Soumia GUENNOUN est professeure à l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah à Fès. Elle a un doctorat en Droit de l’environnement et oriente ses recherches sur les enjeux environnementaux, le développent durable et l'action climatique. Elle a été référente INSA Euro-Méditerranée pour le projet « Climat Sup INSA » et a animé plusieurs conférences sur la transition écologique.
Les conclusions du premier bilan mondial jouent un rôle catalyseur vers une mobilisation plus audacieuse pour le climat. Ce principal mécanisme d’évaluation des progrès réalisés en matière d’action climatique, dans le cadre de l’accord de Paris, ne se résume point à un simple inventaire des progrès et déficiences de mise en œuvre. Un ajustement de perspectives est fortement requis. Une occasion ultime, pour reconsidérer l’ambition climatique et stimuler la coopération nécessaire à un développement résilient.
Pourtant les enjeux sont complexes ; les retombées des crises actuelles, intensifiées par les conflits sont autant d’écueils qui ont favorisé davantage le décalage entre l’action climatique et les dommages et risques climatiques réels tels que révélés par la science. Ces dommages n’épargnant aucune partie du globe, la gravité de la situation est dès lors non un simple constat scientifique mais une réalité défrayant la chronique quotidienne. Pourtant les impacts économiques des crises actuelles et les effets inflationnistes y afférents semblent prendre le dessus. Ils ont été invoqués comme motif du ralentissement de l’ambition climatique et son corollaire une mise en œuvre d’une action climatique à la hauteur d’une transition juste et équitable.
Sachant qu’aucun pays n’est à l’abri, les pays très vulnérables aux impacts du changement climatique (CC) et qui y ont le moins contribué, comptent environ 3,6 milliards de personnes. Données confirmées par le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) AR6/2023, en vertu duquel entre 2010 et 2020, la mortalité humaine due aux impacts du CC était 15 fois plus élevée dans les régions très vulnérables que dans celles à faible vulnérabilité.
Alors que tous les impacts ressentis - vagues de chaleur record, incendies de forêts, méga sécheresses, inondations mortelles, ouragans, etc.- résultent uniquement d’un réchauffement d’environ 1,2°C par rapport à l’ère préindustrielle, chaque fraction supplémentaire aurait des conséquences plus graves, dont certaines irréversibles. La situation n’étant pas au beau fixe, la COP 28 fut l’occasion pour rectifier le tir en réduisant le fossé entre les recommandations scientifiques et l’action climatique.
Pourtant les enjeux sont complexes ; les retombées des crises actuelles, intensifiées par les conflits sont autant d’écueils qui ont favorisé davantage le décalage entre l’action climatique et les dommages et risques climatiques réels tels que révélés par la science. Ces dommages n’épargnant aucune partie du globe, la gravité de la situation est dès lors non un simple constat scientifique mais une réalité défrayant la chronique quotidienne. Pourtant les impacts économiques des crises actuelles et les effets inflationnistes y afférents semblent prendre le dessus. Ils ont été invoqués comme motif du ralentissement de l’ambition climatique et son corollaire une mise en œuvre d’une action climatique à la hauteur d’une transition juste et équitable.
Sachant qu’aucun pays n’est à l’abri, les pays très vulnérables aux impacts du changement climatique (CC) et qui y ont le moins contribué, comptent environ 3,6 milliards de personnes. Données confirmées par le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) AR6/2023, en vertu duquel entre 2010 et 2020, la mortalité humaine due aux impacts du CC était 15 fois plus élevée dans les régions très vulnérables que dans celles à faible vulnérabilité.
Alors que tous les impacts ressentis - vagues de chaleur record, incendies de forêts, méga sécheresses, inondations mortelles, ouragans, etc.- résultent uniquement d’un réchauffement d’environ 1,2°C par rapport à l’ère préindustrielle, chaque fraction supplémentaire aurait des conséquences plus graves, dont certaines irréversibles. La situation n’étant pas au beau fixe, la COP 28 fut l’occasion pour rectifier le tir en réduisant le fossé entre les recommandations scientifiques et l’action climatique.
Un recentrage des priorités de la COP s’impose
Depuis l’entrée en vigueur de la CCNUCC, les parties tentent d’empêcher l’interférence de l'activité humaine sur le système climatique. Or, si après 3 décennies la situation climatique est de mal en pis, le processus de la COP est décrédibilisé. Son réajustement hautement souhaité a été revendiqué par le Club de Rome pour passer des négociations à la mise en œuvre. Une telle consécration est suggérée à travers des plateformes multipartites d’échange d’expériences et de responsabilisation suppléant les négociations à huis clos sur les textes juridiques et les déclarations annuelles.
