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Pêche en Méditerranée : la double impasse des filets maillants dérivants


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 11 Mai 2021

Interdits en 2010 par la loi marocaine, les filets maillants dérivants ont été remplacés par des filets modifiés qui constituent aujourd’hui un vrai dilemme pour les autorités.



Pêche en Méditerranée : la double impasse des filets maillants dérivants
​Dans une lettre datée du 26 avril et adressée au président de la Chambre des pêches maritimes Méditerranée, Zakia Driouich, secrétaire générale de la Pêche maritime, indique que son département a été saisi par le SG de la Pêche d’Espagne au sujet de l’utilisation de filets dérivants en Méditerranée par cinq barques artisanales marocaines. Ces dernières ont été acheminées au port de Sebta où le service maritime de la Guardia civil espagnole a procédé à la saisie de leurs engins de pêche et leurs captures. Dans ce sens, le responsable espagnol a émis son inquiétude quant à de telles pratiques qui vont à l’encontre des dispositions prises au sein de l’ICCAT et sollicite des mesures à l’encontre des barques qui utilisent ce genre d’engins en Méditerranée. « Le Royaume sera certainement interpellé au sein des instances de l’ICCAT à ce sujet, où il lui sera exigé de montrer et prouver les dispositions prises à l’encontre des barques interceptées ainsi que les mesures prises pour éradiquer cette pratique », peut-on lire dans la lettre. 

Un sujet complexe et sensible

La secrétaire générale du Département de la Pêche maritime ne manque pas de préciser que l’utilisation de ces engins engendre le risque de mesures restrictives qui peuvent être prononcées au sein de l’ICCAT à l’encontre du Maroc, notamment pour ce qui concerne le quota de pêche et de l’export. « Le sujet des filets dérivants au Maroc est complexe et est assez sensible. Pour comprendre, il faut remettre les choses dans leur contexte. Il faut d’abord préciser que ces filets ont été, dans un premier temps, utilisés par les flottes de pêche de plusieurs pays de la rive Nord comme l’Espagne, la France ou l’Italie. Peu à peu, des mesures ont été prises au niveau européen pour interdire leur utilisation du fait de l’impact grave qu’elles engendrent sur les stocks. Les armateurs européens ont alors banni l’utilisation de ces filets dont une bonne partie a quand même été vendue aux pêcheurs de la rive Sud de la Méditerranée. C’est à ce moment seulement que les pêcheurs marocains ont commencé à les utiliser », nous raconte un professionnel de la pêche à la retraite.

Le lien avec le marché de l’espadon

« L’utilisation des filets dérivants en Méditerranée est étroitement liée au très juteux marché de l’espadon et du thon rouge. Ces engins de pêche ont été revendus au Maroc (entre autres) pour que ce marché continue à vivre même si notre pays se retrouvait perdant dans cette affaire vu que les captures marocaines étaient vendues à bas prix et que l’essentiel du bénéfice se faisait en Europe », poursuit la même source qui a souhaité rester anonyme. Il y a une dizaine d’années, le Maroc a entrepris à son tour d’interdire l’utilisation des filets dérivants. Avec l’aide d’un financement européen, l’Etat marocain a amorcé une phase de transition dans laquelle des dédommagements étaient octroyés aux palangriers afin de les aider à remplacer ces filets par d’autres engins de pêche plus durables. « À cette époque, il y a eu dans plusieurs pays des tentatives de contourner l’interdiction en utilisant des filets modifiés. C’est le cas par exemple des filets thoniers qui ont fait leur apparition en France, mais qui ont ensuite été interdits à leur tour », précise notre source.

Le piège des filets modifiés

« La même chose s’est passée au Maroc : des professionnels de la pêche ont commencé à utiliser des filets modifiés qui restent quasiment aussi dangereux que les filets dérivants. Mais contrairement à la France, une décision de justice à Tanger a confirmé que ces filets n’étaient pas des filets maillants dérivants, techniquement parlant. Les petits pêcheurs ont alors commencé à les utiliser, ont investi pour agrandir leurs barques et ont commencé à s’éloigner des côtes pour pêcher, ce qui a engendré pas mal d’incidents de noyade, car ces barques ne sont pas adaptées à cette activité », souligne notre interlocuteur. Décision de justice ou pas, il s’avère maintenant que ces filets continuent à être considérés par l’ICCAT comme des filets interdits. Les autorités concernées se retrouvent donc dans une double impasse : il sera difficile de laisser les pêcheurs utiliser ces engins puisque notre pays risque d’être sanctionné par l’ICCAT ; d’un autre côté, il sera difficile de dissuader les pêcheurs de renoncer à utiliser ce matériel et de revenir vers des méthodes moins radicales, au vu des investissements qu’ils ont faits ces dernières années.
 
 

3 questions à Houssine Nibani, président de l’AGIR

« La lettre de Mme la SG reconnaît implicitement que ces engins ne sont pas réglementaires »
Président de l’Association de Gestion Intégrée des Ressources (AGIR), Houssine Nibani a répondu à nos questions sur le projet mené par son association pour consacrer des pratiques durables de pêche.

​- Comment s’articule le projet de l’AGIR dédié au remplacement des filets maillants dérivants ?

- Notre projet a été lancé en 2008 à Al Hoceima. Les filets maillants dérivants n’étaient alors pas encore interdits au Maroc, mais notre objectif était d’encourager les pêcheurs à passer à des méthodes plus durables. Financé par le PNUD, MAVA et le FEM, notre projet a ciblé une vingtaine de palangriers. Nous avons commencé par créer une coopérative féminine chargée de confectionner des palangres et des nasses qui correspondent aux normes de pêche durable. Nous fournissons le matériel nécessaire à la coopérative dans un premier temps puis nous lui achetons les dispositifs confectionnés pour les livrer aux palangriers sous forme de crédit en nature et sans intérêts. Nous récupérons enfin notre investissement à partir des ventes des captures auprès de l’Office National des Pêches. Ce cycle est ensuite répété. Le projet est d’ailleurs encore actif aujourd’hui, et a été inscrit dans plusieurs guides des bonnes pratiques au niveau de la M éditerranée.

- Pensez-vous qu’il existe des solutions efficaces pour éradiquer l’usage de filets dérivants ?

- Les alternatives existent et sont utilisées par plusieurs pays dans le monde. Je pense que les écoles et les instituts de technologie de pêche doivent adapter leurs programmes vis-à-vis de cette problématique.

- Une source a évoqué un jugement de la justice marocaine qui différencie les filets utilisés actuellement des filets dérivants interdits. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

- Je pense que les lois internationales priment sur les lois nationales, a fortiori sur un jugement qui ne peut en aucun cas faire office de loi. La lettre de Mme la Secrétaire Générale du Département de la Pêche maritime reconnaît d’ailleurs implicitement que ces engins ne sont pas réglementaires. Cette lettre est importante puisqu’elle incite les parties prenantes à se mobiliser pour lutter contre l’utilisation d’engins non-durables. Je pense qu’il est néanmoins impératif de travailler en partenariat avec les pêcheurs et de les accompagner pour trouver des solutions satisfaisantes pour tous.
 








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