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Organiser la Généralisation du Système de Couverture Sociale : une lecture par les sciences du Management


Rédigé par Hicham SEBTI le Lundi 30 Août 2021



Hicham SEBTI
Hicham SEBTI
Voilà plus d’an que les intellegensia s’interrogent sur le monde d’après. Ce monde existera-t-il ? Quels en seront les paradigmes, les lignes de forces ? Comment ferons-nous société après le choc sanitaire, économique, sensoriel et quasi-mystique de la covid-19 ?

Au Maroc, nul doute que le monde d’après est en gestation et des possibles désirables émergent d’ores et déjà. L’une des « révolutions sociales » en cours est la généralisation de la protection sociale, lancée par le souverain et dont mise en œuvre avance à bon train.

Si les prémisses d’une couverture sociale étendue préexistaient à la crise sanitaire, avec la mise en place de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et la RAMED, celle-ci a mis en lumière et amplifié les fractures de la société marocaine, révélant ainsi « la faiblesse des réseaux de protection sociale pour les franges de la population en situation de grande précarité » comme le rappelait le souverain dans son discours. La crise « du Covid » s’est rapidement transformée pour certains en crise « des Poches-Vides ».

Dans ce contexte, le projet de généralisation de la protection sociale ambitionne de produire des effets directs et tangibles sur les conditions de vie des citoyens et la préservation de la dignité de tous les marocains.

Après l’adoption de la loi cadre par le conseil des ministres et le parlement en février et la signature des premières conventions mi-avril, le projet entre dans une phase technique d’élaboration de textes législatifs et réglementaires, de réformes structurelles du système de santé, de rénovation des systèmes d’aide et de ciblage des catégories éligibles et de définition de modes de gestion et de gouvernance innovants du système de protection.

Les sciences du Management et de l’Organisation peuvent éclairer certains enjeux de cette phase d’élaboration d’un système équilibré, soutenable, producteur de justice social et adapté aux transformations socioéconomiques structurantes du pays. 

Une justice organisationnelle (du système) productrice de justice sociale

La justice organisationnelle éclaire la manière dont les individus interprètent et réagissent aux politiques, décisions et règles d’un système les concernant. Cette justice perçue conditionne les attitudes positives d’adhésion au système par le consentement à la contribution, ou, à contrario, des attitudes de transgression morale et de « passagers clandestins ».

Les décideurs publics devront ainsi veiller maintenir trois formes de justice à travers les dispositifs qui régissent le système de protection sociale. La justice distributive correspondant à l’équité perçue des contributions et rétributions entre les différentes catégories de bénéficiaires. Il s’agit de traquer les « profiteurs du système ». La justice procédurale renvoie à l’adoption de standards éthiques et moraux au sein du système, à travers l’équité des procédures, la suppression des biais, l’intemporalité des règles, l’égalité d’accès au service, la réduction des fractures informationnelles, etc. La justice interactionnelle fait référence au respect et de la dignité des personnes dans les interactions avec les institutions.

Une protection adaptée aux nouvelles formes de travail

Les transitions démographique, écologique et digitale transforment les formes de travail sur lesquelles repose le financement du système de protection sociale.

En particulier, le principe de carrières linéaires dans un emploi ou un métier unique devient de moins en moins la norme. Opérer plusieurs changements d’activité tout au long de la vie professionnelle s’impose comme une nécessité, tant les secteurs d’activités sont soumis à des transformations radicales. Le développement du désir d’entreprendre chez un grand nombre de marocains renforce cette dynamique de transition d’un métier à un autre, d’un secteur d’activité à un autre, d’un statut juridique à un autre. A cela s’ajoute des pratiques nouvelles, comme les comportements de poly-activité – on parle de slasheurs – par lesquelles un individu peut pratiquer plusieurs activités génératrices de revenus en parallèle : professeur et consultant, médecin et artisan, ingénieure et influenceuse, etc.

Là encore, les décideurs devront intégrer cette nouvelle donne dans leur réflexion. Comment prendre en compte la poly-activité ? Comment préparer les transitions de carrières ? Comment intégrer des périodes de chômage choisi ? Sont quelques questions soulevées par les évolutions structurantes du travail.

Un écosystème de l’économie du care

Les différents programmes de généralisation de la protection sociale (généralisation de l’Assurance maladie obligatoire, généralisation des allocations familiales,  élargissement des adhérents aux régimes de retraite, généralisation de l’indemnité pour perte d'emploi) vont drainer des montants importants à l'horizon 2025, estimés à un budget annuel de 51 milliards de dirhams.

Les montants engagés dans le système de protection représentent une opportunité formidable pour construire un écosystème industriel et de services autour de l’économie du care. L’industrie pharmaceutique et parapharmaceutique marocaine pourrait tirer parti de la réforme en produisant les médicaments ouverts au remboursement, notamment sous forme de génériques. De même, l’offre et la formation aux métiers paramédicaux, du soin et de l’accompagnement de la dépendance devraient se développer. Il s’agit de couvrir localement une panoplie de besoins en produits et en services pris en charge par la protection sociale

Un système « digital native »

Le système de protection sociale généralisée ne devrait pas déroger au mouvement de digitalisation des administrations et des services rendus aux citoyens.

Au-delà de la simplification des procédures et de l’accès facilité aux services, le numérique ouvre des opportunités en matière de gestion des parcours de soin, de gestion du recouvrement des cotisations, d’échanges des données entres les administrations pour accroitre la transparence et réduire les comportements opportunistes. De plus, la data produite par le système de protection devient elle-même une source d’opportunités.

En effet,  les institutions de sécurité sociale produisent et accumulent des volumes massifs de données à caractère personnel sur bénéficiaires. L’exploitation et la valorisation de ces données par la data analyse et l‘intelligence artificielle permettrait de développer des services innovants, d’améliorer les prestations, de mieux anticiper les risques individualisés et de prédire les besoins futurs de prestations.  
 
Pour réussir ce chantier structurant, les décideurs devront innover dans leur manière de produire les réformes : moins technique et descendante ; plus sensible et collaborative.

 
Hicham SEBTI
 Docteur en Management de l’Université Paris-Dauphine, Enseignant-Chercheur en Management de la Performance et Directeur de l'Euromed Business School au sein de l'Université Euromed de Fès, Chercheur associé au RIEMAS.

 



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