Nos autorités seraient-elles en train de sonder le pouls de la rue et de conditionner psychologiquement les Marocains à l’éventualité d’une explosion pandémique après la fin du confinement ? Où essaieraient-elles, au contraire, de nous préparer au prolongement de ce confinement dont les effets psychologiques et surtout économiques commencent à se faire ressentir de manière dramatique?
Ces questions risquent vite d’êtres tranchées (ou pas), après le passage programmé de Saâdeddine El Othmani, lundi en début d’après-midi, devant les deux Chambres du Parlement auxquelles il est supposé exposer la vision de son exécutif sur la stratégie de déconfinement qui devra être mise en œuvre pour sortir le Maroc, sans trop de dégâts, de cette mauvaise passe sanitaire et économique. Mais ces questions méritent d’être posées au vu de la succession ces derniers temps de travaux sur l’après-confinement officieusement fuités ou officiellement rendus publics.
Ces questions risquent vite d’êtres tranchées (ou pas), après le passage programmé de Saâdeddine El Othmani, lundi en début d’après-midi, devant les deux Chambres du Parlement auxquelles il est supposé exposer la vision de son exécutif sur la stratégie de déconfinement qui devra être mise en œuvre pour sortir le Maroc, sans trop de dégâts, de cette mauvaise passe sanitaire et économique. Mais ces questions méritent d’être posées au vu de la succession ces derniers temps de travaux sur l’après-confinement officieusement fuités ou officiellement rendus publics.
Costard trop ajusté
En moins de deux semaines, deux rapports consacrés à ce sujet qui tourmente au plus haut point l’ensemble des Marocains sont sortis des tiroirs de l’administration. Le premier, non officiel, mais authentifié, émane du ministère de la Santé et porterait la marque de certains ténors de la lutte épidémiologique contre le Coronavirus dont le désormais célèbre Mohamed El Youbi. Le deuxième, qui vient de tomber, provient lui du vénérable Haut-Commissariat au Plan (HCP) du non moins vénérable Ahmed Lahlimi. Il y est question de scénarios tout aussi catastrophiques (voir encadré) les uns que les autres sur les répercussions du déconfinement qu’il soit généralisé, partiel ou progressif.
Au-delà de la lecture technique et scientifique, somme toute instructive, qu’inspire ce travail de statisticien chevronné, c’est surtout la question de son timing qui interpelle. A la veille de son grand oral de lundi consacré à la gestion des effets de la crise sanitaire du Covid-19 et à l’après-confinement, El Othmani se fait en effet tailler, à travers ce rapport, un costard serré, car trop ajusté qui réduit comme peau de chagrin ses options, en dessinant le périmètre des futurs actions de son gouvernement.
Certes le HCP en tant qu’institution pétrie d’expérience et parfaitement au fait des us et coutumes de la haute administration prend autant de pincettes qu’il n’en faut pour aborder et introduire son sujet avec moult diplomatie et précautions. Sa volonté de ne pas froisser de farouches sensibilités étant plus qu’évidentes à la lecture du préambule signé par Lahlimi himself qui écrit : «l’élaboration des scénarios sur les évolutions possibles de la situation pandémique dans notre pays, dans une perspective de sortie du confinement telle qu’elle a été conçue, comme un exercice à caractère plutôt méthodologique, voire pédagogique, et ses conclusions comme de simples indicateurs de tendances, utiles pour alerter l’opinion publique, provoquer les chercheurs et éventuellement éclairer les centres de décision, sans prétention ni à une compétence exclusive ni à une exhaustivité thématique ni à une légitimité institutionnelle particulière”.
L’initiative du HCP et sa décision de publier ce rapport n’est pas sans rappeler quelques épisodes précédents et récents durant lesquels l’instance s’est positionnée comme contrepoids et «tiers de sagesse» de l’action politique et gouvernementale. Notamment lors des moments pointus où la nation devait faire face à de grandes problématiques. On se souvient à ce propos du rôle joué par cette institution en juillet dernier, à la veille d’un remaniement gouvernemental et du lancement d'une réflexion autour du nouveau modèle de développement, pressentis à l’époque comme d'indispensables et ultimes électrochocs à même d’éviter au pays la crise cardiaque économique et politique. En publiant un rapport historique autour des sombres perspectives économiques du Royaume, début juillet, le HCP s’était ainsi positionné en triple tandem avec Bank Al-Maghrib et la Cour des Comptes afin d’aider à une meilleure évaluation des enjeux et perspectives de ce remaniement.
