Destiné à tout sauf au cinéma, Alain Delon, d’abord charcutier, s’exerce au métier de garçon de café, devient manutentionnaire aux Halles de Paris, fréquente des membres de la pègre de Montmartre et de Pigalle… Le beau ténébreux découvre ensuite le monde artistique et culturel du quartier Saint-Germain-des-Prés où il fait la connaissance de l’actrice Brigitte Auber. Ils se lient d’amitié et finissent par vivre ensemble dans le quartier latin, tournant ainsi le dos au milieu du banditisme. Avec Auber, il se rend à Cannes en 1957 et devient rapidement ami avec Jean-Claude Brialy. Delon semble alors se dire : « J’y suis, j’y reste. » Il croise le chemin de George Beaume qui devient plus tard son agent et tape à l’œil de David O. Selznick, producteur hollywoodien, notamment de « Autant en emporte le vent ». Celui-ci lui suggère d’aller à Rome faire quelques essais. Voici Alain Delon dans les célèbres studios Cinecittà où il réussit son passage. En ce moment, Charles Vidor tourne « L’Adieu aux armes » tiré d’un roman du même nom d’Ernest Hemingway. Selznick propose à Delon un contrat américain de sept ans, mais la langue anglaise lui fait à l’époque défaut. De retour à Paris, la gueule d’ange s’arrange pour devenir l’amant de l’actrice Michèle Cordoue dont le mari, Yves Allégret, prépare le tournage de « Quand la femme s’en mêle ». Elle le convainc de trouver une petite place au jeune aspirant dans son film, aux côtés de la grande Edwige Feuillère. Alain Delon se rappelle de cette expérience : « Je ne savais rien faire. Allégret m’a regardé comme ça et il m’a dit : ‘’Écoute-moi bien, Alain. Parle comme tu me parles. Regarde comme tu me regardes. Écoute comme tu m’écoutes. Ne joue pas, vis’’. Ça a tout changé. Si Yves Allégret ne m’avait pas dit ça, je n’aurais pas eu cette carrière. » Il enchaîne la même année avec « Sois belle et tais-toi » de Marc Allégret, le frère d’Yves. Encore débutant, l’acteur est surpris lorsqu’on lui dit que la star mondiale Romy schneider le veut en 1958 comme partenaire pour le tournage de « Christine » de Pierre Gaspard-Huit. L’année qui suit, il est au casting de deux films du réalisateur Michel Boisrond, « Faibles Femmes » et « Le Chemin des écoliers ». Mais c’est en 1960 que le talent de Delon explose grâce à « Plein Soleil » de René Clément. Et c’est son audace qui paye. A l’origine, on lui confie le second rôle masculin. En lisant le scénario, il décide de négocier le premier rôle. Il se rend au domicile du réalisateur où l’attendent aussi les frères Raymond et Robert Hakim, producteurs du film, pour en parler avec eux. Il raconte : « Ce fut horrible. Les frères Hakim, Robert surtout, hurlaient : ‘’Comment vous osez ! Vous n’êtes qu’un petit con ! Vous devriez payer pour le faire !’’. Ça a duré jusqu’à deux heures du matin, constamment à la limite de la rupture définitive. Et puis est venu un grand silence impressionnant, je m’en souviens très bien. Et dans ce silence est tombé la voix de Bella Clément : ‘’Rrrené chérri, le petit a rrraison’’. Et jusqu’à quatre heures du matin, elle a expliqué à son mari pourquoi le petit avait raison. »
« Je voulais être le plus beau »
Sur les 88 films dans lesquels joue Alain Delon, on retient quelques productions devenues des classiques : « Plein Soleil », « Rocco et ses frères », « Mélodie en soussol », « Le Guépard », « L’Insoumis », « Le Samouraï », « La Piscine », « Le Clan des Siciliens », « Le Cercle rouge », « Borsalino », « Un flic », « Monsieur Klein », « Notre histoire ». Loin de ses personnages de polar, il reçoit en 1985 le César du meilleur acteur pour son rôle dans « Notre histoire » de Bertrand Blier. Séducteur au cinéma mais également dans la vie, Delon connaît plusieurs aventures dont les plus marquantes demeurent celles auprès de Romy Schneider, Nathalie Delon (son unique épouse, née à Oujda et mère de son premier fils Anthony), Dalida à travers un amour très secret, Mireille Darc avec laquelle il tourne huit films dont « Jeff » de Jean Herman (le début de leur romance), Anne Parillaud (future héroïne de « Nikita » de Luc Besson) qu’il engage en 1981 sur le tournage de « Pour la peau d’un flic », la mannequin néerlandaise Rosalie Van Breemen qui lui donne deux enfants, Anouchka en 1990 et Alain-Fabien en 1994. En 2011, il leur rend hommage dans un ouvrage photographique, « Les femmes de ma vie », avec des légendes manuscrites : « J’ai voulu rendre hommage à celles que j’ai aimées, qui m’ont aimé et à qui je dois tout ce que je suis. Car pour elles, par elles et à cause d’elles, j’ai toujours voulu être le plus beau, le plus grand, le plus fort et le lire dans leurs yeux. Elles auront été ma plus belle motivation. » Sans oublier son amie de 65 ans, Brigitte Bardot. Au début des années 1980, Mireille Darc suit son amoureux à Marrakech où il vient de s’offrir le riad Zahia que lui vend le milliardaire et industriel américain Paul Getty. Quelques années plus tard, il le cède au médiatique Bernard-Henri Lévy pour deux millions d’euros. Marrakech le rappelle en 2003 pour une double consécration. Il est décoré de l’Ordre du Wissam alaouite et reçoit l’Etoile d’Or du Festival international du film pour l’ensemble de son œuvre. Ce n’est que 16 ans plus tard qu’il reçoit les honneurs du Festival de Cannes en lui remettant la Palme-hommage. L’acteur a alors cette réflexion : « Merci pour cet hommage posthume… de mon vivant. » Lui qui se confie il y a quelques années à une proche collaboratrice en disant : « Si je dois mourir demain, Dieu fasse que ce soit d’amour, et en paraphrasant Musset, j’aimerais que l’on dise de moi : «Il a souffert souvent, il s’est trompé quelquefois, mais il a aimé. C’est lui qui a vécu et non point un être factice créé par son orgueil et son ennui» ». Ainsi se conjugue Alain Delon.