Loin de faire face à un simple aléa conjoncturel, le Maroc subit maintenant une véritable épreuve climatique au moment où les années de sécheresse se succèdent sans qu’il y ait une véritable lueur d’espoir dans le futur proche. Dans un contexte si ardu, gérer l’eau devient quasiment une mission régalienne. Par conséquent, il n’est pas illusoire de dire que le ministère de l’Equipement et de l’Eau prend l’allure d’un ministère de souveraineté. Le fardeau qui pèse sur les épaules du ministre de tutelle, Nizar Baraka, est lourd. Le ministre, qui préfère dire la réalité des choses telles qu'elles sont sur la situation hydrique alarmante du Royaume, multiplie les prises de parole dans les médias afin de sensibiliser l’opinion publique sur la gravité de la situation, sans céder à la panique. Le ministère pense à long terme.
Comment tenir et freiner l'hémorragie ?
L’objectif est d’assurer un approvisionnement régulier ininterrompu en eau potable dans les deux prochaines années. C’est ce qu’a précisé Nizar Baraka au plateau de Medi 1 TV, lors d’une émission diffusée dimanche. Le défi actuel consiste à gérer de façon optimale les ressources disponibles jusqu’à l’été en attendant avec espoir une pluviométrie plus abondante, a-t-il indiqué. Entre-temps, la pression qui pèse sur les ressources actuelles fait qu’il faut prendre des mesures d’économie à court terme. Le ministre en a cité quelques-unes, à savoir la rationalisation de l’usage des canaux d’irrigation. Selon lui, près de 50% des eaux qui y passent pour usage agricole sont perdus pendant le débit. Pour ce qui est de l’eau potable, les pertes sont moindres mais demeurent, pourtant, importantes (30%).
Le ministre a jugé qu’il est temps de faire plus d’efforts en matière d’usage d’eau dans l'irrigation, et encore plus dans l’usage domestique. “Le temps est venu de revoir nos comportements”, a-t-il indiqué, faisant allusion au gaspillage qui pose problème.
Coupures d’eau : Tout pour ne pas y être contraint
Concernant les éventuelles coupures d’eau, dont tout le monde parle ces derniers jours, le ministre s’est montré rassurant tout en parlant plutôt de mesures de rationalisation de la consommation d’eau à l’échelle nationale. Ceci dit, les coupures momentanées ne sont pas à exclure dans certaines régions à fort déficit hydrique, telles que Guercif, Berrechid, Settat, Taza, Al Hoceima et Taghazout, qui pourraient, selon le ministre, être légèrement impactées. “Tout est fait pour dépasser cette situation et éviter les décisions draconiennes”, a insisté Nizar Baraka qui a donné un aperçu sur la stratégie mise en place en la matière. Des comités de veille ont été mis en place au niveau régional. Leur rôle consiste à faire le suivi de la situation et superviser la gestion de l’eau et, le cas échéant, les coupures, en fonction d’un examen scrupuleux de la situation de chaque région.
Dessalement : L’eau d’El Jadida pourrait bientôt affluer vers Casablanca
Dans ce sens, afin de trouver d’autres sources d’eau, les autorités compétentes font recours à de nouvelles sources et surtout aux unités mobiles de dessalement d’eau de la mer. Sur ce point, Casablanca, dont le besoin en eau est si cruel, pourrait bientôt bénéficier de l’eau dessalée en provenance d’El Jadida et de Safi, qui sont désormais desservies par les eaux de la mer grâce aux contrats de concession conclus entre le gouvernement et le Groupe Office Chérifien des Phosphates (OCP), le 5 juillet dernier. Les stations de dessalement installées dans les deux villes, rappelons-le, sont entrées en service le 28 août dernier. L’objectif escompté est d’en extraire 10 millions de mètres cubes d'eau potable par an. Là, de ces deux villes surgit un brin d’espoir au milieu de l'inquiétude qui règne dans le pays.
