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Il est presque 3 heures du matin. Dans une chambre d'étudiant, la lumière pâle d'un écran d'ordinateur le visage exténué de Mehdi, 22 ans. À côté de lui, une canette de boisson énergisante vide: la troisième de la soirée. "C'est devenu mon combustible pour les révisions nocturnes", confie-t-il, les yeux cernés. "Mais je ne dors presque plus".
Mehdi n'est pas du tout ce que l'on pourrait appeler un cas isolé. Partout dans le Royaume, voire dans le monde, la consommation de boissons énergisantes a explosé, en particulier chez les plus jeunes. Assurant un regain d'énergie immédiat, ces boissons aux couleurs flamboyantes dissimulent un revers de médaille alarmant : l'insomnie chronique.
"C'est un véritable fléau", déplore Dr Kamal Regragui, nutritionniste. "Nous voyons de plus en plus de patients, souvent jeunes, souffrant de troubles du sommeil sévères liés à une surconsommation de ces boissons. Les conséquences sur leur santé à long terme sont alarmantes".
La recette de ces cocktails détonants ? Un mélange explosif de caféine, taurine, et sucre. "C'est l'équivalent de plusieurs tasses de café concentrées, avec un pic d'énergie rapide suivi d'une chute tout aussi brutale", explique notre nutritionniste, avant de poursuivre avec le même ton ferme. "Le corps entre dans un cycle infernal de pics et de creux, perturbant complètement le rythme circadien. Cela peut mener à une désynchronisation totale de l'horloge biologique."
Dans les rayons des supermarchés, ces boissons occupent une place de choix. Marketing agressif, packaging attractif, elles ciblent particulièrement les adolescents et jeunes adultes. "C'est un phénomène de mode qui ne veut pas se démoder", observe Mohammed, chargé de communication dans une multinationale. "C'est un signe de la cool-attitude qui s'est, d'ores et déjà, inscrit dans l'intemporalité", affirme-t-il.
Mais cette "cool-attitude" a un prix. Selon une étude récente de l'INSERM en France, la consommation régulière de boissons énergisantes augmenterait de 40% le risque d'insomnie chez les 15-25 ans. Des chiffres qui alarment même nos autorités de santé.
"Nous sommes face à une véritable bombe à retardement sanitaire", alerte Dr Regragui. "Ces boissons créent une dépendance insidieuse. Les jeunes en consomment pour rester éveillés, puis ne peuvent plus s'en passer pour fonctionner normalement. C'est un cercle vicieux qui peut avoir des conséquences graves sur leur santé mentale et physique."
Les effets ne se limitent pas à l'insomnie. Palpitations, anxiété, troubles de la concentration... La liste des effets secondaires s'allonge.
Face à cette situation, certains réclament une réglementation plus stricte. « Il faut interdire la vente de ces produits aux mineurs », plaide le Dr Regragui, avant d'ajouter que les fabricants de ces canettes devraient être tenus de fournir des avertissements sanitaires clairs, comme c'est le cas pour le tabac. « Nous devons également mener des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les universités pour informer les gens des dangers réels de ces boissons.
Certains pays ont déjà pris des mesures drastiques ad hoc. La Lituanie a interdit la vente de boissons énergisantes aux moins de 18 ans. Le Royaume-Uni envisage de faire de même. Au Maroc, le débat commence à émerger, mais les lobbies de l'industrie freinent toute tentative de régulation.
En attendant, c'est aux consommateurs de rester vigilants et de privilégier des alternatives naturelles, à savoir une alimentation équilibrée, de l'exercice régulier, et surtout, respecter son rythme de sommeil. Car tous les médecins s'accordent à dire qu'une bonne énergie vient d'un corps reposé et bien nourri.
Pour Mehdi, le réveil a été difficile. Après un passage aux urgences pour tachycardie, il a décidé d'arrêter net sa consommation. "Ça a été dur au début, mais je redécouvre le plaisir de vraies nuits de sommeil. Ça n'a pas de prix. Mes notes se sont même améliorées depuis que je dors mieux".
Alors que l'aube pointe à l'horizon, dans les rues désertes, les poubelles débordent de canettes vides de ces breuvages qui promettent de nous donner des ailes. Silencieux témoins d'une génération en quête d'énergie, au risque d'en perdre le sommeil. Mais peut-être aussi, premières traces d'un changement de mentalité qui s'amorce, où la vraie "cool-attitude" serait de prendre soin de soi, dans le respect de ses rythmes naturels.
