Magritte, le monde poétique.
Le vingt-et-unième siècle est incontestablement le siècle des pandémies sibyllines. Cela irradie une tonalité toute tragique et une vision du monde catastrophiste. Certains intellectuels y voient déjà l’imminence de l’apocalypse et la mise en cercueil de l’humain.
Le monde moderne aborde la phase la plus anti-poétique de son histoire, il va faire la fin de la parole et voudrait ne plus s’exprimer que par un jeu limité d’onomatopées efficaces, économiques et rentables. Selon Philippe Jaccottet, « l’esprit moderne ne nous propose de choix qu’entre un collectivisme et un hyper individualisme également mortels ». Cette violence du temps historique rend d’autant plus nécessaire le ressourcement dans un autre paradigme à même de réhabiliter les droits de l’esprit, de réenchanter l’âme et de rapatrier l’homme moderne en lui rendant les vraies dimensions de sa nature.
Que peut la poésie face à cette modernité définie par Octavio Paz en termes d’« ère de scission » et par Georges Steiner en termes de « rupture de l’alliance entre le mot et le monde »? À l’heure du néolibéralisme, quelles stratégies la poésie a-t-elle élaboré pour résister à la loi du marché, aux manoeuvres belliqueuses et à l’idéal transhumaniste ? La poésie peut-elle assumer une fonction salvatrice? Le tout-technologique n’a-t-il pas nivelé les sentiments et les pensées et remplacé le sensible par le virtuel ? Y a-t-il urgence à resocialiser la poésie pour une génération qui la déserte ?
L’homme, dans le palimpseste de la mémoire
Si pour Adorno, la poésie est impossible, il semble plutôt que ce soit dans cette impossibilité même que la poésie moderne prenne tout son sens. Pour Yves Bonnefoy, « le sentiment poétique seul peut préserver de la barbarie les sociétés en désordre de la désastreuse époque présente ». Le poète cherche des points d’ancrage, des référents sur la base desquels l’homme moderne, par- delà les drames et les ruptures et même parfois à la faveur des crises les plus éprouvantes, pourrait réenchanter lyriquement le monde, il trouve la formule d’une réplique efficace en refusant d’adhérer à l’esprit des chapelles, aux grands récits de la bien-pensance et aux mythes de la globalité et du tout-logocentrique en tentant la formule de sa minuscule alternative à la massive mercantilisation du sens qui caractérise ce que Bernard Noël appelle « le monde du décervelage ».
La poésie est le seul lieu d’honneur de la résilience utopique de l’homme contre sa propre disparition. Malgré son audience limitée et sa facture tragique, la poésie est génératrice d’exaltation, de vitalité et d’espérance. Elle est aussi le vecteur d’un langage autre, d’un imaginaire de la présence et de formes de temporalités non violentes.C’est la nouvelle mission de la poésie que de réintégrer l’homme moderne au fond archéologique de son propre paysage intérieur et de lui réapprendre un langage qu’il a oublié, mais qui n’a pas disparu pour autant du palimpseste de la mémoire. Cette réhabilitation des droits de l’esprit, loin d’être régressive, peut, au contraire, recomposer l’intégralité psychique de l’homme moderne.
Le réenchantement de l’âme ne peut donc s’effectuer que par la médiation vitale du poète, figure du monde appelée à plus d’exigence et à moins de conformisme, c’est-à-dire à être plus proche de l’inconscient que de la proposition collective et des structures d’une idéalité jugée répressive et dépensée dans l’inessentiel. Le poète moderne n’est plus en droit de tourner le dos à ce monde-ci. Il doit rendre plus sensible ce qui est.
Le monde moderne aborde la phase la plus anti-poétique de son histoire, il va faire la fin de la parole et voudrait ne plus s’exprimer que par un jeu limité d’onomatopées efficaces, économiques et rentables. Selon Philippe Jaccottet, « l’esprit moderne ne nous propose de choix qu’entre un collectivisme et un hyper individualisme également mortels ». Cette violence du temps historique rend d’autant plus nécessaire le ressourcement dans un autre paradigme à même de réhabiliter les droits de l’esprit, de réenchanter l’âme et de rapatrier l’homme moderne en lui rendant les vraies dimensions de sa nature.
Que peut la poésie face à cette modernité définie par Octavio Paz en termes d’« ère de scission » et par Georges Steiner en termes de « rupture de l’alliance entre le mot et le monde »? À l’heure du néolibéralisme, quelles stratégies la poésie a-t-elle élaboré pour résister à la loi du marché, aux manoeuvres belliqueuses et à l’idéal transhumaniste ? La poésie peut-elle assumer une fonction salvatrice? Le tout-technologique n’a-t-il pas nivelé les sentiments et les pensées et remplacé le sensible par le virtuel ? Y a-t-il urgence à resocialiser la poésie pour une génération qui la déserte ?
L’homme, dans le palimpseste de la mémoire
Si pour Adorno, la poésie est impossible, il semble plutôt que ce soit dans cette impossibilité même que la poésie moderne prenne tout son sens. Pour Yves Bonnefoy, « le sentiment poétique seul peut préserver de la barbarie les sociétés en désordre de la désastreuse époque présente ». Le poète cherche des points d’ancrage, des référents sur la base desquels l’homme moderne, par- delà les drames et les ruptures et même parfois à la faveur des crises les plus éprouvantes, pourrait réenchanter lyriquement le monde, il trouve la formule d’une réplique efficace en refusant d’adhérer à l’esprit des chapelles, aux grands récits de la bien-pensance et aux mythes de la globalité et du tout-logocentrique en tentant la formule de sa minuscule alternative à la massive mercantilisation du sens qui caractérise ce que Bernard Noël appelle « le monde du décervelage ».
La poésie est le seul lieu d’honneur de la résilience utopique de l’homme contre sa propre disparition. Malgré son audience limitée et sa facture tragique, la poésie est génératrice d’exaltation, de vitalité et d’espérance. Elle est aussi le vecteur d’un langage autre, d’un imaginaire de la présence et de formes de temporalités non violentes.C’est la nouvelle mission de la poésie que de réintégrer l’homme moderne au fond archéologique de son propre paysage intérieur et de lui réapprendre un langage qu’il a oublié, mais qui n’a pas disparu pour autant du palimpseste de la mémoire. Cette réhabilitation des droits de l’esprit, loin d’être régressive, peut, au contraire, recomposer l’intégralité psychique de l’homme moderne.
Le réenchantement de l’âme ne peut donc s’effectuer que par la médiation vitale du poète, figure du monde appelée à plus d’exigence et à moins de conformisme, c’est-à-dire à être plus proche de l’inconscient que de la proposition collective et des structures d’une idéalité jugée répressive et dépensée dans l’inessentiel. Le poète moderne n’est plus en droit de tourner le dos à ce monde-ci. Il doit rendre plus sensible ce qui est.