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Tests ADN au Maroc : Immersion dans le génome du laboratoire de la DGSN


Rédigé par Amine ATER Mardi 2 Février 2021

Méconnue du grand public, l’identification génétique fait partie aujourd’hui de l’arsenal juridique marocain. Une technique de plus en plus utilisée pour des affaires de filiation, de partage d’héritage comme de terrorisme ou de grand banditisme. Eclairage sur un outil en voie de normalisation.



Tests ADN au Maroc : Immersion dans le génome du laboratoire de la DGSN
L’actualité judiciaire marocaine a débuté l’année 2021 avec la conclusion de l’affaire Leïla qui a défrayé la chronique l’année dernière, vu l’appartenance politique de l’accusé, l’avocat pjdiste Mohamad Tahari. Une affaire de litige de paternité, rappelons-le, qui a été tranchée grâce au recours à l’expertise génétique, signifiant d’une certaine normalisation du recours aux techniques d’expertises médico-légales dans les procédures judiciaires.

« Bien que le travail du laboratoire ne se fasse pas ressentir de manière concrète par le grand public, notre expertise est de plus en plus sollicitée lors d’affaires de litiges de filiation ou de contestation d’une signature et d’un chèque », tient à préciser Hakima Yahia, cheffe du laboratoire de police scientifique de la préfecture de Casablanca, avant d’ajouter : « C’est quand il y a une affaire médiatisée que le grand public se rend compte qu’il y a un laboratoire ». 

Efficacité et précision
En effet, bien que le premier test ADN ordonné par une Cour de justice marocaine pour prouver une paternité contestée date de 1994 (soit 3 ans avant la mise en place du laboratoire de police scientifique), le recours aux techniques médico-légales ou forensics reste perçu comme des événements exceptionnels par le grand public. « Aujourd’hui, l’on a de plus en plus recours à l’expertise scientifique, surtout le test ADN, notamment dans les affaires de filiation. Cela devient un réflexe naturel, vu la pertinence de cette technique pour prouver la filiation d’une personne », explique Mourad El Ajouti, avocat inscrit à l’Ordre de Casablanca.

Le laboratoire qui, comme cité plus haut, a ouvert ses portes en 1997, enregistre son premier fait d’armes en 1999 en contribuant à la résolution d’une affaire de meurtre à Meknès grâce à des tests ADN. Il faudra attendre l’adoption de la Moudawana en 2003 pour que les travaux du service génétique montent en régime. «Le test ADN pour l’identification de la paternité-maternité et parenté est soumis à l’autorisation du juge. Selon le code de la famille, le test ADN est l’un des moyens sur lesquels le juge peut se baser pour statuer sur l’identification de la paternité-maternité et parenté », rappelle El Ajouti. 

Des interventions dans des domaines diversifiés
Aujourd’hui, les tribunaux peuvent faire appel à deux structures compétentes en la matière : le laboratoire de police scientifique et celui de la Gendarmerie Royale en fonction des zones de compétences. « Le métier du laboratoire consiste donc à effectuer des expertises sur la demande des magistrats, qui concernent autant des affaires pénales que civiles. Concernant ce volet, nous sommes généralement saisis pour effectuer des tests de filiation et de paternité en cas de litige. Nous pouvons également être saisis pour des questions d’héritage, c’est-à-dire qu’il y a un héritage à départager entre différents membres d’une famille, nous intervenons pour justifier le lien biologique pour faire profiter une ou plusieurs personnes d’un héritage ou d’un bien partagé », précise Hakima Yahia. 

La structure de la DGSN a ainsi traité en 2020 quelque 10.014 affaires, dont 79 à 80% étaient destinées à l’expertise génétique. Un chiffre qui s’explique par le recours quasi-automatique à l’identification génétique dans des affaires de « délits mineurs », à l’image du vol qualifié. « Cela s’applique aussi à une agression sexuelle où l’on va recevoir des prélèvements qui sont recueillis par un médecin légiste, qui peuvent être vaginaux ou autres en fonction de l’agression. Il faut ensuite commencer par identifier le profil génétique de la victime, pour pouvoir déduire celui de ou des auteurs », explique la directrice. 

