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Psychotropes : tout sur une drogue nommée Rivotril


Rédigé par Hajar LEBABI Mardi 23 Juin 2020

Depuis des décennies, le Rivotril se propage parmi la jeunesse marocaine semant violence, délinquance et démence. Son impact ravageur se ressent à plusieurs niveaux de la vie sociale où on be cesse de comptabiliser ses nombreux méfaits.



Psychotropes : tout sur une drogue nommée Rivotril
Même si le confinement et la crise sanitaire ont imposé des exigences, ils n’ont pas pour autant pu empêcher le trafic de drogues. Les dealers semblent toujours trouver un moyen d’atteindre les consommateurs, et plusieurs indices laissent croire que le trafic du Rivotril n’est pas près de connaître la crise.

Rien que la semaine dernière, les éléments de la Sûreté nationale opérant dans la zone du port Tanger-Med ont réussi, le 17 juin plus précisément, à mettre en échec une tentative de trafic de 5.400 comprimés de «Rivotril», à bord d’un camion immatriculé au Maroc et conduit par un ressortissant marocain âgé de 48 ans. Les opérations de fouille pratiquées dans le cadre de cette affaire ont permis la saisie de la cargaison soigneusement dissimulée à l’intérieur de la cabine, et ce, après que le véhicule ait fait la traversée vers le Maroc à bord d’un navire en provenance d’un port espagnol.

Une drogue omniprésente

Il ne s’agit ni de la première ni de la dernière saisie de cette drogue. Cette pilule, appelée «Bola Hamra» (ampoule rouge), du fait de la couleur rouge des plaquettes du comprimé, est à la base un tranquillisant de la famille des benzodiazépines. Pour les psychiatres, il s’agit d’un remède efficace contre l’anxiété. Malheureusement, du fait de son usage dérivé, ce médicament a gagné une réputation de nuire à la santé des jeunes. En effet, plusieurs benzodiazépines sont utilisées comme des drogues et sont connues pour leur impact négatif sur la santé des consommateurs. De façon générale, les psychotropes, parmi lesquels on retrouve des benzodiazépines tels que le Rivotril ou le Valium, ont des effets secondaires qui vont de l’automutilation aux pensées suicidaires, voire même meurtrières. Mais, leur utilisation selon les prescriptions médicales et thérapeutiques, pour traiter des maladies spécifiques, apporte beaucoup de soulagement aux malades.

De manière illégale, le Rivotril est surtout importé de l’Algérie et de l’Europe. Maintenant, il est non seulement propagé dans les grandes villes, mais également dans les petites villes, où les activités et les opportunités de travail sont très limitées. C’est un commerce qui apporte beaucoup de gains. Le prix du Rivotril varie sur le marché, selon la région et la quantité. Il peut aller de 2 dirhams seulement à 100 dirhams la pilule. Il ne reste plus aux consommateurs que de choisir un fournisseur, parmi les nombreux dealers qui s’infiltrent dans plusieurs quartiers de la ville.

Les jeunes : cette proie favorite des dealers de Rivotril

La vente du Rivotril, se faisait il y a quelques années, dans des endroits éloignés ou dans les quartiers populaires où les habitants se sont habitués aux consommateurs en pleine rue. Aujourd’hui, il est de coutume de le voir circuler devant les portes des collèges et des lycées, sous l’œil impuissant des voisins. L’addiction au Rivotril, vu son accessibilité, peut commencer chez les jeunes à partir de 12 ans. Pour les dealers, il s’agit de la proie idéale, puisque ces jeunes, une fois leur voyage psychédélique est entamé, ont  du mal à revenir. Il suffit d’un essai ou d’une petite graine de curiosité pour mener ces enfants vers le désastre.

Le Rivotril, consommé à fortes doses, peut entraîner le consommateur à commettre des folies, à avoir des réactions très agressives et une impulsivité incroyable. En effet, 80 % des jeunes emprisonnés pour délits les ont commis sous l’emprise de psychotropes, notamment du Rivotril. Ce n’est pas donc une surprise si, chaque jour, nous entendons parler de crimes commis par des jeunes, parfois mineurs, armés et sous l’effet du «Karkoubi».

Il est indéniable que les autorités fournissent beaucoup d’efforts pour lutter contre le trafic de cette drogue de plus en plus répandue. Mais, la taille de ces comprimés fait qu’elles sont faciles à cacher et donc à duper les autorités. Une seule personne est capable de transporter une dizaine de milliers de comprimés. De quoi «défoncer» tout un quartier. En attendant, la santé et la sécurité des jeunes et des habitants dans des endroits où le Rivotril circule en grande quantité, sont pris pour otages.

Hajar LEBABI

3 questions à Dr Anouar Réda

«La première étape à mener est celle de la prévention primaire. Il faut sensibiliser les jeunes qui n’ont pas encore consommé».

Psychiatre et psychothérapeute, Addictologue, le docteur Anouar Reda nous livre ses réflexions sur la consommation du Rivotril au Maroc.

- Que pouvez-vous nous dire sur le Rivotril de manière générale ?
- Le Rivotril est un médicament dont la base est la clonazépam et qui appartient à la famille des benzodiazépines. Ils sont utilisés, surtout la clonazépam qui est le Rivotril, pour les traitements des crises d’épilepsie, les cas d’agitation sévère et pour diminuer l’anxiété. Son utilisation sur prescription médicale, et sur le court terme, n’est pas dangereuse. Par contre, c’est une substance addictogène et il y a un grand risque d’addiction sur le long terme.

