciens employés, mal dédommagés, ont installé à son entrée un petit comptoir pour vendre des sandwichs aux sardines. Quand à l’immeuble Jour et nuit lui-même, après une visite de son intérieur et comme le laisse voir sa façade, force est de constater qu’il tombe en ruine alors qu’il continue d’abriter 10 familles. À l'invitation d'un résident, j’ai découvert des escaliers qui menacent de tomber. À chaque marche, j’ai eu peur de perdre pied. On traverse les étages comme dans un cauchemar. On pourrait y tourner un film d’horreur! Comment continuer à habiter un immeuble aussi dangereux qui donne sur une place traversée par un tramway aussi moderne ?
 

« Jour et nuits »,  entre le jour et la nuit!
Pourtant, le réaménagement de la Place Mélilia, depuis l’arrivée du tramway, devait en faire une belle rencontre entre le passé, incarné par le style art déco de l’immeuble Jour et nuit et le présent, représenté par le passage d’un tramway à la fine pointe de la technologie. De toute évidence le plan de réaménagement de la Place Mélilia souffre d’incohérence.
 
Les chauffeurs n’utilisent que très rarement le nouveau parking réservé aux petits taxis, qui fut jadis une belle terrasse de café. Donc, espace perdu. Une bonne partie du rond-point est utilisé comme parking de voitures. Un autre espace mal utilisé. Les grands taxis blancs et les autobus ont fait de l’espace entre le rond-point de la Place Mélilia et l’avenue Al Mansour Addahbi qui longe le jardin publique une zone de concentration de la circulation source de toutes les pollutions. Espace trop encombré. D’autres espaces de la place Mélilia aurait du être utilisés autrement pour désengorger la circulation et redonner du lustre à ses façades. 
 
À l’approche de la coupe d’Afrique en 2025 et le mondial de 2030, Rabat se fait belle. Qu’il me soit permis d’espérer à cette occasion une remise à jour de la Place Mélilia en redistribuant ses espaces de façon utile et harmonieuse. Cette place raconte l’histoire moderne de Rabat. J’ose également souhaiter une réhabilitation de l’immeuble Jour et nuit, un joyau de l’architecture de la capitale. Que sa façade dévoile sa splendeur d'antan. Qu'il retrouve sa belle galerie ombragée au dernier étage. Que ses résidents retrouvent une sécurité. Cet immeuble devrait être inscrit comme faisant partie du patrimoine architectural de Rabat au Ministère de la Culture.
 
Je ne m’arrêterais pas ici sur les détails de la vie nocturne de cette place et ses environs, devenus sources de bruits pour les résidents. Comment les autorités municipales peuvent-elles accorder une autorisation d’ouverture à certains commerces, sachant que cela affecte le sommeil des résidents?
 
Oui, il y a des urbanistes responsables et compétents qui relèvent de la préfecture de Rabat. Ils ont fait preuve de grande compétence dans la réhabilitation d’autres zones de la capitale comme la Place Pietri et la Place El Joulane. Je leur demande en tant que citoyen amoureux de sa ville d’en faire autant pour la Place Mélilia.
 
Devenues de grandes personnes, ma voisine et moi, nous n’avons pas oublié l’élégance, l’harmonie et le civisme qui régnaient jadis dans notre quartier. 
 







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