Parce qu’il touche à l’humain, le transhumanisme ne doit pas être seulement questionné par la science. Il revient également à la littérature, dont le principal objet est la construction des scènes et des visions du monde singulières de se pencher sur le projet de modification de l’humanité.
Dans un monde technicisé et qui s’est fait une transcendance algorithmique sous le visage inédit du sublime technologique, comment la littérature appréhende-t-elle l’humanité augmentée ?
Que devient le corps dans un monde où ses extensions techniques externalisent toujours davantage ses fonctions cognitives dans des artefacts médiatiques? Outre les changements ontologiques permis par la technologie et son intervention croissante sur les origines et les fins, la fiction moderne offret-elle une critique du mouvement transhumaniste ? Autrement dit, la littérature est-elle encore en mesure d’opposer le surgissement de l’événement poétique à la logique algorithmique ? Par ricochet, la littérature dite augmentée, celle qui met en scène l’annulation de la frontière entre l’humain et le non-humain, retranche-t-elle quelque chose au déploiement de l’imaginaire ou bien ouvre-t-elle le champ du littéraire ?
Le sujet comme somme d’informations
L’idée rousseauiste de perfectibilité connaît aujourd’hui une métamorphose radicale. L’idéal politique de justice sociale s’est mué en obsession biologique d’optimisation de la vie humaine au risque de dénier l’humain et de faire télescoper le vivant et le non-vivant.
Cet imaginaire biologisé et dépolitisé s’est affirmé depuis la deuxième moitié du 20ème siècle en réduisant le sujet à une somme d’informations, à un programme que l’on peut déchiffrer, telle une machine.
Le paradigme posthumain a élu le corps humain comme le nouveau territoire de la perfectibilité, la vie y devient un bien à gérer et à maximiser selon son potentiel héréditaire, et la mort est perçue comme une maladie dont il faut trouver le remède.
Déjà en 1932, Aldous Huxley, dans Le Meilleur des mondes avait pointé les dérives médicales vers lesquelles tendait son époque.
Dans ce roman, les bébés sont conçus dans des flacons et reçoivent des caractéristiques physiques et intellectuelles qui, leurs sont génétiquement transmises selon la caste à laquelle ils sont destinés à appartenir. (Alpha=élite, ils sont beaux, grands et intelligents/ Bêta= travailleurs intelligents/ Gama=classe populaire/Delta et epsilon= petits, laids et subalternes).
Le clonage et le grégaire
Dans La possibilité d’une île, l’ambition de Michel Houellebecq est de prendre à son propre piège une société qu’il juge monstrueuse, décadente et tragiquement périssable. D’où son projet romanesque d’en démonter les ressorts pervers jusqu’à l’absurde. L’essentiel du roman est construit autour du récit de vie de Daniel 1, découvert et lu, quelque deux mille ans plus tard, par Daniel 24, puis Daniel 25, ses lointains clones, qui le commentent alors qu’une apocalypse nucléaire a depuis longtemps ravagé la planète. Le clonage comme biais narratologique vient signifier la platitude, le sens grégaire, le conformisme qui étouffe les singularités. Dans Golem, Pierre Assouline met en scène un personnage nommé Gustave Meyer, joueur des échecs, épileptique et à la mémoire phénoménale. Soupçonné du meurtre de son ex-femme, Gustave voit soudain sa vie basculer. En un instant, ce solitaire devient un fugitif partout recherché. Dissimulé sous une autre identité, isolé des siens, il est rattrapé par ses failles: l’étrange opération chirurgicale qu’il a subie à son insu et qui l’a «golémisé» (Dans la légende juive, Golem est un Être artificiel à forme humaine, animé par un parchemin fixé sur son front) en décuplant ses facultés mentales ; le sentiment tyrannique de ne plus s’appartenir et de devenir un monstre au regard de la société.
A travers quelques occurrences, l’on voit ainsi comment la fiction littéraire a récupéré l’idéal transhumaniste pour en faire un biais narratologique mettant en crise le nivellement et le formatage à l’identique (Houellebecq), pour mettre à l’épreuve le péril de la modélisation de la mémoire humaine (Assouline) ou pour mettre en scène l’idée de la mort en sacralisant la science et en revendiquant le droit de se modifier (Beigbeder).