- Quels sont les effets de son utilisation sur le consommateur ?
- Tout dépend du degré de consommation. La plupart des consommateurs l’utilisent, dans un premier temps, à faible dose pour diminuer l’anxiété sociale et pour pouvoir communiquer de manière fluide. Nous recevons beaucoup de gens qui consomment 1 à 2 comprimés par jour. Souvent, ce sont des personnes qui souffrent de phobies sociales ou de troubles de panique. Mais, à force de consommer le Rivotril, il y a un grand risque de tomber dans l’addiction. Quand il s’agit d’une consommation à forte dose, «l’effet paradoxal» se déclenche. Alors qu’il est censé calmer et apaiser les gens, le Rivotril provoque alors l’effet contraire. La personne devient excitée, agressive et facilement irritable. C’est ce qui provoque des états d’agitation qui sont la conséquence de la forte consommation du Rivotril.

- Comment peut-on lutter contre l’utilisation non-médicale de cette substance ?
- La première étape à mener et la plus importante, est celle de la prévention primaire. Il faut aller vers les jeunes qui n’ont pas encore consommé et les sensibiliser. Il faut également leur faciliter l’accès à l’information, à travers des campagnes de sensibilisation sur le terrain et via les réseaux sociaux. Les écoles doivent également jouer leur rôle à partir du collège. Dans d’autres pays, les écoles instaurent une sorte de «contrat thérapeutique» détaillé. C’est un contrat moral ou un serment où l’étudiant s’engage à ne pas consommer cette drogue, compte tenu de son effet néfaste. La sensibilisation diminue le risque d’addiction et reste un élément important pour éviter le recours à l’étape de la prévention secondaire qui concerne les gens addicts. Vu le manque de structures d’addictologie, il est mieux de sensibiliser d’abord les jeunes qui n’ont pas encore consommé.

Recueillis par H. L.

Encadré

Les effets du Rivotril : Le difficile chemin des addicts pour s’en sortir

Afin de mettre la lumière sur les effets néfastes du Rivotril, nous sommes allés à la rencontre d’un jeune, de 20 ans, qui souffre de cette addiction. «J’ai essayé le Rivotril pour la première fois à l’âge de 14 ans. Je ne sais pas si c’était par curiosité ou par simple pression, étant donné que la majorité de mes camarades le consommaient», nous déclare le jeune clairement troublé par cette addiction. «Je l’ai réutilisé une deuxième fois vers l’âge de 16 ans, et c’est à partir de ce moment que ma vie a basculé», se désole-t-il. «Je séchais fréquemment les cours et mes notes avaient remarquablement baissé. Malgré les efforts constants de mes parents, je n’ai pas pu m’éloigner de cette drogue, puisque plusieurs autres facteurs encourageaient sa consommation».

L’utilisation de cette drogue a poussé ce jeune, issu d’une famille assez aisée à Casablanca, vers le délit. «L’utilisation du Rivotril m’a poussé vers d’autres drogues et j’ai fréquenté toutes sortes de personnes. Même si je ne commettais pas de crimes, je me retrouvais avec des gens qui étaient prêts à voler ou à agresser, et donc j’étais impliqué d’une manière ou d’une autre. Cela m’a coûté quelques mois en prison et beaucoup de chagrin pour ma famille», nous raconte-t-il sur un ton plein de tristesse.

Maintenant, ce jeune casablancais s’accroche fort à une sortie de cette addiction. «Je veux arrêter et vivre comme tous les jeunes de mon âge. Cette drogue m’a cassé et m’a fait vivre des choses que personne ne mérite. Mais, malheureusement, le chemin est long». Malgré ses efforts et ceux de sa famille, les rechutes sont très fréquentes. «Je sens que j’ai besoin de plus d’accompagnement, mais, la porte est fermée. Je suis chez des psychologues, mais, j’ai besoin d’aller à un centre d’addictologie. Non seulement ils sont très chers, mais la liste d’attente est très longue». 

Repères

«Karkoubi», la drogue des tueurs
Depuis les années 1970 et 1980, les affaires de violence criminelle impliquant des individus soys l’emprise de psychotropes ne cessent de se multiplier. Vols avec violence, meurtre crapuleux et tueries à l’arme blanche pour cause de crise de démence ont souvent pour dénominateur commun Karkoubi dont le nom générique devient Bola Hamra avec l’apparition et le boom du Rivotril. Il en est ainsi de l’affaire du tueur en série Abdelali Amer, aliad «Boussama» (le tueur à la pierre), avait sévi dans les rues de Rabat, assassinant 14 personnes durant l’année 2004. Sans domicile fixe, Abdelali était bien connu des autorités de Rabat pour avoir été incarcéré à six reprises pour viol, agression et vol. Contrairement aux autres tueurs en série, celui-ci n’avait pas de victimes de prédilection. Grand consommateur de Rivotril, il tuait toute personne qui avait le malheur de croiser son chemin afin de la dépouiller en lui écrasant la tête d’un coup de pierre. Il a été arrêté le 9 août 2005 et condamné à la peine de mort. Depuis cette époque, le «Karkoubi» continue de faire parler de lui, à cause de tous les délits commis sous son emprise.
Le lexique de la drogue
Les noms se multiplient pour les drogues dans les quartiers du pays. Plusieurs appellations désignent différents types de psychotropes. Mis à part le nom «Bola Hamra» pour le Rivotril, d’autres termes sont utilisés pour désigner ces médicaments. Le Valium, par exemple, est baptisé dans le langage courant «2 points». Certains le comparent au Rivotril et le désignent comme le «Karkoubi» des riches. Son prix peut aller de 70 dirhams à 200 dirhams et son trafic est aussi répandu que celui du Rivotril. Les effets aussi seraient quasi-similaires. Le Valium est également appelé «La Roche», en référence au laboratoire pharmaceutique qui produit un de ces médicaments détournés.








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