Les services du laboratoire sont également requis pour l’identification des cadavres retrouvés sans identité. Que cela se produise suite à des cas de noyades, notamment suite à des tentatives d’immigration ou lors de la découverte des restes humains, voire squelettiques. Ce qui peut arriver lors de travaux de construction ou d’excavation. « Nous sommes par ailleurs sollicités pour des collaborations internationales dans ce sens avec Interpol, dans le cadre d’identification de citoyens marocains repêchés dans des eaux internationales. Le laboratoire offre un apport énorme pour assurer l’identification génétique - donc formelle - d’une personne, un palier important dans une procédure judiciaire quel que soit son objet », souligne Hakima Yahia.

Un nouveau siège en perspective
Un positionnement qui pousse le laboratoire à muscler son volet formation. La structure qui compte aujourd’hui 76 fonctionnaires devrait être dotée au cours de l’année d’un nouveau siège, « une mégastructure qu’il faudra accompagner et renforcer en capital ». Pour y arriver, la directrice ambitionne de multiplier les partenariats avec le secteur de la recherche universitaire. « L’objectif ultime étant de faire des publications et d’avoir une place dans la sphère universitaire et, pourquoi pas, mettre en place un Master ou toute autre formation dédiée aux sciences forensics. Je spécule, mais peut-être que, dans 6 ou 7 ans, nous pourrons avoir un centre de formation pour les techniciens, cadrés selon nos besoins », s’avance Hakima Yahia avant d’ajouter : « L’idée serait, qu’une fois le cursus dédié de l’IRP soit fini, d’accueillir les lauréats dans un centre de recherche qui leur offre une réelle spécialisation par discipline, avant qu’ils ne rejoignent dans notre laboratoire ou dans les futures laboratoires régionaux ». 

3 questions à Hakima Yahia, directrice du laboratoire scientifique de la DGSN

Hakima Yahia
Hakima Yahia
Forensics, un chantier permanent

Hakima Yahia, cheffe du laboratoire de police scientifique de la préfecture de Casablanca, a répondu à nos questions concernant l’activité du laboratoire, son champ d’action et ses perspectives de développement.

- Comment s’intègre le laboratoire dans les procédures judiciaires ?
- En tant que laboratoire de police scientifique, nous sommes complètement intégrés dans la démarche judiciaire. Nous faisons aujourd’hui partie d’une approche et processus qui commence bien sûr par une affaire et qui va aboutir ne serait-ce qu’au niveau du laboratoire d’un livrable, en d’autres mots un rapport d’expertise. Nous collaborons régulièrement avec les services du BCIJ pour des affaires de terrorisme. Notre contribution s’est traduite par l’identification des engins saisis. , lors des perquisitions qu’il mène. Les objets, substance, poudre ou tout autre produit suspect sont acheminés à notre laboratoire pour être analysés. Nous intervenons également suite à des saisies de drogues.

- Quelles pistes de synergies vous sont offertes par l’intégration des technologies biométriques par la DGSN ?
- En tant que spécialiste de la génétique, je n’omets pas l’importance de la biométrie, notamment l’identification par empreinte digitale. Le Maroc dispose, en effet, d’une très grande base de données d’empreinte digitale. Il y a un travail de concordance qui se fait, dans un but ultime qui est d’identifier l’auteur d’un crime. Une technique qui a aussi son importance pour l’identification de cadavres, si les empreintes sont exploitables, elles seront privilégiées pour donner un nom et un prénom à cette personne. Prenons aussi le cas des crashs d’avions, où nous sommes sollicités par l’Interpol, pour identifier des citoyens marocains qui ont péri dans un accident aérien. Nous intervenons ainsi dans un cadre très règlementé par l’Interpol, pour exploiter les données ante-mortem et post-mortem. L’empreinte digitale représente ainsi un apport très important en la matière, au même titre pour identifier les victimes de ce genre d’accidents.

