L’enseignement à distance engagé par le ministère de l’Education n’est pas aussi éfficace que prévu.
Afin d’endiguer la propagation du Coronavirus à travers le territoire national, le Maroc, comme partout ailleurs à travers le monde, s’est retrouvé obligé de «switcher» vers l’enseignement à distance. Cette réaction bien qu’elle permette une réponse d’urgence à la crise, reste faiblement efficace, du fait que le Maroc n’est pas suffisamment armé pour s’orienter vers les alternatives à distance, y compris les alternatives en ligne, télévisées, radios et autres supports. D’un autre côté, les élèves marocains n’ont pas un accès égal aux ressources et aux possibilités d’apprentissage à distance. Ainsi, pour ce qui est de ce nouveau mode d’enseignement, quelques points méritent d’être visités. Il s’agit, tout d’abord, des barrières à l’accès, y compris la disponibilité de l’outil digital à la maison et à l’école, souligne le «Policy Center of the New South», dans un rapport dans lequel il dresse un état des lieux de l’éducation à distance au Maroc, ajoutant qu’outre la disponibilité, c’est l’utilisation de l’outil qui compte vraiment.
Les inégalités : un rempart pour la réussite du e-learning
Pour ce qui est de l’accès, les données indiquent qu’il est limité au niveau de la maison alors qu’environ la moitié des étudiants ne disposent pas d’ordinateur portable, de tablette ou de connexion internet, indiquent Aomar Ibourk et Tayeb Ghazi, auteur dudit rapport. Et d’ajouter que 60% n’ont pas d’ordinateur de bureau, et seulement 24% ont un lecteur ebook. Toutefois, les trois quarts des étudiants déclarent avoir des téléphones portables avec accès à internet. Si l’accès à l’outil digital à la maison semble limité, sauf pour ce qui est des téléphones portables avec accès à internet, l’utilisation de cet outil l’est encore plus. 49% des étudiants enquêtés déclarent avoir fait usage de la connexion internet, 41% utilisent des ordinateurs portables, ce pourcentage retombe à 34% pour les tablettes, 26 pour les ordinateurs de bureau et seulement 14% en ce qui concerne les lecteurs ebook. Ainsi, bien que le ministère de l’Education nationale se soit mis sur le pied de guerre pour produire les ressources numériques nécessaires, en ces temps de confinement, cette action reste à faible impact, puisque seuls les favorisés peuvent en bénéficier. Ainsi, avec plus de 12 millions d’apprenants dans les différents cycles du système éducatif du Royaume, l’équipement de tous, chez eux et en classe, de PC portables et de connexion internet serait à la fois une nécessité impérieuse et une opportunité pour redonner vie à l’éducation nationale.
Disparités régionales et fragilité des infrastructures
Outre ces limitations en matière d’accès et d’utilisation au niveau national, une analyse par milieu de résidence permet de soulever la présence d’une fracture numérique entre le milieu urbain et le milieu rural, mais aussi entre les étudiants du quartile socioéconomique supérieur et ceux appartenant au quartile inférieur. A titre d’exemple, 67% des étudiants du milieu urbain se dotent et utilisent un téléphone portable avec accès à internet à la maison et 59% se dotent et utilisent une connexion internet, précise-t-on de même source. Ces proportions sont de l’ordre de 52% et 32%, respectivement, en milieu rural, soit des écarts respectifs de 15% et 27%. Et même ceux qui disposent d’un accès internet rencontrent des dysfonctionnements fréquemment, suite aux insuffisances infrastructurelles. Il est donc fondamental, de remédier à ce problème, et en urgence, surtout à la veille du nouveau modèle de développement, notamment à travers l’accélération du Plan National de développement du Haut Débit (PNHD) et la consolidation des capacités et le développement du maillage des territoires (urbains et ruraux) en infrastructures télécoms.
Tirer les bonnes leçons pour l’avenir
Ceci dit, AomarIbourk et Tayeb Ghazi, considèrent que cette crise sanitaire est une opportunité, et que des efforts devraient être déployés à tous les niveaux de l’écosystème de l’apprentissage à distance. En plus de doter les étudiants et les élèves des moyens permettant un accès positif à ce mode d’enseignement, il s’agit également d’aider les parents à réussir le nouveau rôle «d’enseignant» qui leur a été attribué (voir repères), former les enseignants et les doter des compétences et des pratiques pédagogiques requises en matière de technologies de l’information et penser à des médias favorables à la réduction de la distance transactionnelle et l’interaction selon ses quatre niveaux : enseignant-étudiant, étudiant-étudiant, étudiant-contenu et étudiant-interface.
Les efforts fournis par le ministère sont applaudis, certes, mais ne prêtent pas à réjouissance. Il faut donc, se préparer et se projeter dans l’avenir. Cela signifie de prendre des mesures pour prévenir de futures pandémies et faciliter de meilleures réponses, mais également de gagner une bonne position à long terme, afin de faire de la composante en ligne un levier d’une éducation de qualité pour tous.
Les efforts fournis par le ministère sont applaudis, certes, mais ne prêtent pas à réjouissance. Il faut donc, se préparer et se projeter dans l’avenir. Cela signifie de prendre des mesures pour prévenir de futures pandémies et faciliter de meilleures réponses, mais également de gagner une bonne position à long terme, afin de faire de la composante en ligne un levier d’une éducation de qualité pour tous.
