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Tanger Med, une couche de «soft infrastructures» pour préserver l’attractivité


Rédigé par Saâd JAFRI Lundi 10 Mai 2021

Face à une concurrence mondiale de plus en plus rude, l’offre de valeur de Tanger Med doit à tout prix évoluer pour ne pas voir sa «valeur perçue» se dégrader. L’IMIS propose d’y adjoindre une couche de «soft infrastructures». Eclairage.



A l’écart de la révolution numérique depuis longtemps, l’industrie du transport maritime a connu un rebond marquant en matière de transformation digitale durant la dernière décennie, notamment suite à la multiplication des projets en lien avec le concept de « Paperless trade » promu par l’OMC et adopté par les organisations représentatives du secteur. Parmi les initiatives les plus remarquées dans ce contexte, on trouve l’alliance conclue entre l’armateur MAERSK et le géant informatique IBM – à travers la création d’une joint-venture dédiée – pour numériser l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur.

L’environnement concurrentiel et les mutations technologiques font que l’évolution de l’offre de valeur de Tanger Med et plus généralement du nouvel écosystème tangérois créé autour de son hub industriel-logistique, se profile comme une condition sine qua non pour sa survie, face à des concurrents directs et indirects qui se positionnent d’ores et déjà dans la guerre commerciale et technologique à venir.

Dans une analyse sur le grand port de Tanger, l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS) note que le développement de la perle du détroit est le résultat de la conjonction de dotations géographiques et historiques et d’une stratégie de développement national et territorial, visant à optimiser le rendement économique des infrastructures réalisées. Il s’agit du port de Tanger Med, autoroute Rabat-Tanger, Ligne Grande Vitesse, voies express, extension de la rocade méditerranéenne et mise à niveau des gares. «La concrétisation de cette vision s’est traduite par le développement de capacités logistiques qui font aujourd’hui de Tanger le premier port de transbordement de conteneurs à l’échelle méditerranéenne et africaine, et à la constitution d’un écosystème industriel dans l’automobile», indique-t-on.

À partir de ce socle fondateur, l’IMIS propose d’ajouter une couche d’infrastructures immatérielles destinées à faire de Tanger un «port franc numérique» au croisement des flux d’échanges physiques et numériques mondiaux.

Prendre le trainde la révolution post-Covid

Concrètement, il s’agit d’une stratégie qui repose sur des synergies innovantes qui pourraient être réalisées entre trois pôles d’excellence : un pôle logistique et industriel existant à consolider, un pôle numérique à développer et un pôle financier de nouvelle génération à construire autour d’une Bourse panafricaine d’échange de matières premières « Tanger-Nador Commodity Exchange », sur la base d’une liste pré-identifiée de contrats/matières sur lesquels une offre compétitive peut être développée.

Selon les analystes de l’Institut, la technologie de la chaîne de blocs «servirait de liant» entre ces trois pôles à travers un développement des «smart contracts» dans l’objectif d’optimiser la chaîne logistique et l’adossement de la bourse d’échanges sur «des crypto-actifs adossés aux matières premières échangées». Nul besoin d’argumenter que la mise en oeuvre de cette stratégie requiert l’investissement dans la constitution d’un écosystème d’innovation autour de la chaîne de blocs, en s’appuyant sur la technopole émergente de Tanger Tech et sur le réseau d’institutions de recherche existantes dans la région et au-delà. Il faudrait également imaginer de nouveaux instruments de soutien à la recherche et développement (R&D), sans oublier la mise en place d’un régime juridique et fiscal permettant d’attirer les meilleures compétences nationales et mondiales dans le domaine.

En effet, forte de ses infrastructures et de sa connectivité régionale et internationale, la métropole tangéroise pourrait se placer à l’avant-garde de la transformation numérique qui s’accélère dans le monde post-Coronavirus, tirant ainsi pleinement profit des dividendes associés à cette révolution. Ceci devrait être accompagné par une offre de formation universitaire destinée à renforcer les filières scientifiques et techniques. Il faudrait également orienter, selon l’IMIS, le projet Tanger Tech en priorité vers les sciences de l’information et bien évidemment décupler les capacités des incubateurs et technoparks.

Les défis ne manquent pas !

Cependant, les lacunes qu’accuse le Maroc dans plusieurs domaines font que la concrétisation de ce projet d’envergure ne serait pas du gâteau. Selon les auteurs du policy paper, Tanger souffre aujourd’hui d’un manque de main d’oeuvre qualifiée. Ceci implique que le recourt à des cadres des autres villes et régions du royaume afin de soutenir son développement s’impose. A cela s’ajoute le manque de maîtrise de la langue anglaise par cette main d’oeuvre qui «pourrait se révéler handicapante» pour constituer un pôle d’attractivité de portée internationale, précise-t-on.