- La formation représente un chantier permanent pour des structures comme la vôtre, quelles sont vos priorités en la matière ?
- En effet, c’est un chantier prioritaire pour nous. En témoigne la création prochaine de l’Institut de sciences forensics de la Sûreté nationale, qui aura pour mission de mettre en place une approche recherche et développement. Autre volet en chantier, les techniques liées à la scène de crime, qui doivent être reconnues en tant qu’entité experte par le biais d’une accréditation 17.020 qui reconnaît la compétence du personnel chargé de l’analyse des scènes de crimes. Concernant le partenariat avec le secteur de la recherche scientifique, nous ne limitons pas notre approche à la fourniture d’équipements ou de consommables. Nous cherchons à établir des partenariats qui fourniraient à un retour à la DGSN, qui permettraient à nos fonctionnaires, inscrits dans des doctorats, de mener à bien des projets qui soient bivalents, l’on va dire entre un cadre professionnel et universitaire, ce qui est très important.

Recueillis par A. A.

Encadré

Ph. KAMAL
Ph. KAMAL
Coopération : Synergies régionales 
Le rôle du laboratoire scientifique de la DGSN ne se limite pas à apporter son concours au système judiciaire. La structure représente également un outil d’influence régional et continental pour la Sûreté nationale. « Le Maroc a pour objectif de se positionner géo-stratégiquement, par le biais de la coopération », précise Hakima Yahia, cheffe du laboratoire scientifique de la police nationale. La structure est ainsi liée à l’Organisation pour l’interdiction d’armes chimiques (OIAC), avec qui des pourparlers sont en cours pour la mise en place au Maroc d’un centre de recherche.

Le laboratoire dispose par ailleurs de fonctionnaires faisant partie des experts ADN de l’Interpol. « La DGSN est en train de se positionner dans la sphère sécuritaire régionale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les grands trafics », souligne Hakima Yahia. Le laboratoire assure ainsi la formation tant théorique que pratique de laborantins d’autres pays africains, qui, une fois les 6 mois de formation terminés, reviennent en poste « Ready to use ». Une collaboration qui ne se limite pas au volet formation, « mais peut se traduire en assistance opérationnelle, comme au lendemain d’une attaque terroriste dans un pays que je ne nommerais pas où nous avons dépêché sur place une équipe pour aider les autorités locales pour le prélèvement et l’exploitation d’échantillons sur la scène du crime. Des échantillons qui ont été analysés dans nos locaux et ont permis d’établir un rapport d’expertise », confie Hakima Yahia. 

Repères

Certifications 
Le Laboratoire de police scientifique est depuis 2018 titulaire d’une accréditation ISO 17025. Un label qui est depuis reconduit pour sa 3ème année consécutive, et qui s’inscrit dans un processus cyclique qui s’étend sur 5 ans. La norme ISO exige ainsi un maintien du niveau combiné à la mise en place d’un processus d’amélioration continue. « Les améliorations résident déjà dans l’extension de la portée, là nous sommes en train d’étudier la mise en place d’un système de management de qualité qui couvre toutes les disciplines du laboratoire de police scientifique, que ça soit les services s’occupant de l’ADN, la chimie, le toxico ou les faux documents », confie Hakima Yahia.
Best practices
Les services forensics de la DGSN s’inscrivent dans un mouvement international d’experts en ADN. Un regroupement qui englobe européens, asiatiques, sud-américains et océaniens qui œuvrent au partage de leurs expertises respectives. Un échange d’informations qui peut renseigner sur les spécificités propres à chaque région et permet d’asseoir les bonnes pratiques en termes d’expertise génétique. Un regroupement qui permet également à ses membres de débattre des dernières technologies et leur fiabilité. Un préalable au moment de mettre en œuvre une normalisation des process d’indentification génétiques par les différents services membres. 



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