Au-delà de la lecture technique et scientifique, somme toute instructive, qu’inspire ce travail de statisticien chevronné, c’est surtout la question de son timing qui interpelle. A la veille de son grand oral de lundi consacré à la gestion des effets de la crise sanitaire du Covid-19 et à l’après-confinement, El Othmani se fait en effet tailler, à travers ce rapport, un costard serré, car trop ajusté qui réduit comme peau de chagrin ses options, en dessinant le périmètre des futurs actions de son gouvernement.
Certes le HCP en tant qu’institution pétrie d’expérience et parfaitement au fait des us et coutumes de la haute administration prend autant de pincettes qu’il n’en faut pour aborder et introduire son sujet avec moult diplomatie et précautions. Sa volonté de ne pas froisser de farouches sensibilités étant plus qu’évidentes à la lecture du préambule signé par Lahlimi himself qui écrit : «l’élaboration des scénarios sur les évolutions possibles de la situation pandémique dans notre pays, dans une perspective de sortie du confinement telle qu’elle a été conçue, comme un exercice à caractère plutôt méthodologique, voire pédagogique, et ses conclusions comme de simples indicateurs de tendances, utiles pour alerter l’opinion publique, provoquer les chercheurs et éventuellement éclairer les centres de décision, sans prétention ni à une compétence exclusive ni à une exhaustivité thématique ni à une légitimité institutionnelle particulière”.
L’initiative du HCP et sa décision de publier ce rapport n’est pas sans rappeler quelques épisodes précédents et récents durant lesquels l’instance s’est positionnée comme contrepoids et «tiers de sagesse» de l’action politique et gouvernementale. Notamment lors des moments pointus où la nation devait faire face à de grandes problématiques. On se souvient à ce propos du rôle joué par cette institution en juillet dernier, à la veille d’un remaniement gouvernemental et du lancement d'une réflexion autour du nouveau modèle de développement, pressentis à l’époque comme d'indispensables et ultimes électrochocs à même d’éviter au pays la crise cardiaque économique et politique. En publiant un rapport historique autour des sombres perspectives économiques du Royaume, début juillet, le HCP s’était ainsi positionné en triple tandem avec Bank Al-Maghrib et la Cour des Comptes afin d’aider à une meilleure évaluation des enjeux et perspectives de ce remaniement.
L’étrange silence du CESE
Aujourd’hui et au vu du caractère purement scientifique et logistique du sujet du déconfinement, le HCP était la seule de ces trois institutions à ne pas trop s’exposer à l’accusation d’outrepasser ses compétences en empiétant dans ce domaine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’instance de Lahlimi se défend presque de toute sortie de juridiction à travers le rappel de son expertise indirecte en la matière. «Au regard de son objet, la présente étude pourrait paraître plutôt inédite dans les travaux traditionnels du Haut-Commissariat au Plan, même si elle n’est pas sans parenté avec les travaux de prospective «Maroc 2030» que cette institution a réalisés sur des thèmes à caractère économique et géostratégique dont on peut rappeler, notamment, la problématique des «crises non conventionnelles» qui avait fait l’objet d’un séminaire international organisé à Casablanca en janvier 2007”, peut-on lire dans le préambule du rapport du HCP.
Légitimité scientifique ou non, le HCP reste parfaitement dans son rôle d’un point de vue administratif en sa qualité d’outils institutionnels de monitoring quant aux répercussions des options et décisions prises par les pouvoirs étatiques. Avec son rapport sur le déconfinement, on peut estimer qu’El Othmani est donc maintenant prévenu et qu’il dispose de tous les indicateurs à même de lui permettre de prendre de bonnes décisions. Le seul regret, c’est qu’on aurait aussi aimé entendre le son de cloche d’une instance tout aussi outillée et légitime que le HCP pour livrer son appréciation d’un déconfinement qui s’annonce comme celui de tous les dangers. Il s’agit du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui, hormis une déclaration officieuse de son Président, Ahmed Reda Chami, à la mi-avril, semble cultiver un étrange silence depuis le début de cette crise. Ceci malgré la demande qui lui a été officiellement adressée fin avril, via le bureau de la Chambre des représentants, par plusieurs groupes de partis politiques.
Légitimité scientifique ou non, le HCP reste parfaitement dans son rôle d’un point de vue administratif en sa qualité d’outils institutionnels de monitoring quant aux répercussions des options et décisions prises par les pouvoirs étatiques. Avec son rapport sur le déconfinement, on peut estimer qu’El Othmani est donc maintenant prévenu et qu’il dispose de tous les indicateurs à même de lui permettre de prendre de bonnes décisions. Le seul regret, c’est qu’on aurait aussi aimé entendre le son de cloche d’une instance tout aussi outillée et légitime que le HCP pour livrer son appréciation d’un déconfinement qui s’annonce comme celui de tous les dangers. Il s’agit du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui, hormis une déclaration officieuse de son Président, Ahmed Reda Chami, à la mi-avril, semble cultiver un étrange silence depuis le début de cette crise. Ceci malgré la demande qui lui a été officiellement adressée fin avril, via le bureau de la Chambre des représentants, par plusieurs groupes de partis politiques.
