De son échoppe du marché central de Rabat, l’artiste ne rêve que de musique, de gharnati, à pleins feux. Doux et un brin stressé par ce qui s’invite à son oreille (Mohamed Abdelwahab, Oum Kelthoum, Malhoun…), il décide de creuser loin de ce qu’il vend pour moins gagner et mieux s’épanouir. Il se jette alors dans l’immense espace d’un art qui le serre rapidement contre de belles envolées. Il est l’élève mais pas uniquement. Il y va, gaucher et pas gauche, de pas justes. L’un de ses premiers maîtres est Houssein Belmeki El Hajjam qui se trouve être mon paternel. Dans l’armada des détenteurs de ce genre musical à Rabat, il y a Ahmed Bennani, Ben Aïssa El Oufir, Habibi Mbirkou, Ahmed Chafiï, El Maâti El Kortobi, Cherqui et autres grandes belles âmes ne jurant que par la note qui trouble, qui rend heureux. Dans ses neurones, il y a un autre ténor : Fquih Sbiyaa. Ahmed Piro ne sait pas trop quoi faire, ou si. Il monte un ensemble dans lequel il y invite quelques-uns de ses mentors. Et cela prend de l’ampleur dans la communauté des beaux réceptifs. Piro se submerge de gharnati et ne sait plus à quel volume l’avaler pour mieux le distiller à l’auditeur. Il y nage avec sagesse et s’y perd par amour d’un genre qui le tient par la gorge.
Son fils Taha, violoniste et futur membre du combo du défunt raconte : « Depuis mon très jeune âge, mon père respectait mes penchants musicaux. J’étais amoureux du violon et il a tout fait pour m’inculquer les principes de cet art, ce qui m’a poussé à mieux apprécier la musique raffinée. Il a ensuite commencé à m’ouvrir les portes des répétitions de sa formation et m’inviter à assister aux soirées qu’il animait. En fait, il m’a soigneusement éduqué artistiquement. Ensuite, il m’a intégré à l’orchestre (le sien) de la musique gharnatie de Rabat. Cela a été couronné par des tournées et des hommages au Maroc et à l’étranger. » Je rencontre Piro à Essaouira où un hommage lui est consacré par le festival des Andalousies atlantiques. A ma question « Tu te rappelles de moi ? », il répond sans réfléchir « Allah Yerham Ba Houssa » (ainsi appelait-il mon père). Dans la foulée, il appelle Bahaa Ronda, sa chanteuse/cantatrice fétiche, qui ne trouve pas de mots pour me parler, de mon père bien évidemment. Emue, elle m’enlace. Après Haj Ahmed Piro, cette belle étoile de l’univers du gharnati, devrait continuer à briller, rendant hommage à l’art qui la fait vibrer, et à ses maîtres, sachant que quand Piro s’enrhume, il éternue en gharnati.
Son fils Taha, violoniste et futur membre du combo du défunt raconte : « Depuis mon très jeune âge, mon père respectait mes penchants musicaux. J’étais amoureux du violon et il a tout fait pour m’inculquer les principes de cet art, ce qui m’a poussé à mieux apprécier la musique raffinée. Il a ensuite commencé à m’ouvrir les portes des répétitions de sa formation et m’inviter à assister aux soirées qu’il animait. En fait, il m’a soigneusement éduqué artistiquement. Ensuite, il m’a intégré à l’orchestre (le sien) de la musique gharnatie de Rabat. Cela a été couronné par des tournées et des hommages au Maroc et à l’étranger. » Je rencontre Piro à Essaouira où un hommage lui est consacré par le festival des Andalousies atlantiques. A ma question « Tu te rappelles de moi ? », il répond sans réfléchir « Allah Yerham Ba Houssa » (ainsi appelait-il mon père). Dans la foulée, il appelle Bahaa Ronda, sa chanteuse/cantatrice fétiche, qui ne trouve pas de mots pour me parler, de mon père bien évidemment. Emue, elle m’enlace. Après Haj Ahmed Piro, cette belle étoile de l’univers du gharnati, devrait continuer à briller, rendant hommage à l’art qui la fait vibrer, et à ses maîtres, sachant que quand Piro s’enrhume, il éternue en gharnati.
