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Marocains bloqués à l’étranger, 30 jours d’attente et de calvaire


Rédigé par Majd EL ATOUABI Dimanche 12 Avril 2020

Dans le tableau presque parfait de la gestion nationale de la pandémie du coronavirus, le cas des voyageurs marocains bloqués à l’étranger en raison de la fermeture des frontières du Royaume fait tache.



Marocains coincés à l’étranger après la fermeture des frontières à cause du Covid-19.
Marocains coincés à l’étranger après la fermeture des frontières à cause du Covid-19.
La réactivité du Maroc face à la pandémie du coronavirus est saluée de part et d’autre du globe. Elle lui vaut louanges et admiration de la part d’acteurs et d’observateurs étatiques et médiatiques de plus en plus crédibles. D’Est en Ouest, du Nord au Sud, le Royaume est cité comme un exemple de perspicacité et de réactivité dans la gestion d’une crise planétaire aux dimensions bibliques. Crise qui a ébranlé même les Nations les plus riches et les plus solides, telle que la toute puissante Amérique rebaptisée, avec force espièglerie et inspiration, par le quotidien français Libération «1ère Impuissance Mondiale», du fait de la gestion catastrophique de cette pandémie par l’administration Trump.

Mais dans ce tableau idyllique qui flatte notre égo de marocains, tout n’est pas parfait. Un grand hic subsiste et il fait tache. Il s’agit des milliers de concitoyens (sans compter les étudiants) qui étaient en déplacement à l’étranger et qui se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, du jour au lendemain, suite à la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes, à compter du 13 mars.

Un mois d’attente

Sebta, bloqués à quelques encablures de la Mère Patrie
Sebta, bloqués à quelques encablures de la Mère Patrie
Hatim fait justement partie de ces milliers de concitoyens pris de court par le rideau de fer qui s’est abattu sur les frontières nationales, bloquant toute possibilité de retour. Jeune employé Casablancais d’une entreprise de consulting et motard passionné, il était en plein Road Trip au Sud de l’Espagne lorsque le détroit de Gibraltar s’est refermé comme une huitre.

«Mon erreur, c’est que je ne suivais pas l’actualité lorsque tout cela s’est passé. Complètement insouciant, je sillonnais les routes secondaires de l’Andalousie sur ma moto. Il a fallu que mes parents m’appellent pour que je me rende compte de la gravité de la situation. Mais je me disais que cela allait durer tout au plus une semaine. Aujourd’hui, cela fait un mois que je suis bloqué, mes ressources se sont épuisées. Je vis dans un motel minable à Tarifa d’où j’entrevois la côte marocaine. Dernièrement, j’ai dû mettre ma moto en caution pour pouvoir continuer à occuper ma chambre. Je ne mange qu’une fois par jour», se désole-t-il.

Une centaine de kilomètres plus au Nord, à Algésiras, Aissame, agent comptable d’une entreprise Gadirie qui était également en voyage en Andalousie lorsque les frontières ont été fermées, fait lui aussi partie du lot de marocains bloqués en Espagne. «Je devais retourner au Maroc le 17 mars, lorsque j’ai appris la fermeture des frontières, j’ai commencé par appeler les services consulaires qui ne m’ont pas répondu. Par anticipation, j’ai donc décidé de prolonger le loyer de mon Airbnb à Malaga, le temps que les choses se tassent», nous disait-il au tout début de la crise.

A compter du vendredi 13 mars, les choses se précipitent. De part et d’autre de la méditerranée, l’état d’urgence sanitaire est décrété d’abord en Espagne, puis au Maroc, le 20 mars. Les frontières qui étaient restées légèrement perméables, même après la fermeture des seules frontières terrestres entre l’Europe et l’Afrique au Nord du Maroc, sont complètement verrouillées suite à la suspension de la totalité des liaisons aériennes entre notre pays et le reste du Monde.

Entre le 10 et le 20 mars, l’ensemble des vols internationaux sont suspendus. Le Royaume met, pêle-mêle, fin à ses liaisons aériennes avec l’Italie, l’Espagne, l’Algérie, la France, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, les Pays Bas, les Etats-Unis et l’Angleterre. A compter du 20 mars, le pays boucle quasiment son processus d’isolation et devient une île impénétrable… ou presque.

En vertu d’une entente franco-marocaine, un pont aérien est en effet exceptionnellement maintenu entre le Maroc et la France jusqu’aujourd’hui (un vol est annoncé le 14 avril en partance de Marrakech) afin de permettre à plus de 20.000 ressortissants français de rejoindre leur pays. Autre exception notable consentie à la France, l’ouverture des frontières terrestres au niveau de Sebta et maritimes au niveau de Tanger Med afin de permettre le rapatriement vers l’Europe de centaines de camping-caristes français, mais également européens.