Face à la menace existentielle qui guette les sociétés humaines, la lenteur qui a marqué l’histoire de ces conférences n’est plus admise. Il a fallu 9 ans de négociations ardues pour arriver à un accord sur le climat en 2015 (COP 21) - Depuis Bali en 2007 (COP 13), en passant par Copenhague en 2009 (COP 15) –. Et même avec l’accord de Paris, il a fallu 6 ans jusqu’à Glascow en 2021 (COP 26) pour progresser sur l’article 6 et 7 ans jusqu’à Charm el-Cheikh en 2022 (COP 27) pour avancer sur les pertes et dommages. Aujourd’hui, on n’a plus de marge de manœuvre pour se cantonner dans une telle stagnation.
Cela dit, c’est grâce aux rassemblements des COPs que les dirigeants, les décideurs politiques et les experts ont pu convenir d’objectifs communs entre les pays pour pouvoir évaluer les progrès accomplis dans leur réalisation. D’ailleurs, c’est ce qui a donné lieu à l’adoption de l’accord de Paris lors de la COP 21 (2015). Le premier instrument universel juridiquement contraignant. Son objectif spécifique de maintenir l’augmentation de température en dessous de 2°C, voire de la limiter à 1,5°C a été reconnu sans stratégie long terme associée. En effet, il a été décidé de reléguer cette question pour l’évaluer sur la base d’éléments scientifiques.
Aujourd’hui ce sujet est formellement établi par le GIEC. Le franchissement du seuil de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels aura indubitablement des effets désastreux. Et l’espoir de se limiter à cette température d’ici la fin du siècle requiert moult efforts et engagements. Une culmination des émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) avant 2025 s’impose avec une réduction de 43% d’ici 2030. Il s’agit ensuite de poursuivre ces réductions afin d’aboutir à une économie mondiale à zéro émission nette vers 2050. Le rôle des technologies de captage et de stockage des émissions est évoqué comme solution pour switcher en mode d’émissions négatives.
Toutefois, depuis la signature de l’Accord de Paris, les émissions mondiales de GES ont enregistré une augmentation record d’environ 10 % atteignant 57,2 Gt CO2e en 2022. Ce qui est alarmant et doit absolument inciter les pays à intensifier leur action climatique pour se remettre sur les rails.
Un décalage flagrant entre la science et l’action climatique
A mi-chemin entre l’accord de Paris et l’échéance 2030, plusieurs indicateurs sont dans la mauvaise direction. Cela concerne les instruments de l’accord de Paris mais aussi les ODD (Objectifs de Développement Durable) comme outil-clé d’adaptation et dont la réalisation reste boiteuse. Ce qui laisse augurer un changement de la donne des processus multilatéraux jusque-là engagés.
Cela est d’autant plus urgent que l’état d’avancement des instruments de mise en œuvre de l’accord de Paris demeure en inadéquation avec les recommandations de la science climatique. Et les multiples rapports délivrés récemment, témoignent de l’inexactitude de la trajectoire empruntée. Cela touche autant les domaines d’action de l’accord, notamment l’adaptation et l’atténuation, que ses mécanismes de soutien surtout financier.
La pierre angulaire de l’accord de Paris repose sur les contributions déterminées au niveau national (CDN). Ces plans d’actions climatiques définissent via un programme national les mesures sectorielles pour mettre en œuvre ces instruments. Or, l’ONU affirme que même si elles étaient entièrement mises en œuvre, les CDN actuelles provoqueraient une augmentation de 9 % des émissions de GES en 2030. Ce qui va à l’encontre des principes de l’accord.
Les Rapports du PNUE (2023) apportent d’autres éléments. Celui sur l’écart entre les besoins et les perspectives de réduction des émissions indique que le monde est sur la voie pour un réchauffement de 2,9°C si les CDN inconditionnelles sont mises en pratique et de 2,5°C si toutes les CDN conditionnelles sont également exécutées. Cela dénote de l’urgence d’un redoublement d’ambition collective pour limiter les dégâts catastrophiques d’une telle situation et doit orienter la prochaine génération de CDN de 2025.
A signaler que le Maroc a soumis sa CDN révisée en juin 2021. Plus ambitieuse que celle de 2015, elle porte l’objectif de réduction des GES à 45,5% à l’horizon 2030 dont un objectif inconditionnel de 18,3%. Au demeurant, les 27,2% sont conditionnels à l’aide internationale faisant référence à des instruments innovants comme le stockage carbone dans l’industrie du phosphate.
