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Cultures céréalières : Comment surmonter les chocs de la sécheresse ?


Rédigé par Oussama ABAOUSS Dimanche 22 Mai 2022

Entre la chute libre de la production céréalière nationale et la flambée des prix du blé au niveau international, le Royaume est face à un nouveau défi : assurer sa souveraineté alimentaire céréalière.



Durant ces derniers jours, jamais la question de la souveraineté alimentaire céréalière ne s’est posée avec autant d’acuité. En début de semaine, un communiqué du ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts a annoncé que « la production prévisionnelle des céréales principales (blé tendre, blé dur et orge) au titre de la campagne agricole 2021/2022 est estimée à 32 millions de quintaux, soit une baisse de 69% par rapport à la campagne précédente ».

Pour expliquer cet effondrement de la production céréalière marocaine, la même source souligne que « la très faible pluviométrie, voire son absence dans plusieurs régions durant les mois de janvier et février, a engendré un stress affectant le couvert végétal et un retard de croissance des cultures d’automne, notamment les céréales. Cette période a coïncidé avec le stade de tallage des céréales ; un stade de développement déterminant pour les rendements de ces cultures. Par conséquent, ce stress a induit une baisse des rendements plus ou moins importante selon les régions allant jusqu’à la perte des superficies dans certaines zones ».

Contexte géopolitique

Si la baisse de la pluviométrie au niveau national fait partie des symptômes d’un changement climatique prédit et de plus en plus ressenti, un autre facteur vient s’ajouter à l’équation en exacerbant les conséquences de la faible production céréalière enregistrée cette année. Il s’agit de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, deux pays qui font partie des plus grands exportateurs et greniers à blé au monde.

Le conflit armé qui les oppose ainsi que les sanctions ou ruptures des chaînes de production qui les ont touchés ont impacté les marchés internationaux, notamment ceux de l’énergie et des céréales, qui ont ainsi enregistré des flambées sans précédent. Le Maroc qui dépend d’autres pays pour combler sa demande interne en céréales se retrouve ainsi à devoir composer pour sécuriser son approvisionnement d’une denrée stratégique déterminante alors même qu’il a depuis plusieurs décennies confirmé son statut de pays à vocation agricole.

Dans ce contexte, certains pays, comme l’Inde, qui devaient prendre le relai pour exporter les céréales, ont récemment fait machine arrière, privilégiant ainsi leur propre sécurité alimentaire. 3.5 millions d’hectares de céréales Pourtant, les superficies dédiées aux céréales au niveau national sont considérables.

« Généralement, les cultures céréalières occupent près de 5 millions d’hectares sur un total de 9 millions. Cette année, il a plutôt été question de 3.5 millions d’hectares », explique Pr Ahmed Bouaziz, ancien enseignant-chercheur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV), et expert en agriculture durable qui, par ailleurs, fait partie d’un groupe dédié à la thématique des céréales constitué d’anciens lauréats de l’IAV. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’incapacité de la production nationale céréalière marocaine à satisfaire la demande locale et, chemin faisant, à assurer un certain degré d’autonomie alimentaire céréalière.

En plus de l’importance de la croissance démographique enregistrée depuis l’indépendance et doublée d’habitudes de consommation qui donnent une grande importance aux céréales dans l’alimentation des Marocains, les cultures et la production des denrées céréalières font l’objet de plusieurs problématiques.

Des solutions en attente d’exécution

« La production céréalière au Maroc est en majeure partie issue de cultures pluviales qui n’ont pas vraiment bénéficié de l’attention qu’elles méritent à travers des incitations étatiques, puisque les stratégies qui se sont succédé ont plutôt privilégié des cultures dont la production peut être exportée et générer des devises », précise Pr Bouaziz.

Notre pays pouvait se permettre ce parti pris tant que l’importation des céréales pouvait se faire à des prix intéressants, mais depuis quelques mois, les prix qui ont triplé justifient d’adapter le modèle agricole national pour qu’il puisse rapidement assurer une autonomie de production des denrées stratégiques, parmi lesquelles les céréales disposent d’une place de choix.

Le changement climatique et ses impacts ne sont pas une fatalité au vu des techniques et solutions qui existent pour relever le défi de l’autonomie alimentaire céréalière (voir interview ci-contre). Au vu des recommandations du Nouveau Modèle de Développement et du contexte international, il serait temps de prospecter ces solutions et de les intégrer à la politique agricole nationale.



Oussama ABAOUSS

Repères

Réduction des superficies céréalières
Durant cette dernière décennie, le Royaume a volontairement diminué les superfines dédiées aux céréales au niveau national. C’est ainsi que la superficie totale dédiée à ces denrées - pourtant stratégiques - a baissé de -32% évoluant de 5,35 M ha en 2008 à 3,65 M ha en 2019. Selon le site du ministère de l’Agriculture, « cette baisse s’inscrit dans le cadre de l’objectif du Plan Maroc Vert pour la réduction de la superficie des céréales à travers leur reconversion vers des cultures à haute valeur ajoutée ».
 

32 millions de quintaux en 2022
Le ministère de l’Agriculture anticipe une production prévisionnelle des céréales principales (blé tendre, blé dur et orge) en chute de 69% par rapport à la campagne précédente, leur volume se situant, avec ce pronostic, à 32 millions de quintaux. Il sera ainsi question d’une production attendue de blé tendre de 17,6 millions de quintaux, de blé dur de 7,5 millions de quintaux, d’orge de 6,9 millions de quintaux, plus de 60% de la production provenant des zones favorables des régions de Fès- Meknès et de Rabat-Salé-Kénitra.