Ce qui ne manque pas de susciter le dépit sur les réseaux sociaux et parmi les 4.000 marocains bloqués dans ce pays, mais aussi dans d’autres pays européens, qui s’interrogent pourquoi les avions d’air France et de Transavia qui atterrissent vides au Maroc, ainsi que les ferrys qui débarquent tout aussi vides à Tanger Med, ne serviraient pas pour rapatrier les marocains bloqués.

Cette question, nous l’avons posée à un haut responsable qui préfère garder l’anonymat. Selon lui : «Ce n’est pas tant une question de transport que de logistique sanitaire inhérente à ce genre d’opérations d’envergure. On craint plus que tout que l’afflux massif de plusieurs milliers de voyageurs dont beaucoup peuvent être porteurs du coronavirus, n’ouvre une brèche dans notre cuirasse sanitaire jusqu’ici relativement imperméable. Mais les préparatifs sont en cours pour permettre un retour sécurisé et sous contrôle sanitaire. C’est une question de jours tout au plus», nous rassure notre source.

Espoir et désespoir

L’info...Graphie
L’info...Graphie
En attendant, parmi les populations de marocains bloqués à l’étranger, de plus en plus meurtries par l’attente et par la précarité chaque jour prononcée de leurs conditions de vie, cette situation est vécue comme un abandon, voire une humiliation. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Car en plus d’une certaine solidarité communautaire entre marocains bloqués, beaucoup de ces «exilés sanitaires» contre leur gré ont pu profiter de la solidarité et de l’hospitalité de leurs concitoyens proches ou non qui résident en Europe. D’autres encore, ont pu compter sur les efforts épars mais louables déployés par les autorités marocaines à l’étranger à travers les représentations consulaires et diplomatiques du Pays. Ils seraient en tout et pour tout, quelques 2600 ressortissants en situation vulnérable dont le séjour forcé à l’étranger est pris en charge par la diplomatie marocaine.

C’est notamment le cas d’Aissame dont la situation s’est, entre temps, sensiblement améliorée. «Après plusieurs jours d’insistance, le consulat marocain à Al-gésiras a fini par me répondre et par me donner un numéro de téléphone auquel je devais envoyer une photo de mon passeport via Whatsapp sous promesse qu’ils allaient me rappeler. A la veille de l’expiration de ma location Airbnb, j’ai été informé que mon nom était inscrit parmi la liste des bénéficiaires d’une chambre d’hôtel en pension complète. J’ai immédiatement pris le bus vers Algésiras où je continue d’attendre la fin de cette crise. J’ai eu beaucoup de chance de postuler parmi la première vague. D’autres qui ne l’ont pas fait, sont dans une situation très compliquée», conclut notre témoin sur une note où s’entremêlent espoir et désespoir.

 

Trois questions à Hadj Chafiq

Hadj Chafiq,coordinateur de l'Istiqlal en Europe
Hadj Chafiq,coordinateur de l'Istiqlal en Europe
«Nos compatriotes doivent rentrer chez eux d’urgence»
 
Membre du Conseil National de l’Istiqlal et Coordinateur du Parti en Europe, Hadj Chafiq nous éclaire sur la situation des voyageurs marocains bloqués dans le Vieux Continent.

-Des chiffres ont été récemment communiqués à la presse concernant le nombre de marocains bloqués à l’étranger, que pensez-vous de ces chiffres ?
 
-Ce sont des chiffres qui se rapprochent de la réalité, mais qui ne la reflètent pas fidèlement. J’ai ainsi pu constater quelques écarts avec ceux que nous avons relevés sur le terrain par nos réseaux et nos propres moyens. En Espagne par exemple, ils sont aux environs de 1700 et non pas 1400 comme cela été dit et écrit.

-Comment vivent ces marocains au quotidien ?

-Si beaucoup peuvent compter sur la solidarité de leurs proches ou celle de leurs compatriotes en général, il subsiste beaucoup de cas douloureux qui nécessitent une résolution urgente de leur situation pour de simples raisons humanitaires. Je pense notamment à cette dame qui devait voyager pour un déplacement professionnel de courte durée, laissant au Maroc son enfant âgé à peine de 18 mois. Et là, elle ne peut même pas aller le retrouver. Un exemple parmi beaucoup d’autres. En général, les conditions sont difficiles et les nerfs sont au bord de la rupture, en raison de la peur, l’impatience et la fatigue.

-Quelles sont les solutions que vous préconisez ?

-Dans un communiqué publié par la Coordination du parti de l’Istiqlal en Europe que je représente, nous avons demandé aux autorités marocaines de permettre le rapatriement pur et simple de nos concitoyens chez eux d’urgence. Nous sommes conscients des craintes sanitaires, mais des solutions existent comme par exemple une quarantaine sanitaire de deux semaines, soit au Maroc soit à l’étranger. En parallèle, nous avons appelé à la solidarité des marocains du monde afin qu’ils aident leurs frères et soeurs dans la limite de leurs moyens, soit en proposant des logements, de la nourriture ou même un simple soutien psychologique, en coordination avec les représentations consulaires du pays.

 








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