Un autre rapport sur les lacunes en matière d’adaptation a dévoilé les déficiences en ce domaine. Surtout dans les pays en voie de développement où les besoins en financement sont actuellement 10 à 18 fois supérieurs aux flux financiers publics. Alors que le déficit de financement des efforts d’adaptation est au moins 50% plus important que prévu selon le même rapport. Cette carence en matière d’adaptation a des conséquences incontournables en termes de pertes et dommages.
Il s’agit là d’un effet boule de neige. En réalité, plus la température augmente, plus les besoins en adaptation s’amplifient. L’insuffisance de cette dernière se répercute sur la résilience des groupes défavorisés et entraîne des pertes et dommages à régenter. Parallèlement, les besoins en financement s’accentuent davantage à chacune de ces phases. Cela étant, seule une transition systémique, telle qu’admise dans le rapport AR6 susmentionnée, peut contribuer à exploiter les synergies et à éviter les compromis entre l’atténuation et l’adaptation.
Vers un ajustement de perspectives
Assurément, les effets escomptés reposent sur la mise en place d’actions diligentes pour outrepasser les lacunes actuelles. Et les premiers jours de la COP 28 ont été fructueux en termes de consensus déclenchant des perspectives positives quant au changement de trajectoire. Ce basculement tant attendu a été temporisé par d’autres réalités.
En effet, les consensus instantanés sur certains dossiers tels que le financement des pertes et dommages ou celui des énergies renouvelables ont été dépareillés à cause de la polémique autour du dossier des énergies fossiles, mais pas que. L’enthousiasme sur les autres dossiers est à considérer de différents angles.
C’est le cas notamment du financement opérationnel des pertes et dommages. Ce fonds historique est certes un acquis considérable mais pas une fin en soi. En effet, les 700 millions de dollars promis pour ce fond, dès l’ouverture de la COP 28, représentent une infime partie des pertes auxquelles sont confrontées annuellement les pays en développement. Pour ces derniers, les seules pertes économiques causées par le CC sont estimées entre 290 et 580 milliards de dollars par an d’ici 2030, selon une déclaration de la commission économique pour l'Afrique (CEA).
Si la majorité des pays se sont entendus au sujet des énergies renouvelables, pour tripler leur capacité de production et doubler leur efficacité énergétique durant la décennie en cours, hormis la question du financement associé, le sujet le plus ardent concerne l’avenir des énergies fossiles, principal déclencheur du réchauffement climatique. Et les fortes discordes autour des intérêts des pays producteurs et consommateurs ont fait subsister le doute sur l’adoption d’un texte solide à cet égard. Entre « élimination progressive » et « réduction progressive », cette question déterminante de la rigueur de l’ambition est pour autant une ligne rouge pour les scientifiques. Lesquels tirent la sonnette d’alarme aussi bien sur l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) que sur l’arrêt de la déforestation à l’horizon 2050.
Le texte final adopté est une mobilisation vers une « transition hors des énergies fossiles », mais la feuille de route pour y arriver connait bien des limites. Il s’agit notamment des financements nécessaires pour mettre les pays en développement au diapason de cette transition. Sans oublier les technologies de capture et de stockage du carbone qui laissent planner le doute quant à leur bénéfice climatique. Ces technologies ont certes été invoquées par le GIEC pour parer à certaines émissions inévitables résiduelles, comme celles de l’industrie du ciment. Elles ne peuvent cependant être préférées aux solutions alternatives comme le déploiement des puits de carbone naturels des forêts ou de l’hydrogène vert.
Néanmoins, si l’on s’en tient aux processus convenus dans l’Accord de Paris, la décision établie par l’organe clé (CMA) dudit accord constitue bel et bien un jalon important pour mettre un terme à l’essor du fossile. Juridiquement parlant, chacune des parties doit respecter deux impératifs et ce en vertu des dispositions des articles 4.9 et 14.3 de l’Accord de Paris. D’abord, les prochaines CDN prévues pour 2025 doivent prendre en considération les conclusions du bilan mondial. Ensuite, toute partie a l’obligation d’indiquer comment les résultats du bilan mondial l’ont éclairé dans la préparation de sa CDN. Concrètement, les résultats de ce premier bilan mondial doivent être minutieusement examinés par chaque pays afin de communiquer en 2025 une CDN plus ambitieuse clarifiant la voie adoptée entre autres dans le domaine des énergies renouvelables mais aussi et surtout quant au passage vers la renonciation aux combustibles fossiles.
Soumia GUENNOUN