Mobilisation syndicale marquée par une grève générale.
C’est la guerre des chiffres entre le front syndical et les autorités officielles sur la grève générale qui dure depuis mercredi. L’UMT, qui est à la manœuvre, s’est félicitée d’un taux de participation de 84%. Un chiffre contredit par une source officielle autorisée. Quoiqu’il en soit, la paralysie totale n’a pas eu lieu. Le front syndical - composé de la CDT, l’UMT, l’UNMT, l’ODT et la FSD - ne semble pas avoir réussi son pari de bloquer le pays comme ce fut le cas pendant l’époque glorieuse du mouvement syndical.
Un pari raté ?
Malgré les absences constatées dans quelques administrations, établissements scolaires et les tribunaux, l’activité n’a pas été visiblement perturbée ni dans le privé ni dans le public. Le gouvernement reste serein tout en tendant toujours la main aux syndicats, comme l’a fait savoir Aziz Akhannouch au Parlement. Ce débrayage raté est perçu comme une tentative de tordre le bras à l’Exécutif qui a réussi à faire voter la loi organique relative au droit de grève au Parlement. Le texte a été voté, mercredi, à la Chambre des Représentants à la majorité en deuxième lecture. 84 députés ont voté pour tandis que 7 s’y sont opposés à l’issue d’une séance plénière désertée par 291 élus. Maintenant que cette loi attendue depuis une soixantaine d’années achève son circuit législatif, Younes Sekkouri peut se sentir soulagé après avoir porté ce lourd fardeau sur ses épaules depuis son arrivée au ministère de tutelle. Mais, la fronde syndicale laisse un arrière-goût amer chez le ministre qui a tout fait pour obtenir le consensus. Pour sa part, l’UGTM a fait preuve de modération en votant pour la loi à la deuxième Chambre, estimant que le texte est favorable aux classes laborieuses. Les syndicats récalcitrants jugent toujours le texte restrictif malgré les innombrables concessions de l’Exécutif. Contacté par nos soins, Khalid Setti, conseiller de l’UNMT, accuse le gouvernement d’avoir snobé les amendements des syndicats. “Le gouvernement a abusé de sa supériorité numérique à l’hémicycle au lieu de chercher le consensus”, se défend-il. Un argument récusé par Youssef Alaoui, président du groupe de la CGEM à la Chambre des Conseillers, qui rappelle que le gouvernement s’est réuni plus de 60 fois avec les partenaires sociaux depuis le début des discussions. M. Alaoui ne comprend pas comment un texte aussi favorable aux salariés puisse être autant contesté.
Une colère injustifiée ?
Cette grogne syndicale passe mal aux yeux de quelques parlementaires, qui pensent que le gouvernement a plutôt été conciliant à l’égard des syndicats. “Quoique disent les détracteurs de la loi, il faut reconnaître que le gouvernement a fait pencher la balance en faveur des syndicats”, insiste une source contactée par « L’Opinion ». Le parlementaire, qui a requis l’anonymat, juge que le texte voté est largement bénéfique aux syndicats. “Le gouvernement a tout fait pour les satisfaire mais il semble qu’ils sont dans une logique de chantage pour soutirer le maximum de concessions jusqu’à la dernière minute”, déplore-t-il.
Il reproche au gouvernement d’avoir légaliser des formes de grèves qu’il juge abusives. “Comment peut-on imaginer une grève politique ou une autre pour revendiquer un intérêt moral, cela me paraît inconcevable”, s’insurge notre interlocuteur, qui regrette que la loi votée soit préjudiciable au climat des affaires. Celui-ci désapprouve la réduction du préavis à sept jours au lieu d’un mois en vertu d’un amendement retenu à la Chambre des Conseillers sachant que la version initialement votée par les députés a opté pour 30 jours. Il s’agit d’une revendication syndicale comme l’abandon des sanctions pénales et l’augmentation des amendes contre les employeurs, confirme une source ministérielle, qui insiste que la loi est si protectrice des intérêts des salariés qu’elle leur donne systématiquement raison en cas de conflit d’interprétation dans un litige.