3 questions à Ayache Khellaf :
Ayache Khellaf
« Il est normal pour le HCP de procéder à l’étude de cette grande épidémie »
Ayache Khellaf, Secrétaire Général du Haut-Commissariat au Plan expose à l’Opinion les implications de la récente étude.
-A quelle date la décision de lancer cette étude a été prise ?
-Le HCP s’est lancé dans la réalisation de son étude sur la pandémie du COVID-19 depuis le début du mois d’Avril. C’est une étude qui rentre dans le cadre du suivi du HCP de la conjoncture aussi bien économique que sociale dans notre pays. Il est normal pour le HCP de procéder à l’étude de cette grande épidémie qui touche à toutes les sphères de notre société.
-Quel est le temps et les moyens impartis en termes de ressources humaine à la réalisation de ce travail ?
-L’étude a nécessité un grand effort des cadres du HCP, en particulier, ceux qui travaillent dans la Direction de la Statistique, le Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques et la Direction de la Prévision et de la Prospective. C’est un travail collectif permettant de bien cerner les différents aspects analytiques de cette problématique. Le challenge était de bien estimer les paramètres du modèle utilisé dans les simulations des scénarios d’évolution de la pandémie. D’un autre côté, le HCP dispose de données statistiques détaillées, en particulier sur la population, qui ont permis de capter l’impact de la pandémie sur les différentes tranches de la population pour tracer différents scénarios proposés par le HCP pour un ultime déconfinement.
-Est-ce la première fois que le HCP planche sur ce genre de sujet ?
-La démarche de scénarios a été toujours utilisée dans l’approche prospective. Le HCP a organisé en 2007 dans le cadre de ses travaux de prospective Maroc 2030, un séminaire international autour du thème « Crises non conventionnelles : nouveaux impératifs, nouvelles postures ». C’était aussi une situation où on envisageait des solutions où quelque chose d’exceptionnel à l’occasion des grandes crises récentes. Ainsi, le SRAS apparu pour la 1re fois en Chine en 2002, la canicule de 2003 en France ou l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005 ont été évoqués pour dégager quelques approches conceptuelles, méthodologiques et institutionnelles des nouveaux modes de management des crises non conventionnelles.
Ayache Khellaf, Secrétaire Général du Haut-Commissariat au Plan expose à l’Opinion les implications de la récente étude.
-A quelle date la décision de lancer cette étude a été prise ?
-Le HCP s’est lancé dans la réalisation de son étude sur la pandémie du COVID-19 depuis le début du mois d’Avril. C’est une étude qui rentre dans le cadre du suivi du HCP de la conjoncture aussi bien économique que sociale dans notre pays. Il est normal pour le HCP de procéder à l’étude de cette grande épidémie qui touche à toutes les sphères de notre société.
-Quel est le temps et les moyens impartis en termes de ressources humaine à la réalisation de ce travail ?
-L’étude a nécessité un grand effort des cadres du HCP, en particulier, ceux qui travaillent dans la Direction de la Statistique, le Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques et la Direction de la Prévision et de la Prospective. C’est un travail collectif permettant de bien cerner les différents aspects analytiques de cette problématique. Le challenge était de bien estimer les paramètres du modèle utilisé dans les simulations des scénarios d’évolution de la pandémie. D’un autre côté, le HCP dispose de données statistiques détaillées, en particulier sur la population, qui ont permis de capter l’impact de la pandémie sur les différentes tranches de la population pour tracer différents scénarios proposés par le HCP pour un ultime déconfinement.
-Est-ce la première fois que le HCP planche sur ce genre de sujet ?
-La démarche de scénarios a été toujours utilisée dans l’approche prospective. Le HCP a organisé en 2007 dans le cadre de ses travaux de prospective Maroc 2030, un séminaire international autour du thème « Crises non conventionnelles : nouveaux impératifs, nouvelles postures ». C’était aussi une situation où on envisageait des solutions où quelque chose d’exceptionnel à l’occasion des grandes crises récentes. Ainsi, le SRAS apparu pour la 1re fois en Chine en 2002, la canicule de 2003 en France ou l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005 ont été évoqués pour dégager quelques approches conceptuelles, méthodologiques et institutionnelles des nouveaux modes de management des crises non conventionnelles.
Recueillis par L.E.A
Pr Aziza Benkirane : «Notre capacité sanitaire reste floue»
Professeur Aziza Benkirane nous livre sa lecture du dernier rapport du HCP sur le déconfinement.
