Au fur et à mesure que le temps passe, les leaders coréens voient le Maroc autrement et sous un prisme différent. En dépit des milliers de kilomètres qui les séparent, les deux pays, situés aux deux extrémités du globe, affichent un intérêt particulier l’un pour l’autre. La République de Corée compte faire du prochain Sommet avec l’Afrique un levier de son partenariat avec le Royaume. Séoul s’apprête à rassembler les Chefs d’Etat africains dans son premier grand meeting politico-diplomatique avec le continent africain. Prévu du 4 au 5 juin prochain, ce Sommet est pour la Corée une tribune pour parler à l’Afrique et s’y tailler une place dans le concert des grandes puissances qui s’arrachent les marchés juteux. “Aujourd’hui, la Corée a des ambitions à l’international et se voit comme une futur puissance économique influente”, nous explique une source diplomatique coréenne.
Le gouvernement coréen compte sur la participation active du Maroc. C’est ce qu’avait dit la Vice-ministre des Affaires étrangères et Envoyée spéciale du Sommet, Hyoeun Jenny Kim, quand elle est venue transmettre l’invitation au Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, le 19 Avril 2024. “Nous avons adressé les invitations au niveau des Chefs d’Etat, nous attendons, en ce qui concerne le Maroc, le niveau de représentation qui sera choisi”, lâche notre source, qui insiste beaucoup sur le fait que la Corée a scrupuleusement veillé à adresser les invitations à titre bilatéral plutôt qu’à l’Union Africaine.
Le Polisario, persona non grata !
Ce faisant, les Coréens veulent à tout prix s’assurer que seuls les Etats reconnus par les Nations Unies soient présents. “Nous ne voulons absolument pas reproduire le malencontreux scénario de la TICAD”, nous explique la diplomate, faisant allusion au Polisario qui n’aura pas sa place au Sommet. La Corée a bien tiré les leçons de la confusion qui a régné pendant le Sommet de la TICAD où le Japon s’est vu embarrassé de la présence du Polisario, qui s’est faufilé sous prétexte d’être un membre de l’UA, ce qui a déclenché la colère du Maroc. Le gouvernement japonais a dû déclarer publiquement qu’il ne reconnaît pas l’entité fantoche. Cet incident regrettable a manifestement terni l’image du Sommet et participé à son échec médiatique.
“Avec le Maroc, on veut du concret” !
Bien que ce soit un Sommet multilatéral, la Corée en saisit l’occasion pour parler aux Etats à titre bilatéral pour aboutir à des partenariats concrets. “Au-delà des belles phrases et des discours protocolaires, nous souhaitons clairement parler de choses concrètes”, lâche notre source, ajoutant que le gouvernement coréen n’a nulle intention d’enfumer ses partenaires africains de grands discours sur l’intérêt qu’il porte pour le continent sans proposer des plans de partenariats palpables.
Ce que propose Séoul
En parlant d’offres, la Corée en a préparé pour le Maroc, perçu à Séoul comme une porte d’entrée en Afrique de l’Ouest. Les Coréens voient d’un bon œil le développement des infrastructures portuaires, dont le port Tanger Med et le futur port Dakhla Atlantique, qui font du Royaume une plateforme d’exportation prometteuse vers la région ouest-africaine et vers l’Europe. Aussi, la Corée convoite-t-elle de plus en plus les opportunités d’investissement qu’offre le Royaume, surtout dans l‘industrie et les énergies renouvelables. Or, pour bâtir un partenariat économique digne de ce nom, il faut une base juridique assez stimulante et exhaustive. Aujourd’hui, le volet juridique reste à étoffer. Les deux pays, rappelons-le, sont liés par un accord de non-double imposition et d’une convention fiscale, signés en 1999 et entrés en vigueur l’année suivante. La Corée veut développer davantage cet échafaudage en proposant un accord relatif à la sécurité sociale. Ce genre de conventions a pour but d’harmoniser les législations des pays signataires de sorte à garantir la continuité des droits à la protection sociale de leurs ressortissants dans leurs territoires respectifs.
En plus, selon nos sources, la République de Corée s’apprête à négocier un accord formel sur les énergies renouvelables et la coopération climatique.
Ouvrir les vannes de l’investissement
Par ailleurs, un accord de partenariat économique est également en ligne de mire. Un schéma juridique sur lequel se base la Corée pour proposer à ses partenaires parmi les pays en développement un partenariat avancé, grâce à l’appui du Fonds “Economic Development Cooperation Fund” (EDCF), un fonds sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, qui contribue à financer des investissements à des taux préférentiels. Cet accord, au cas où il serait signé, ouvrira la voie à une coopération multisectorielle.
Dans ce sillage, le négoce est également l’une des priorités. À présent, le commerce bilatéral demeure faible, source d’insatisfaction pour la Corée qui veut passer à la vitesse supérieure. Loin d’être un accord de libre-échange, le schéma pensé par les autorités coréennes consiste à parvenir à un niveau avancé de facilités douanières pour stimuler les échanges des produits d’intérêt commun. Aussi, cet accord est un tremplin vers l’accélération des investissements. A cet égard, deux secteurs sont prioritairement visés : l’automobile et le ferroviaire. Là, les ambitions sont de taille. Les Coréens se disent prêts à parler d’implantation de leurs constructeurs automobiles.
De l’autre côté, les opérateurs coréens manifestent leur appétit pour plusieurs contrats juteux. Par exemple, Hyundai Rotem a pris part à l’appel d’offres lancé par l’ONCF pour l’acquisition de 168 trains, dont 18 TGV. Cela passe par la mise en place d’une plateforme de production des rames automotrices produites localement avec un taux d’intégration prévu à 60%. Un contrat estimé à 16 milliards de dirhams. “Nous sommes certains de la capacité de nos industriels à fournir des produits de grande qualité à des prix compétitifs avec la possibilité d’aller le plus loin possible dans la production locale”, confient nos sources.
Pour sa part, le géant coréen, Korea Railroad Corporation, a été cité dans le projet d’étude et de conception du tracé de la ligne à grande vitesse entre Casablanca et Marrakech.
Le business militaire en ligne de mire
Last but not least : la Corée veut aller plus loin. Le pays serait d’ores et déjà disposé à signer un mémorandum d’entente sur la coopération en matière de défense. “Ce sera une base juridique pour ébaucher un futur partenariat qui peut être élargi à plusieurs domaines, dont l’industrie et l’armement”, explique notre interlocuteur, rappelant que la Corée cherche un partenariat win-win dans lequel elle est disposée à partager son savoir-faire industriel. En fait, la République de Corée s’est distinguée ces dernières décennies par l’ascension fulgurante de son industrie d’armement, au point que Séoul espère rejoindre le club des grands exportateurs d’armes à l’échelle mondiale. Ayant des armes
sophistiquées dont la qualité est proche de celle des armes américaines, la Corée est connue pour ses fameux chars d'assaut K2 Black Panther, conçus par Hyundai Rotem, qui se vendent triomphalement.
La liste des armes ultra-commercialisées est longue, on y trouve les canons automoteurs “K9”, fabriqués par “Hanwha”, et les avions de combat légers FA-50 de Korea Aerospace Industries (KAI). En proposant une nouvelle coopération militaire, ne serait-ce qu’embryonnaire, les autorités coréennes savent pertinemment bien que le Maroc est déterminé à aller jusqu’au bout dans sa volonté de bâtir sa propre industrie. Ce à quoi des Coréens se disent prêts à contribuer.