L’exposition de Fathiya Tahiri est l’agrégat d’une expérimentation où le brouhaha n’est pas forcément le bienvenu. Aussi exubérante que ses œuvres, elle se laisse approcher, laissant le lendemain faire d’elle la vedette de la veille. Elle ne peint pas, elle s’acharne à produire entre heurs et malheurs, matières nobles et autres à labéliser. Elle cogne comme pour dire « attendez mon retour ». Un retour perpétuel, celui de l’artiste qui sait que ce lendemain se conjugue au présent. Voici ce qui se dit d’elle dans le catalogue de cette exposition qui ne risque pas de s’abimer : « Parmi les artistes marocains, Fathiya Tahiri se distingue par une singularité naturellement cultivée. Généreuse et prolifique, polyvalente par son refus de se limiter à un seul médium qui réduirait son expression, et enfin terriblement touchante par une émouvante sincérité et une grande capacité à se renouveler en permanence. Voici en quelques mots, une artiste plus facile à définir que son œuvre polymorphe qui sait toujours nous surprendre par ses exigences farouches d’une liberté, toujours à reconquérir en en repoussant sans cesse ses limites … celle du médium employé bien sûr et celle aussi de cette artiste exigeante en perpétuelle négociation de nouveaux possibles à conquérir puis à exprimer… » Et que dire derrière ? Rien, fatalement. L’art n’est pas mots mais actes. Ce passage floute le contexte, brouille les repères.
Jet cognant
L’art est cruel. Oui. Cette femme ne s’attend certainement pas à ce genre d’hommage qui ne la dépasse que lorsqu’elle en use à outrance. Elle fait et n’attend pas qu’on dégomme sa profonde approche. On préfère la voir évoluer que l’entendre en parler. Cela signifie qu’elle est entière et qu’elle ne compte pas se vider de ses grosses poussées de chaleur qui font d’elle ce qu’elle est depuis qu’elle existe, même par intermittence. « Elle nous hypnotise dans quelques rêves éveillés ou tout parait sinon monstrueux du moins fantasmagorique et ce mensonge est celui même dont ne s’épanouissent les contes et les légendes. » On poursuit, croisant d’autres étonnantes descriptions : « (…) Femme libre, elle nous attend déjà ailleurs, toujours dans son atelier magique, mais auprès de nouveaux objets plastiques à expérimenter… Et très récemment, il s’agit désormais de figuration, bien sûr toujours expressionniste mais qui prend quelques visages humains et quelques corps hybrides … » Nul et non avenu ce qui vient d’être étalé à notre endroit ? Que non pas ! Comment peut-on souscrire à un étalage d’œuvres à la qualité criante ? Lorsqu’on choisit le jet cognant, on ne se regarde plus, sachant que l’ailleurs est en phase avec l’immédiat.
Et voici un pan emballé du texte accompagnant l’exposition, se voulant déterminent : « Par son appropriation de plus en plus maitrisée de ces références qu’elle a appris à réinterpréter de sa manière très personnelle, Fathiya Tahiri se révèle en femme libre, africaine et riche de couleurs, de sentiments et d’étonnements. » Grosse est cette exposition, bouleversante en force de séduction. Seulement, l’engouement s’établit (depuis quelque temps) lorsqu’on le provoque. L’art actuel s’autoflagelle, s’incline devant des machines à séduire, à exténuer. Et lorsqu’on s’essouffle, on rentre chez soi. Avec la crainte de ne plus en ressortir. L’art vole, désormais, très haut.