Question : Le HCP vient de publier les scénarios possibles pour le déconfinement, qu’en pensez-vous ?
Très bel exercice, bien exposé, sauf que notre capacité sanitaire reste floue, en tous les cas quant aux circuits d’accueil et d’hospitalisation Covid, dont vous savez qu’ils doivent être isolés physiquement des circuits hospitaliers normaux. Par exemple le nombre de lits de réanimation a fondu comme neige au soleil. On nous disait 1640, et là on nous dit à peine un peu plus de la moitié : 854 !
Etes-vous d’accord avec les chiffres et les projections ?
Ce que j’aurais voulu rencontrer, c’est une transparence dans notre capacité de tester, et avant tout la situation précise actuelle dans les clusters que représentent Casablanca-Rabat (38,77% des cas), Marrakech-Safi (18,56), Tanger-Tétouan-Al Hoceima (14,02%), et Fès-Meknès (13,84).
A titre d’exemple, voici comment se présente la situation dans l’Oriental : Le Pr Housni, chef de service du département d’anesthésie réanimation au CHU d’Oujda, rapporte que la région disposait de 63 lits de réanimation, avec 63 moniteurs et 63 respirateurs, dont 10 non Covid. Les 53 lits de réanimation du circuit Covid, outre les respirateurs et les moniteurs cardiaques, disposaient d’un ECMO (3 malades en ont bénéficié), de CIPAP Boussignac avec sortie doublement filtrée (2 malades), de l’hémodialyse (4 malades) et des immunomodulateurs (3 malades / 9000 DH par injection). Il y a eu dans les premières semaines 21 patients graves, soit 0,12%. Les patients guéris ont négativé leur CPR qualitatif en 9 à 50 jours.
Qu’en est-il maintenant ?
Actuellement le circuit réanimation a repris son activité normale non Covid. Il n’y a eu aucun nouveau cas depuis 3 semaines, hormis 3 cas les derniers jours : 1 à Berkane, et 2 parmi les rapatriés de Melilla, qui sont en quarantaine à Saadia (voir tableau ci-dessous). Le R0 serait de l’ordre de 0,2 à 0,3. Une précision pareille à travers tout le pays nous aurait rassurés, ou poussés à persévérer ou à corriger nos erreurs à defaut de tracking.
Question : Le HCP vient de publier les scénarios possibles pour le déconfinement, qu’en pensez-vous ?
Très bel exercice, bien exposé, sauf que notre capacité sanitaire reste floue, en tous les cas quant aux circuits d’accueil et d’hospitalisation Covid, dont vous savez qu’ils doivent être isolés physiquement des circuits hospitaliers normaux. Par exemple le nombre de lits de réanimation a fondu comme neige au soleil. On nous disait 1640, et là on nous dit à peine un peu plus de la moitié : 854 !
Etes-vous d’accord avec les chiffres et les projections ?
Ce que j’aurais voulu rencontrer, c’est une transparence dans notre capacité de tester, et avant tout la situation précise actuelle dans les clusters que représentent Casablanca-Rabat (38,77% des cas), Marrakech-Safi (18,56), Tanger-Tétouan-Al Hoceima (14,02%), et Fès-Meknès (13,84).
A titre d’exemple, voici comment se présente la situation dans l’Oriental : Le Pr Housni, chef de service du département d’anesthésie réanimation au CHU d’Oujda, rapporte que la région disposait de 63 lits de réanimation, avec 63 moniteurs et 63 respirateurs, dont 10 non Covid. Les 53 lits de réanimation du circuit Covid, outre les respirateurs et les moniteurs cardiaques, disposaient d’un ECMO (3 malades en ont bénéficié), de CIPAP Boussignac avec sortie doublement filtrée (2 malades), de l’hémodialyse (4 malades) et des immunomodulateurs (3 malades / 9000 DH par injection). Il y a eu dans les premières semaines 21 patients graves, soit 0,12%. Les patients guéris ont négativé leur CPR qualitatif en 9 à 50 jours.
Qu’en est-il maintenant ?
Actuellement le circuit réanimation a repris son activité normale non Covid. Il n’y a eu aucun nouveau cas depuis 3 semaines, hormis 3 cas les derniers jours : 1 à Berkane, et 2 parmi les rapatriés de Melilla, qui sont en quarantaine à Saadia (voir tableau ci-dessous). Le R0 serait de l’ordre de 0,2 à 0,3. Une précision pareille à travers tout le pays nous aurait rassurés, ou poussés à persévérer ou à corriger nos erreurs à defaut de tracking.
Recueillis par L.E.A