Actuellement, 60% de l'eau potable de Safi provient du dessalement de l'eau de mer et, fort probablement, ce taux pourrait bientôt avoisiner les 100% à fin janvier. Idem pour El Jadida qui sera, elle aussi, approvisionnée, d'ici février, à hauteur de 100% par l’eau dessalée. Par ailleurs, les nappes phréatiques nécessitent un travail de fond en ce qui concerne la lutte contre la surexploitation. Pour sauver les ressources qui restent, le paquet est mis sur les systèmes de dérivation et de transfert d’eau depuis des forages pour exploiter les eaux souterraines.
Au-delà des mesures d’urgence, Nizar Baraka a insisté sur le fait qu’il faut rester attaché aux directives royales qui constituent une feuille de route. Aujourd’hui, le défi est tel que le Maroc ne peut se contenter des sources traditionnelles, à savoir les pluies et les ressources des nappes phréatiques qui n’ont jamais été aussi rares. Le dessalement de l’eau de mer et le traitement des eaux usées deviennent donc l’horizon indépassable de la politique nationale en matière d’approvisionnement. Le Maroc, rappelons-le, ambitionne d’atteindre par an 1 milliard de mètres cubes d’eaux dessalées en 2030, ce qui permettrait de fournir 50% des besoins du Royaume en eau potable.
Actuellement, on est à 192 millions de mètres cubes alors qu’on était à 140 millions de mètres cubes quand le gouvernement actuel a pris les commandes. Ceci dit, si on y arrive, l’approvisionnement des villes côtières sera garanti, tandis que les villes intérieures, les zones rurales et les terres agricoles seront servies à partir des barrages qui seront plus soulagés.
Ce dont il faut se féliciter
Toutefois, le temps presse. Face aux critiques sur le retard d'exécution des projets en cours, Nizar Baraka s’est défendu en soulignant le succès extraordinaire des autoroutes de l’eau qui ont été achevées au bout de huit mois seulement. “On peut se féliciter de cette réalisation qui est perçue comme un modèle à l’international”, a argué le ministre, qui a cité également la réussite des infrastructures de dessalement d’El Jadida et de Safi dans un temps record. Usant de sa bonne mémoire, M. Baraka a rappelé que le chantier de l’interconnexion hydraulique date de 2009. Or, “c’est le gouvernement actuel qui l’a mise en œuvre après plusieurs années d’attentisme”, a-t-il martelé, ajoutant que ce projet va concerner également le Barrage d’Al Massira, dont les ressources ont fortement diminué. 5 milliards de dhs ont été alloués à cet effet.
Plan Maroc Vert et stress hydrique
Nizar Baraka démêle le vrai du faux
Cela fait des mois qu’on parle du Plan Maroc Vert, accusé d’avoir contribué à assécher la terre du Royaume pour booster les exportations agricoles. Ce lien de causalité entre ce plan et le stress hydrique revient souvent dans les débats entre experts. Interrogé sur ce point, Nizar Baraka a insisté sur le fait qu’il faut poser le débat objectivement en termes clairs. Il a rappelé que le plan a permis au Royaume de garantir une autosuffisance dans plusieurs filières agricoles. Concernant les exportations agricoles, perçues comme des livraisons d’eau à l’étranger, M. Baraka a expliqué qu’en termes d’eau, les importations agricoles du Royaume sont supérieures à ses exportations, selon une étude de la FAO. Le ministre a reconnu que les nappes phréatiques ont subi une surexploitation à cause de l’activité agricole croissante. Toutefois, il a nuancé que cela est dû également au recul sans précédent des entrées hydrauliques annuelles. “Selon les objectifs initiaux du Plan Maroc Vert, il était prévu que les barrages fournissent 5 milliards de mètres cubes à l’agriculture, nous sommes aujourd’hui à 1 milliard”, a-t-il rappelé, ajoutant qu’en 2024, ce volume devrait ne pas dépasser 800 millions.