Dans un monde technicisé et qui s’est fait une transcendance algorithmique sous le visage inédit du sublime technologique, comment la littérature appréhende-t-elle l’humanité augmentée ?
Que devient le corps dans un monde où ses extensions techniques externalisent toujours davantage ses fonctions cognitives dans des artefacts médiatiques? Outre les changements ontologiques permis par la technologie et son intervention croissante sur les origines et les fins, la fiction moderne offret-elle une critique du mouvement transhumaniste ? Autrement dit, la littérature est-elle encore en mesure d’opposer le surgissement de l’événement poétique à la logique algorithmique ? Par ricochet, la littérature dite augmentée, celle qui met en scène l’annulation de la frontière entre l’humain et le non-humain, retranche-t-elle quelque chose au déploiement de l’imaginaire ou bien ouvre-t-elle le champ du littéraire ?
Le sujet comme somme d’informations
L’idée rousseauiste de perfectibilité connaît aujourd’hui une métamorphose radicale. L’idéal politique de justice sociale s’est mué en obsession biologique d’optimisation de la vie humaine au risque de dénier l’humain et de faire télescoper le vivant et le non-vivant.
Cet imaginaire biologisé et dépolitisé s’est affirmé depuis la deuxième moitié du 20ème siècle en réduisant le sujet à une somme d’informations, à un programme que l’on peut déchiffrer, telle une machine.
Le paradigme posthumain a élu le corps humain comme le nouveau territoire de la perfectibilité, la vie y devient un bien à gérer et à maximiser selon son potentiel héréditaire, et la mort est perçue comme une maladie dont il faut trouver le remède.
Déjà en 1932, Aldous Huxley, dans Le Meilleur des mondes avait pointé les dérives médicales vers lesquelles tendait son époque.
Dans ce roman, les bébés sont conçus dans des flacons et reçoivent des caractéristiques physiques et intellectuelles qui, leurs sont génétiquement transmises selon la caste à laquelle ils sont destinés à appartenir. (Alpha=élite, ils sont beaux, grands et intelligents/ Bêta= travailleurs intelligents/ Gama=classe populaire/Delta et epsilon= petits, laids et subalternes).
Le clonage et le grégaire
Dans La possibilité d’une île, l’ambition de Michel Houellebecq est de prendre à son propre piège une société qu’il juge monstrueuse, décadente et tragiquement périssable. D’où son projet romanesque d’en démonter les ressorts pervers jusqu’à l’absurde. L’essentiel du roman est construit autour du récit de vie de Daniel 1, découvert et lu, quelque deux mille ans plus tard, par Daniel 24, puis Daniel 25, ses lointains clones, qui le commentent alors qu’une apocalypse nucléaire a depuis longtemps ravagé la planète. Le clonage comme biais narratologique vient signifier la platitude, le sens grégaire, le conformisme qui étouffe les singularités. Dans Golem, Pierre Assouline met en scène un personnage nommé Gustave Meyer, joueur des échecs, épileptique et à la mémoire phénoménale. Soupçonné du meurtre de son ex-femme, Gustave voit soudain sa vie basculer. En un instant, ce solitaire devient un fugitif partout recherché. Dissimulé sous une autre identité, isolé des siens, il est rattrapé par ses failles: l’étrange opération chirurgicale qu’il a subie à son insu et qui l’a «golémisé» (Dans la légende juive, Golem est un Être artificiel à forme humaine, animé par un parchemin fixé sur son front) en décuplant ses facultés mentales ; le sentiment tyrannique de ne plus s’appartenir et de devenir un monstre au regard de la société.
A travers quelques occurrences, l’on voit ainsi comment la fiction littéraire a récupéré l’idéal transhumaniste pour en faire un biais narratologique mettant en crise le nivellement et le formatage à l’identique (Houellebecq), pour mettre à l’épreuve le péril de la modélisation de la mémoire humaine (Assouline) ou pour mettre en scène l’idée de la mort en sacralisant la science et en revendiquant le droit de se modifier (Beigbeder).
Mohamed ZEROUALI