Yassir Lahrach, Docteur en droit/Expert en Intelligence économique Analyste en Stratégie internationale/ Auteur du concept d’Intelligence diplomatique
Dans le milieu du renseignement, il est indispensable d’avoir le sens de l’observation, de disposer d’une culture polyvalente et d’une bonne connaissance de la psychologie humaine. Il est tout à fait vrai de dire qu’il y a beaucoup de psychologie dans le travail des services de renseignement. Il s'agit aussi d'un élément important dont il y a lieu de tenir compte au cours de la phase de recrutement puisqu’il faut veiller, scrupuleusement, à bien sélectionner les futurs agents parmi des centaines de candidats. Il est encore beaucoup plus important de souligner que le choix des responsables dans ce milieu est crucial du moment où ils sont associés au processus de prise de décision au plus haut niveau. De surcroit, ces grands commis de l’Etat détiennent des informations classées « secret d’Etat ». La moindre fuite d’informations pourrait avoir des conséquences très graves : compromission de la sécurité nationale, crises diplomatiques, possibilité de contre-espionnage, octroi d’avantages compétitifs à des rivaux étrangers, nuisance à l’image du pays, détérioration de la confiance publique, pour ne citer que ceux-là. D’ailleurs, l’histoire nous dévoile quelques mauvais exemples (affaire d’Edward Snowden, affaire des « Pentagone papers », affaire de Robert Philip Hanssen, …) qui ont eu de sérieux impacts à l’échelle mondiale. Pour tous ces cas, là où ça n’allait pas, c’est pour deux raisons essentielles: absence d’enquêtes périodiques de sécurité pour s’assurer que les personnes détentrices d’informations sensibles ne présentent pas de problèmes de toxicomanie ou des troubles de comportement et qu’elles maintiennent un haut niveau d’éthique et d’efficacité dans l’exercice de leurs fonctions. Ce n’était pas faux quand il a été dit que « l'information est une arme stratégique de premier plan, parfois plus puissante et dangereuse que la machine de guerre elle-même ».
Renseignement et éthique : un enjeu moral
Dans le monde du renseignement, il est crucial de mettre en place des protocoles de sécurité rigoureux et de programmer, cycliquement, des actions de sensibilisation sur les conduites à tenir et les conséquences de la divulgation d’informations sensibles. Il est également important de mettre l’accent sur la formation continue du personnel et d’y inclure des éléments de psychologie pour permettre une meilleure assimilation des nouvelles techniques de détection des mensonges et une parfaite maitrise des dynamiques interpersonnelles surtout avec l'évolution rapide de l'intelligence artificielle qui bouleverse profondément les process et la culture de travail. Dans une autre perspective, un audit régulier des protocoles de sécurité est important pour s’assurer que ceux-ci ne sont plus en décalage avec les meilleures pratiques internationales et qu’ils sont soigneusement respectés. Au fait, lorsqu’une procédure sécuritaire est minutieusement appliquée dans un environnement de renseignement, cela évite la survenance de risques potentiels pour la sécurité des agents impliqués, pour la confidentialité des opérations, ainsi que pour la protection des informations. Puis, à plus forte raison, cela permet de détecter chez certaines personnes des changements dans leurs comportements, tels que l’anxiété, la paranoïa, des modifications soudaines de style de vie, lesquelles attitudes peuvent être perçues comme de vrais signaux d’alerte, indiquant une possible trahison ou une compromission. Au fait, un service de renseignement efficace devrait être composé de vrais talents, dignes de confiance qui ne dévoileront jamais, quelque soit la situation difficile dans laquelle ils se retrouvent, des données auxquelles ils ont accès ou qui leur ont été fournies.
L’art mental du renseignement
Une mauvaise gestion des ressources humaines créerait une faille de sécurité potentielle, pas forcément dans l’immédiat. Cela peut très bien se produire à tout moment : au cheminement ou en fin de carrière, parfois même après la retraite. C’est pour cela que dans pas mal de métiers à risques, beaucoup de pays recourent systématiquement à une évaluation des tendances dysfonctionnelles de la personnalité du personnel. Pour un service de renseignement, il ne s’agit pas uniquement de s’assurer que les nouvelles recrues susceptibles de rejoindre leurs rangs collent parfaitement avec l’esprit de la maison. Le plus important est de suivre leur évolution car au moment du recrutement, les tests de personnalité peuvent révéler une facette trompeuse. En effet, assez souvent, le candidat pour être retenu adapte ses réponses à ce qui est attendu. Pour obtenir des profils bien précis et fidèles des candidats, il faut aller bien au-delà des tests classiques de personnalité et des enquêtes de proximité, en adoptant des approches combinées, à commencer par une évaluation de leurs capacités à s’intégrer et à performer dans des contextes professionnels variés. A l’ère actuelle, un vrai manager des ressources humaines au sein des services de renseignement n’est pas forcément celui qui a poursuivi des études avancées en ressources humaines ou en gestion du personnel ou encore qui a travaillé dans ce métier pendant plusieurs années. Ce serait plutôt celui qui arrive à anticiper et atténuer les situations de crise, à commencer par une bonne gestion du capital humain. D’autant plus qu’il devrait être doté d’une vraie culture de renseignement, d’un sens relationnel développé et qu’il soit pleinement conscient des enjeux et de l’importance des outils d’intelligence artificielle à différents niveaux de perception et de connaissance. En répondant à ces critères de compétence, d'intégrité et d'aptitudes, cela facilite la compréhension, l’anticipation et l’influence des comportements humains. En résumé, une gestion des ressources humaines bien orchestrée améliore grandement l’efficacité stratégique et opérationnelle de tout service de renseignement et promeut une culture organisationnelle axée sur l’éthique, la responsabilité et l’excellence.