Pays polyglotte, depuis l’indépendance le Maroc n’a eu de cesse de se démener pour trouver l’équilibre entre ses langues. De grandes manœuvres ont été entreprises, avec des résultats nuancés, la plus célèbre restant l’arabisation et son lot de tergiversations. Cette année encore, les débats font rage et plusieurs décisions gouvernementales attestent de la détermination politique à remodeler le paysage linguistique.
Symboles de l’identité nationale, les deux langues reconnues par la constitution confirment et étendent leur importance. L’arabe classique, auréolé de son prestige spirituel, pourrait assoir un peu plus sa présence dans les administrations en voyant son usage généralisé. Quant à l’amazigh, il poursuit sa mue spectaculaire et sera dans toutes les écoles primaires à l’horizon 2030 ! Un défi pédagogique majeur. Et la preuve qu’avec de la volonté et des moyens (300 millions de dirhams en 2023) une langue peut voir son statut transformer, radicalement.
Sans statut officiel, les autres langues parlées quotidiennement de Tanger à Lagouira sont tributaires des discours des différents lobbys. Pour tenter de saisir leur rôle sans doctorat en sociologie sémantique comparée, le simple quidam s’en remet aux métaphores. Entre le français et l’anglais, prenez celle des vases communicants : plus la popularité de l’une décroit, plus l’autre gagne du terrain. Une perception simpliste renforcée par le choix du gouvernement d’étendre l’enseignement de l’anglais au collège en 2025.
Une autre image s’est imposée pour dépeindre la situation : La Guerre des langues (ref. ouvrage collectif). Une bataille de position où chacun doit choisir son camp, entre Shakespeare et Molière, entre les arabes marocain et classique. Pourtant d’après les experts les bénéfices d’un multilinguisme organisé sont immenses. Et surtout, les langues sont des outils : qu’elles tuent ou guérissent ne dépend que de celles et ceux qui les manient.
À quand un nouveau référentiel commun pour consacrer la richesse du patrimoine linguistique ? Pour encourager l’empathie et les liens entre les communautés. Via la reconnaissance et la standardisation, comme le fait l’IRCAM avec l’amazigh et comme ce pourrait être fait demain avec la darija, ce formidable outil de cohésion sociale (cf. pages 2 et 3). Via la traduction également, pour encourager la diffusion des connaissances comme au temps des Bayt al-Hikma (maison de la sagesse) à Bagdad. Pour en finir avec la métaphore guerrière, remplacée par une autre image héritée de l’Antiquité : parler plusieurs langues, c’est abriter plusieurs cœurs.