3 questions à Aawatif Hayar, présidente de l’Université Hassan II de Casablanca
Aawatif Hayar
« Il serait souhaitable que l’offre de gratuité des accès pour les étudiants soit durable »
Pour avoir une idée claire sur le déroulement du e-learning au sein des universités, nous avons contacté Pr. Aawatif Hayar, présidente de l’Université Hassan II de Casablanca.
Recueillis par S. J.
Pour avoir une idée claire sur le déroulement du e-learning au sein des universités, nous avons contacté Pr. Aawatif Hayar, présidente de l’Université Hassan II de Casablanca.
- Dans quelles mesures les inégalités socio-économiques impactent-elles la continuité pédagogique des étudiants ?
- L’égalité des chances est une condition sine qua non pour la réussite du système éducatif. Bien que le nombre d’étudiants de l’Université Hassan II de Casablanca, n’ayant pas les moyens de poursuivre leurs études convenablement suite au manque de moyens est très faible, nous avons été très exigeants et très critiques sur ce volet. Ainsi, plusieurs établissements de la région Casablanca-Settat, ont distribué des fournitures pour les étudiants, afin qu’ils puissent assurer leurs cours à distance.
- Quels sont les problèmes que rencontre aujourd’hui l’enseignement à distance en ces temps de confinement ?
- Le plus grand problème est celui des accès aux plateformes. Les ministères concernés en collaboration avec les opérateurs télécoms et l’ANRT ont pu offrir un accès gratuit pour les étudiants aux plateformes officielles, soit. Mais le problème c’est que certaines plateformes n’assurent pas les vidéo-conférences, l’interaction, ce qui amène les enseignants à utiliser les réseaux sociaux pour donner leurs cours. Pour éviter ce problème et préserver l’esprit de l’égalité des chances, l’Université a mis en place une plateforme (i-UH2C, considérée comme une pierre angulaire du projet « UH2C Smart Campus »), qui offre des services de visioconférence performants et accessibles à tous, en utilisant des réseaux locaux. Ainsi, tous les étudiants et les enseignant peuvent y accéder gratuitement.
- Quelles sont les leçons à tirer de cette crise ?
- L’égalité des chances est une condition sine qua non pour la réussite du système éducatif. Bien que le nombre d’étudiants de l’Université Hassan II de Casablanca, n’ayant pas les moyens de poursuivre leurs études convenablement suite au manque de moyens est très faible, nous avons été très exigeants et très critiques sur ce volet. Ainsi, plusieurs établissements de la région Casablanca-Settat, ont distribué des fournitures pour les étudiants, afin qu’ils puissent assurer leurs cours à distance.
- Quels sont les problèmes que rencontre aujourd’hui l’enseignement à distance en ces temps de confinement ?
- Le plus grand problème est celui des accès aux plateformes. Les ministères concernés en collaboration avec les opérateurs télécoms et l’ANRT ont pu offrir un accès gratuit pour les étudiants aux plateformes officielles, soit. Mais le problème c’est que certaines plateformes n’assurent pas les vidéo-conférences, l’interaction, ce qui amène les enseignants à utiliser les réseaux sociaux pour donner leurs cours. Pour éviter ce problème et préserver l’esprit de l’égalité des chances, l’Université a mis en place une plateforme (i-UH2C, considérée comme une pierre angulaire du projet « UH2C Smart Campus »), qui offre des services de visioconférence performants et accessibles à tous, en utilisant des réseaux locaux. Ainsi, tous les étudiants et les enseignant peuvent y accéder gratuitement.
- Quelles sont les leçons à tirer de cette crise ?
- Il serait souhaitable que cette offre des opérateurs télécoms pour l’enseignement digital soit durable, notamment en termes de gratuité des accès pour les étudiants. Il faut également que toutes les universités travaillent sur des plateformes à accès ouvert, pour assurer dans le futur un enseignement «hybride», efficace et équitable.
Recueillis par S. J.
Repères
Apprentissage en crise avant la Covid-19
Déjà avant l’avènement de cette pandémie, les apprentissages étaient en crise et confrontés à de nombreux défis dans plusieurs parties du globe. Des plus sérieux, il y a lieu de mentionner la pauvreté des apprentissages alors qu’environ 53 % des enfants de 10 ans dans les pays en développement ne sont pas en mesure de lire et de comprendre un texte adapté à leur âge. A titre d’exemple, ce taux se situe au Maroc à environ 64%. Cette pauvreté est loin d’être uniforme. Plusieurs enquêtes nationales et internationales indiquent une ségrégation des rendements scolaires selon le milieu socio-économique, mais aussi géographique.
La contrainte de l’accompagnement des parents
Les trois quarts des étudiants reconnaissent l’importance donnée à leur éducation par leurs parents, selon le rapport du Policy Center. Cependant, l’intérêt des parents ne se matérialise pas autant par un suivi du progrès de l’éducation de leurs enfants. Seul le quart des parents le fait au niveau national et 20% au niveau rural. Notons, au passage, que les grands taux d’analphabétisme pourraient empêcher les parents de bien remplir leur nouveau rôle : 64% des parents des étudiants du quartile inférieur et 30% des parents en milieu rural n’ont aucune éducation.