Après la pluie le beau temps, et après la sécheresse revient le temps humide. Une règle de la nature qui pourtant n’exclut pas que les cycles de très faibles pluviométries s’allongent et s’éternisent, surtout avec l’influence grandissante des impacts du changement climatique qui malmènent toute la région méditerranéenne depuis plusieurs années. Au bout de la sixième année de vaches maigres, les Marocains en étaient à se demander si le bout du tunnel existait bel et bien quelque part. La bonne nouvelle se matérialisa sous forme de bruines, de pluies salvatrices, de neiges drues et d’averses orageuses qui ont traversé le Royaume après un tant attendu geste clément de la dépression des Açores dont les caprices conditionnent souvent le salut pluviométrique du Maroc et de l’Ibérie. De même, certaines modifications des tendances et dynamiques météorologiques semblent redonner au Maroc ses chances de revivre de bons épisodes bien arrosés, après plusieurs années durant lesquelles le ciel était trop bleu. Quelles leçons peut-on tirer aujourd’hui de la traversée du désert que notre pays vient de vivre ?
Changement climatique
Dans un précédent numéro, Mohammed-Saïd Karrouk, professeur de climatologie à l’Université Hassan II, FLSH de Ben M’Sick, nous livrait une première leçon fondamentale : «Le réchauffement climatique n’est pas forcément synonyme de disparition ou de diminution des tendances de précipitations et de chutes de neige au niveau national puisque personne ne peut prédire avec certitude l’évolution du climat et des composantes qui interagissent pour le façonner». Le climatologue qui, en janvier déjà, expliquait que «les données disponibles indiquent qu’il y a des chances pour que l’année en cours soit humide», évoque actuellement le retour de La Ninia en Océan Pacifique favorisant ainsi le déblocage du verrou des Açores qui empêchait jusqu’alors le retour des pluies au Maroc. La plus importante des mises au point et leçons que Mohammed-Saïd Karrouk met en avant reste le mythe de la sécheresse qui serait «devenue structurelle». «La sécheresse n’est pas devenue structurelle au Maroc, elle l’est depuis des milliers d’années et nos ancêtres ont su la gérer et vivre avec», martèle-t-il.
Politique des barrages
Troisième leçon qui peut être tirée, après la fin apparente du dernier cycle de sécheresse, concerne les barrages. Durant des années, ils étaient nombreux à interpeller les décideurs, tant sur les réseaux sociaux que dans les autres espaces d’expression et de débat, sur l’intérêt de continuer à construire des barrages alors que les pluies étaient aux abonnés absents. Il est plus que jamais apparent que sans la politique des barrages lancée par Feu Hassan II et poursuivie par SM le Roi Mohammed VI, que Dieu l’Assiste, le Royaume aurait subi les préjudices de la sécheresse avec une intensité beaucoup plus importante. De même, des bassins versants aussi arides que le Guir-Ziz-Rhéris qui n’avait reçu que quelques gouttes de pluies pendant des années, ont bien fini par bénéficier de précipitations abondantes qui n’ont pas manqué d’être partiellement retenues dans les barrages de la région, fournissant ainsi des réserves précieuses pour la population locale. Bref, construire, maintenir et agrandir les barrages (de grande, moyenne et petite taille) est un impératif qu’il il faut s’atteler à poursuivre la mise en œuvre, bon an, mal an.
Agriculture qui fâche
Au moins deux autres leçons sont également à retenir pour améliorer la résilience de notre pays face aux aléas des cycles de sécheresse. La première concerne la rationalisation de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture alors que la deuxième, complémentaire, nous incite à monter rapidement en gamme en matière de valorisation et de réutilisation des eaux non-conventionnelles. «Il existe un potentiel énorme dans la mise à profit agricole des eaux usées traitées, en particulier pour l’irrigation des cultures fourragères et arboricoles», explique ainsi Pr Redouane Choukr’Allah, expert en agriculture durable et en ressources hydriques. Pour la rationalisation de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture, la leçon à tirer est aussi évidente qu’apparemment difficile à mettre en œuvre, surtout en matière de surexploitation des nappes souterraines. D’aucuns vous diront que le Maroc n’a pas vocation à nourrir le monde avec des cultures irriguées par une eau dont le coût réel est invisibilisé. D’autres estiment que produire pour l’export est une orientation à maintenir coûte que coûte. Gageons que les prochaines leçons en la matière ne seront pas punitives mais plutôt évitables…
3 questions à Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau «Il faut continuer à multiplier l’édification des petits barrages»

Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
- Les effets des changements climatiques accentuent les averses courtes et intenses après les épisodes de sécheresse. Comment tirer profit de cette eau en évitant les dégâts liés aux charriage et sédiments qu’elle transporte ?
- Comment les nouvelles technologies peuvent-elles contribuer à mieux gérer ce genre de phénomènes ?
- Comment justement tirer plein profit de ce potentiel ?
La jeunesse appelée à devenir actrice de la résilience hydrique
Les leçons de la sécheresse ne valent que si elles sont véritablement apprises, comprises et prises en considération. Et ce sont les jeunes générations, en première ligne face aux défis climatiques de demain, qui doivent en être les principaux dépositaires. Après un cycle de sept années de sécheresse, le Maroc entame une transition cruciale vers une gestion plus intelligente, équitable et durable de ses ressources hydriques. Cette transformation ne pourra aboutir sans une implication active, continue et structurée de la jeunesse. C’est le message fort porté à Rabat, le 20 mars, lors d’une rencontre organisée dans le cadre de la célébration de la Journée mondiale de l’eau par le ministère de l’Équipement et de l’Eau, en partenariat avec le Réseau des Jeunes pour l’Eau au Maroc. Le ministre Nizar Baraka y a souligné l’importance d’installer une nouvelle culture hydrique, portée par une génération consciente des enjeux du climat et de la rareté de l’eau. À travers les établissements scolaires, les campus universitaires, les projets associatifs ou les plateformes numériques, les jeunes sont appelés à jouer un rôle clé dans la sensibilisation, l’innovation et le changement des comportements. Clubs d’écologie, programmes de veille locale, actions de vulgarisation ou initiatives citoyennes : la résilience climatique se construit aussi par ces relais de terrain. L’éducation à la gestion de l’eau devient ainsi un pilier stratégique, au même titre que les infrastructures. Car au fond, le chantier de l’eau est aussi un chantier de société, et la jeunesse en est l’un des premiers piliers.
Sensibilisation : Les Marocains conscients de l’importance de la sobriété hydrique
Parmi les autres leçons majeures que nous livre la sécheresse au Maroc figure la nécessité d’ancrer une culture durable de la sobriété hydrique. Or, les Marocains semblent prêts : selon l’étude internationale “GROHE Water Insights 2025”, 92% des personnes interrogées dans la région Moyen-Orient, incluant le Royaume, affirment que l’efficacité de l’eau dans leur foyer leur tient personnellement à cœur. Un taux supérieur à celui observé en Europe (87%) ou en Amérique du Nord (85%), et qui témoigne d’une conscience aiguë de l’urgence hydrique. Cette prise de conscience, renforcée par sept années de pénurie, constitue un levier essentiel pour faire évoluer les comportements et préparer l’avenir. Encore faut-il que cette volonté citoyenne soit accompagnée par des politiques concrètes : accès facilité aux équipements économes, information adaptée, incitations ciblées, appui aux ménages modestes et aux territoires vulnérables… La sobriété ne se décrète pas, elle se construit. Et les Marocains sont manifestement déjà en avance sur le chemin.
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