Une vie limpide
Piro, rbati-andalou profond, raconte en 2013 ce qui le maintient en vie dans « Al Ihata Fi Angham Gharnata ». Un ouvrage où il colmate plusieurs brèches, s’attaquant aux différentes « noubas », expliquant ses exigences et ses origines, transcrivant les textes qui les accompagnent. De l’inédit. Le musicologue Ahmed Aydoun rappelle : « Maître Ahmed Piro s’est engagé corps et âme dans un formidable travail de compilation des poèmes selon la classification modale et rythmique en usage dans l’école de Rabat, un travail qui est égal en importance à celui réalisé à la fin du XVIII siècle par Mohamed Ibn Al Hossain Al Hayek. Le travail de si Ahmed Piro comble donc une lacune. » Né en 1932, l’artiste apprend le coran avant de fréquenter la célèbre école Guessous du quartier Les Orangers. Il ouvre plus tard un magasin dont la fréquentation est aussi conséquente que son rêve au futur immédiat.
Ahmed Piro rencontre, parallèlement, quelques aînés à la frappe musicale inégalable. Le premier ensemble gharnati est monté sur une idée du comédien Laârbi Doghmi. Son chef est l’incontournable Ahmed Bennani. C’est d’un jardin d’éden que nous parlons, d’une vie paisible s’élançant sur oued Bouregreg lorsque ces hommes fatals embarquent pour une journée, jouant, chantant et consommant de l’alose frétillant, ce bon vieux « chabel ». La vie limpide leur appartient et ils nous en font profiter avec élégance. Le gharnati, ils en sont les patriarches rbatis et leurs descendants se comptent sur les doigts d’une main (comme Mohamed Amine Debbi), fort malheureusement. Bahaa Ronda narre son expérience dans l’univers de Piro et pas seulement : « Avec beaucoup de tristesse et de regret, maître Ahmed Piro nous a quittés laissant derrière lui une belle valeur ajoutée pour le patrimoine gharnati marocain. J'ai eu la chance d'être son élève fidèle durant une quarantaine d'années et aussi de chanter avec maître Ba Houssein Belmekki El Hajjam, un violoniste hors pair et un grand maâlem. Des soirées inoubliables en famille, des festivals, des représentations à l'étranger... Bref, des expériences qui marquent.
Ahmed Piro était un homme de valeurs humaines, artistiques, culturelles, sociales... C'était une belle âme au grand cœur capable d'aimer tout le monde. Avec le départ de ce maître, nous avons perdu le dernier pilier de l'art gharnati authentique de Rabat. Il a déployé tous ses efforts pour la préservation, l'interprétation et la transmission aux mélomanes. Maître Piro nous a rendu un grand service via les ouvrages qu'il a produit : ‘’Al Ihata Fi Angham Gharnata’’ et ‘’Al Idafa’’. Merci maître de m'avoir orientée et motivée pour persévérer dans le domaine du gharnati tout en accordant la priorité à mes études et mon travail administratif ... Fière d'avoir été ton élève. Avec sidi Ahmed j'ai appris que le vrai artiste doit rester lui-même et doit pratiquer son art par conviction et humilité. Avec mon maître j'ai connu les spécificités du gharnati avec le style de Rabat : une école marquée essentiellement par l'élégance et la précision du jeu instrumental, la prononciation correcte des textes interprétés, la voix d'or de maître Piro en plus de l'intégration de la ‘’Berouala’’ par Ba Houssein El Hajjam. Je n'oublierai jamais le jour où sidi Ahmed m'a fait la surprise de me remettre une très belle attestation dans laquelle il confirmait le niveau de mes compétences artistiques et il m'encourageait à poursuivre le parcours artistique. En revanche, je regrette qu'on n'ait pas réussi à enregistrer ce patrimoine dans son intégralité avec sa voix pour faciliter la transmission. Occasion de dire qu'il faut absolument penser à préserver ce patrimoine et programmer son apprentissage dans les conservatoires de Rabat pour garantir cette transmission largement académique. » Ahmed Piro, une étoile qui brillera encore, reflétant sa lumière sur les océans de l’harmonie.
Anis HAJJAM