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Crise ukrainienne : Pénurie d’engrais, aubaine pour l’OCP ?


Rédigé par Abdallah MOUTAWAKIL Jeudi 24 Mars 2022

L’Office Chérifien des Phosphates (OCP) peut bel et bien profiter de la crise en Ukraine pour répondre à la demande européenne et des pays d’Amérique du Sud. Mais cela passe d’abord par l’approvisionnement en gaz. Ce qui n’est pas une mince affaire actuellement.



La crise ukrainienne, une bonne affaire pour l’OCP? On est tenté de répondre par l’affirmative, au vu de la flambée historique en cours sur les prix des engrais à travers le monde. De l’Europe à l’Amérique du Sud, en passant par les Etats-Unis, un certain vent de panique s’est installé et s’empare même des agriculteurs. « Les engrais, qu’on payait entre 150 et 200 euros (la tonne) il y a un an, maintenant ils sont à 800 euros. C’est un coût qui est absolument exorbitant. Et en plus il y a une pénurie ».

Ce témoignage d’un agriculteur français résume la situation actuelle à travers la planète et dans le très vital secteur agricole. Ce prix dépasse même parfois la barre des 1.000 euros. Et pour cause : en riposte aux sanctions occidentales après le déclenchement de son offensive contre l’Ukraine, la Russie a recommandé à ses entreprises de suspendre leurs exportations d’engrais vers les pays occidentaux. Une mesure qui affecte directement le géant russe des engrais, PhosAgro, et non moins concurrent de l’OCP. Plus encore, le gaz russe, qui sert à la transformation de certains de ces intrants agricoles, risque, lui aussi, de ne plus couler comme avant.

Hausse de la production

Face à cette situation, les importateurs mondiaux, notamment occidentaux, sont à la recherche d’alternatives. Et bien évidemment, le Maroc, avec l’OCP, figure en pole position, avec la Chine et le Canada. D’ailleurs, le géant marocain a même décidé d’augmenter sa production, selon une déclaration de son management relayée par Reuters.

L’Office entend en effet augmenter sa production à 11,9 millions de tonnes en 2022 contre 10,8 millions de tonnes l’année dernière. De même, il est question d’ajouter 3 millions de tonnes supplémentaires de capacité de production annuelle à l’horizon 2023. Des quantités qui risquent sûrement d’être revues à la hausse si la crise entre Moscou et les pays occidentaux perdure.

D’ailleurs, en raison des perturbations sur les chaînes de transport maritime en connexion avec la Mer Noire et les ports russes, de gros poids lourds mondiaux du secteur agricole, comme le Brésil, sollicitent d’ores et déjà l’appoint de pays producteurs comme le Maroc. Une rencontre a récemment réuni dans ce sens des officiels marocains et brésiliens.

Appétit des marchés

Pour certains analystes, il va sans dire que cette crise est une aubaine pour l’OCP. Mais, font-ils savoir, c’est également l’occasion pour le groupe marocain d’asseoir une domination pérenne, indépendamment de la conjoncture.

« L’OCP doit profiter de cette situation pour consolider son leadership, car il ne faut pas se faire d’illusion, à l’instar des hydrocarbures, les engrais risquent d’attirer encore plus de monde et de convoitises ave la flambée actuelle », déclare Driss Linge, rédacteur en chef de l’agence panafricaine ECOFIN, et fin connaisseur des marchés des matières premières (voir interview). Mais avant cela, faudrait-il sécuriser les moyens d’approvisionnement en gaz et autres intrants, la véritable équation pour l’ensemble des producteurs mondiaux d’engrais.

Où trouver le gaz ?

La Russie représente 40% des exportations mondiales d’engrais azotés, 20% du phosphore et 40% de la potasse avec la Biélorussie. Ce qui en fait les deux principaux fournisseurs en potasse pour l’OCP. Le bras de fer actuel avec les pays occidentaux et les mesures de représailles prises par la Russie ralentissent donc la disponibilité de ces matières, essentielles pour la fabrication du NPK (azote, phosphate et potassium).

Pour l’OCP, il faudra donc trouver d’autres sources d’approvisionnement en gaz, au risque de voir ses chances de profiter de cette situation fortement réduites. En attendant, notamment en Europe, la Commission de l’UE annonce de nouvelles mesures pour soutenir le secteur agricole, alors que l’occasion est saisie par de nombreux acteurs pour appeler à l’adoption d’alternatives naturelles aux engrais chimiques.

Abdallah MOUTAWAKIL

Repères

Crise en Ukraine : Bingo pour les exportateurs de gaz
Les pays exportateurs de gaz se frottent les mains actuellement. Les prix du gaz et du pétrole continuent d’enregistrer une très forte hausse. Le prix du mégawatt/heure de gaz naturel avoisine les 340 euros sur les marchés européens, qui dépendent à environ 40% du gaz russe. Une situation qui fait l’affaire des pays producteurs, qui refusent de donner plus de visibilité sur leurs capacités à satisfaire la demande mondiale.
 