Les défis réglementaires, juridiques et fiscaux, sont également à l’ordre du jour. Au moment où le la finalisation du corpus législatif et réglementaire sur les marchés à terme continue de traîner, l’adaptation de la réglementation sur les aspects numériques reste de mise (validité juridique de la signature électronique, statut des crypto-actifs). Il s’agit également d’adopter une régulation appropriée et une fiscalité incitative pour les acteurs qui effectuent des transactions sur les instruments financiers dérivés. Dans ce sens, le rapport souligne qu’il est regrettable que les lourdeurs bureaucratiques aient retardé la finalisation des chantiers précités soulignant que «l’adoption de la chaîne de bloc pourrait offrir au Maroc l’opportunité d’un leapfrogging technologique dans ce domaine».

Il importe également de noter la nécessité de constituer un écosystème d’innovation centré sur la chaîne de blocs en attirant un ensemble d’acteurs complémentaires, notamment les groupes bancaires financiers, les éditeurs et intégrateurs technologiques, sans oublier les start-ups spécialisées dans les Fintech.

La faible maturité et manque de standardisation des protocoles et technologies sous-jacentes aux chaînes de bloc, pourrait également poser des problèmes d’interopérabilité et freiner le développement de telles solutions à grande échelle. Néanmoins, l’IMIS affirme qu’on assiste aujourd’hui à l’émergence de grands consortiums associant des institutions financières, et des sociétés de services informatiques (Fintechs) autour de la chaîne de blocs, à l’instar du réseau Marco Polo.

Cela dit, les analystes de l’Institut marocain d’intelligence stratégique restent convaincus que dans un domaine aussi stratégique pour le Maroc, qu’est le portuaire et la logistique, la création d’une plateforme d’échanges de matières premières basée sur la technologie de la chaîne de blocs pourrait donner une longueur d’avance à la deuxième région industrielle du Royaume. La concrétisation de cette vision permettrait de faire de Tanger non seulement un « havre numérique », mais également un pôle d’innovation qui met en valeur son statut de hub logistique et industriel, renforçant également sa connectivité et son rayonnement, avec des effets d’entraînement au niveau national et international.

3 questions à Abdelmalek Alaoui

Tanger Med, une couche de «soft infrastructures» pour préserver l’attractivité

«Il faut donc aller plus vite et voir plus loin»

Concurrence, financement et défis…Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMIS), nous parle de la concrétisation de ce projet.

- Dans votre étude, vous avez abordé la rude concurrence à laquelle est confronté Tanger Med. Qu’est-ce qui distingue ce port en particulier et qui sont les concurrents régionaux qui le menacent le plus ?

- La concurrence est une donnée essentielle pour le positionnement rénové de Tanger Med. Il y a, bien entendu, le concurrent historique au Nord qu’est Algeciras, mais ce dernier est relativement bloqué par les limites de son assiette foncière disponible. Il y a également les nouveaux entrants, notamment en Algérie où un mega projet avec les Chinois doit voir le jour dans la localité de Cherchell à 100 km d’Alger même s’il a pris du retard.

Aujourd’hui, Tanger Med est le premier port d’Afrique et le 35ème mondial pour les containers, traitant 7 millions de passagers et 700.000 camions. Mais avec les évolutions des chaînes de valeur mondiales, il y a une place à prendre qui créera des externalités positives pour l’industrie marocaine et le commerce régional. Il faut donc aller plus vite et voir plus loin.

- Quelles sont les voies de financement à envisager et quelles sont les perspectives de concrétisation, surtout dans une conjoncture où les investissements sont en quasi-stagnation ?

- Les investissements du «monde d’avant» sont effectivement en stagnation. En revanche, ceux dévolus au «monde d’après» qui sera plus écologique et plus digital sont très dynamiques et abondants. En ce domaine, il s’agit surtout de cristalliser les efforts pour atteindre la taille critique. Ce projet est tout à fait finançable et «bankable», selon notre analyse.

- La concrétisation de ce projet se heurte à des défis d’ordre juridiques et fiscaux. Pouvez-vous nous expliquer ce volet davantage et comment peut-on y remédier ?

- Tous les projets innovants nécessitent un arsenal législatif et réglementaire adapté. Le Maroc ne fait pas exception et doit s’inscrire dans une dynamique de mise à jour de son cadre juridique. Quant à l’impact fiscal, il est au contraire très positif, même avec des incentives agressives pour démarrer le projet. De toutes les manières, la marge de manoeuvre est limitée depuis que le Maroc est sorti de la liste grise de l’Union Européenne à l’hiver dernier.

 








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