Le patronat entre compromis et déception !
Le texte, rappelons-le, a été voté par un front constitué par les partis de la majorité, l’UGTM et le groupe de la CGEM dont certains parlementaires continuent d’avoir des réserves sur certaines dispositions sans rejeter le texte en bloc. Selon une source patronale, “il fallait faire preuve de compromis pour sortir cette loi qui a tardé à voir le jour, elle était censée être votée avant la fin de la session parlementaire du printemps 2024, selon les engagements pris par les partenaires sociaux, y compris tous les syndicats les plus représentatifs. En gros, poursuit notre source, le texte obéit à une logique politique visant à renforcer les syndicats et leur représentativité face à la concurrence de plus en plus rude des Coordinations qui foisonnent depuis longtemps.
L’Exécutif estime que le texte est largement favorable à la classe laborieuse, avec une définition identique de celle de l’Organisation Mondiale du Travail (OMT). La nouvelle loi élargit le champ d’exercice à tous les employés quels qu’ils soient, y compris ceux encartés dans les syndicats les moins représentatifs. Le texte interdit les licenciements abusifs et les mesures de rétorsion contre les grévistes et réduit le nombre de salariés requis pour déclarer une grève de 75% à 25%. Le préavis a été revu à la baisse à 7 sept jours. Les poursuites pénales ont été abrogées de même que la contrainte physique a été abandonnée.
Trois questions à Youssef Alaoui : « Il fallait avancer, cette loi est vitale pour le pays »
Youssef Alaoui, président du groupe de la CGEM à la Chambre des Conseillers, a répondu à nos questions.
- Que pensez-vous de l’opposition acharnée des syndicats à la loi sur le droit de grève malgré les acquis qu’ils ont obtenus ?
C’est une loi que nous attendons depuis une soixantaine d’années. Elle est restée gelée depuis 2016. Il est impensable que nous tardions davantage. Il faut reconnaître l’évidence. Cette loi est plus qu’équilibrée, tous les droits des travailleurs sont préservés, voire renforcés dans la majeure partie des cas avec des amendes augmentées et des sanctions plus sévères que jamais contre les employeurs. Même le préavis a été réduit et les sanctions pénales, y compris la contrainte physique, abandonnées. Le champ d’exercice de la grève a été élargi le maximum possible jusqu’au débrayage politique et solidaire. Évidemment, les grèves sauvages sont strictement encadrées, personne ne peut penser qu’on peut les autoriser, ce serait illusoire. Il fallait également préserver la liberté du travail, ce qui est le strict minimum. En définitive, je trouve que les syndicats ont obtenu ce qu’ils réclamaient sachant que le texte voté n’a rien à voir avec celui de 2016. Là, j’ignore franchement les raisons de la colère ambiante. Les syndicats ont le droit de se mettre en grève et de faire valoir leurs vues, mais je ne comprends pas. En gros, l’enjeu a été compris, on a vu que les gens continuent de travailler.
- Les grèves à des fins morales ont suscité beaucoup de débat, surtout chez les représentants de la CGEM, est-ce problématique pour vous en tant que représentant du patronat ?
Je me dois de vous avouer que je ne sais pas ce que c’est ! Le principe est très flou. Mais, la loi a été votée, il faut qu’on avance. C’est une revendication syndicale à laquelle le gouvernement a accédé. Pourtant, on voit qu’il y a encore des oppositions que, personnellement, je ne comprends pas.
- Les syndicats disent que le gouvernement n’a pas tenu compte de leurs amendements, qu’en pensez-vous ?
De notre côté, nous avons voté pour la loi après des discussions marathoniennes qui ont duré, parfois, jusqu’à 3h du matin. Soyons lucides. La loi a été largement discutée entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Toutes les étapes imaginables ont été franchies. Les parlementaires et le Conseil Economique, Social et Environnemental ont exprimé leurs doléances. Il fallait avancer et trancher par le vote. Il est impossible d’attendre le consensus. A mon avis, tout a été fait pour satisfaire les revendications syndicales.