L'info...Graphie


Filière


Plus de la moitié de la surface agricole nationale occupée par les céréales
 
Selon le ministère de l’Agriculture, « la filière céréalière présente de forts enjeux socio-économiques avec un poids très important sur le secteur agricole au Maroc, puisqu’elle totalise près de 71% de la Surface Agricole Utile (SAU) totale ». Elle génère 20% du chiffre d’affaires agricole global avec des fluctuations selon les campagnes. Elle contribue à l’emploi à hauteur de 19% et contribue à la consommation humaine et à l’alimentation animale, engendrant des interdépendances très marquées avec le secteur de l’élevage.

Entre 2003 et 2019, le rendement par hectare en céréales a augmenté de 42%, passant de 12 à 17 quintaux. La production s’est, de son côté, appréciée de 25%, évoluant de 64 millions de quintaux (entre 2003 et 2007) à 80 millions de quintaux (entre 2015 et 2019).

Avec pas moins de 1,4 million d’exploitations agricoles nationales, la production marocaine génère un chiffre d’affaires supérieur à 15 milliards de dirhams. Chaque année, le Maroc importe près de 6 milliards de dirhams de céréales.
 

Import


Les céréales importées de Russie seront-elles livrées dans les délais ?
 
En dépit de la guerre menée contre l’Ukraine et des sanctions dont elle fait l’objet, la Russie semble déterminée à honorer son engagement à fournir le Royaume en denrées céréalières. C’est ce qui ressort d’une récente déclaration du représentant commercial de la Russie au Maroc. Interviewé par l’agence TASS, ArtemTsinamdzgvrishvili a ainsi assuré que le Royaume ne manquera pas de recevoir à temps les livraisons de céréales russes.

« Les fournisseurs de céréales russes sont traditionnellement actifs au Maroc, alors que le Maroc, à son tour, est l’un des principaux importateurs mondiaux de blé. Compte tenu de la faible récolte du Royaume au cours de la saison en cours, je suis convaincu que les céréales russes seront très demandées », a par ailleurs souligné le représentant commercial de la Russie au Maroc qui semble conscient de l’urgence pour le Maroc d’être livré dans les délais impartis.

« Les livraisons de céréales russes au Maroc se sont élevées à 75 millions de dollars en 2017, 103 millions de dollars en 2018, 102 millions de dollars en 2019, 94 millions de dollars en 2020 et 49 millions de dollars en 2021 », a rappelé ArtemTsinamdzgvrishvili qui s’est d’ailleurs félicité de l’augmentation des échanges commerciaux entre les deux pays.

« Les exportations de la Russie vers le Maroc ont connu une croissance de 53%, tandis que les importations en provenance du Maroc ont également augmenté de 36%, principalement en raison de la croissance des exportations des agrumes marocains (de 52%) », a-t-il souligné.
 

3 questions au Pr Ahmed Bouaziz, expert agricole

Cultures céréalières : Comment surmonter les chocs de la sécheresse ?

« La production céréalière national connaît des pertes parfois chiffrées à 20% et qui sont enregistrées dans les diverses étapes de la chaîne de production »

 
Ancien enseignant-chercheur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV), et membre d’un groupe scientifique dédié à la thématique des céréales, Pr Ahmed Bouaziz répond à nos questions.


- Quels sont les moyens potentiels pour optimiser la production céréalière au Maroc ?


- Il existe plusieurs aspects sur lesquels il est possible d’agir pour atteindre cet objectif. La production céréalière national connaît par exemple des pertes qui sont parfois chiffrées à 20% et qui sont enregistrées dans les diverses étapes de la chaîne : à la récolte, au niveau du stockage, mais également au niveau de la consommation, notamment à travers le gaspillage alimentaire.


- Est-il possible d’augmenter les rendements alors même que notre pays enregistre une baisse tendancielle de la pluviométrie ?


- Dans le contexte climatique marocain, la sécheresse est devenue structurelle, et cela depuis plusieurs décennies déjà. Les chercheurs marocains, mais également des chercheurs dans d’autres pays qui ont des territoires arides, notamment aux Etats-Unis et en Australie, ont travaillé ces dernières années pour trouver des techniques et technologies qui permettent d’augmenter le rendement des cultures céréalières en dépit du défi climatique.

C’est ainsi que les chercheurs de l’IAV, de l’INRA ou encore de l’ENA ont mis en place des expériences qui ont prouvé que le semis direct des céréales peut donner des résultats très intéressants. Idem pour l’optimisation des semences, de la fertilisation et du désherbage et la mise en place d’une irrigation d’appoint qui intervient quand la pluviométrie n’est pas suffisante...


- Comment procéder pour mettre en oeuvre ces solutions afin d’atteindre une autonomie céréalière au Maroc ?


- C’est une question sur laquelle les lauréats de l’IAV travaillent actuellement dans le cadre du groupe dédié à la réflexion et l’échange scientifique sur les céréales. Nous avons organisé un webinaire mardi dernier pour établir le bilan céréalier et un autre événement en ligne sera organisé en juin. Au terme de cette dynamique, nous élaborerons un rapport qui reprend les recommandations dont la mise en oeuvre pourrait permettre d’atteindre une autonomie céréalière au Maroc. Ce rapport sera remis au ministère de l’Agriculture comme outil d’aide à la décision.



Recueillis par O. A.

 



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