Gaz : De nouveaux producteurs en vue
En dehors du Nigeria et de l’Afrique du Nord, de nombreux pays africains s’apprêtent à lancer ou à booster leur production de gaz. C’est notamment le cas de la Tanzanie en Afrique de l’Est, du Sénégal et de la Mauritanie par exemple. De nombreuses exploitations devraient bientôt commencer à fournir du gaz pour augmenter la production mondiale. Une bonne affaire donc qui tombe à pic ! Pour rappel, pour le Maroc, un accord a été trouvé avec l’Espagne afin de réutiliser le Gazoduc Maghreb-Europe dans le flux inverse, à destination du Maroc.

L'info...Graphie


Engrais


Qui concurrence le Maroc actuellement ?
 
Avec la crise en Ukraine, les pays européens et d’Amérique du Sud cherchent de nouvelles sources d’importations. En plus du Maroc, la Chine apparaît comme l’un des principaux fournisseurs probables. Sauf que le marché chinois est si gourmand que la production est souvent destinée à satisfaire les besoins internes. « On va augmenter la part de phosphate d’Afrique du Nord », fait-on savoir auprès des acteurs agricoles français.

Cela dit, le Canada et la Jordanie apparaissent pour la potasse. Pour rappel, la Russie est l’un des rares pays au monde à fournir à la fois du gaz et des engrais, mais aussi de matières premières qui entrent dans leur fabrication telles que le soufre ou l’ammoniac dont le pipeline qui débouche en Mer Noire a dû être mis à l’arrêt.
 

OCP


2022 démarre bien !
 
Au-delà des chiffres relayés par l’Agence Reuters sur les intentions d’augmenter sa production, pas encore d’indicateur net sur l’impact de la crise sur les exportations de l’OCP. Les derniers chiffres disponibles sont ceux de l’Office des Changes, qui font état des exportations réalisées à fin janvier dernier. On apprend ainsi qu’en termes de volumes, ces ventes de phosphates et dérivés à l’étranger ont plus que doublé durant le premier mois de l’année en cours. Elles sont ainsi passées de 3,48 milliards de dirhams, en janvier 2021, à 7,79 milliards de dirhams à la même période en 2022.

Selon la note de l’Office des Changes, cette augmentation s’explique par la hausse de plus de 3 milliards de dirhams de la vente des engrais naturels et chimiques, notamment en raison de la hausse des prix de la tonne déjà perceptible dès le début de l’année. En effet, la tonne d’engrais se négocie selon les statistiques de l’Office des Changes, à plus de 7.000 dirhams, contre moins de 3.000 dirhams un an auparavant. De quoi contribuer à renforcer les performances du leader mondial d’exportation des phosphates.

Pour rappel, l’OCP a réalisé un chiffre d’affaires de 84,3 milliards de dirhams pour l’ensemble de l’année 2021, en hausse de 50% sur un an et des investissements de l’ordre de 13,13 milliards, en croissance de 37% en glissement annuel. Cette performance a été favorisée par un bon quatrième trimestre 2021, durant lequel le chiffre d’affaires a atteint 26,65 milliards, soit un bond de 84% par rapport au même trimestre de l’année 2020.
 

3 questions à Idriss Lingé, Rédacteur en chef de l’Agence ECOFIN


« L’OCP doit développer une stratégie de domination à long terme »
 
Pour Idriss Lingé, Rédacteur en chef de l’Agence ECOFIN, l’OCP doit profiter de la crise actuelle pour consolider son leadership. Car le secteur va encore intéresser plus de monde et réveiller de nombreux appétits.

 
- Pensez-vous que cette crise ukrainienne est une bonne affaire pour des acteurs comme l’OCP ?

- Cela peut être une bonne affaire, mais à condition de sécuriser l’approvisionnement en gaz, qui sert à fabriquer certains intrants agricoles. Mais au-delà de cette question, on peut dire que c’est une belle opportunité pour un mondial comme l’OCP.

Ce géant africain et mondial est appelé aujourd’hui à contribuer à la réponse planétaire pour éviter une crise agricole et alimentaire dans le monde. Mais de mon point de vue, l’OCP doit profiter de cette situation pour consolider son leadership, car il ne faut pas se faire d’illusion, à l’instar des hydrocarbures, les engrais risquent d’attirer encore plus de monde et de convoitises ave la flambée actuelle.


- Quels types d’appétits cela risque-t-il de réveiller, selon-vous ?


- Je pense notamment aux marchés. Avec la spéculation et les intermédiaires, il ne faut pas exclure l’arrivée de nouveaux acteurs. Ce qui appelle donc, pour des acteurs comme l’OCP, à mettre en place des stratégies qui leur permettent de continuer de dominer le marché dans le long terme.


- La question de la transformation continue à se poser. Comme vous le disiez, les difficultés liées à l’approvisionnement en gaz. Quelle solution ?


- La Russie est le principal fournisseur de gaz de beaucoup de pays, y compris l’OCP, dans le cadre de la transformation des phosphates. Sauf que là, on risque de s’acheminer, au sens large, vers une crise énergétique. Ce qui appelle donc à des arbitrages, et à trouver de nouveaux partenaires.


Recueillis par A. M.

 



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